Agbogbloshie, banlieue d’Accra au Ghana, en Afrique de l’Ouest, est tristement célèbre pour sa décharge à ciel ouvert d’électroniques. Paysage de désolation où s’amoncellent sur plusieurs hectares ordinateurs, téléphones portables et carcasses de voitures, elle est à la fois une source importante de pollutions et un facteur d’emploi pour les milliers de personnes qui vivent du « recyclage » de ces déchets. Le photographe Romano Maniglia nous livre ici un reportage visuel poignant au cœur d’un « enfer » importé du monde occidental.
C’est la plus grande décharge électronique à ciel ouvert d’Afrique. Les locaux l’affuble parfois du nom particulièrement symbolique, Sodome et Gomorrhe. Ici, tous les jours, ce sont des tonnes de nouveaux déchets électroniques qui viennent s’empiler. Certains proviennent des villes alentours. Mais la majorité d’entre eux ont été transportés jusqu’ici depuis l’Europe et les États-Unis par des immenses cargos. En effet, une très large partie de nos déchets électroniques sont exportés dans des pays « en développement » tellement la tâche est difficile et laborieuse… À ce sujet, la Chine a récemment annoncé sont intention d’interdire l’importation de nombreux types de déchets sur son territoire, ce qui inévitablement va générer une charge supplémentaire pour les pays qui les acceptent.
Décharge dantesque à perte de vue
Au milieu de ce paysage, où les fumées qui émanent des feux dans lesquels les objets sont brûlés pour séparer les métaux des plastiques piquent les yeux et ajoutent au lugubre, les travailleurs – souvent des personnes qui habitaient auparavant des zones rurales du pays mais ne subsistaient que difficilement – réparent les électroniques, trient et récupèrent les métaux des circuits, dans l’espoir de les revendre. Les objets, qui ne sont pas (trop) endommagés sont revendus sur le marché local. En l’absence de toute protection, ces hommes et femmes – parfois encore adolescents – sont continuellement exposés à la pollution et aux matières nocives contenues dans les restes d’ordinateurs, téléphones, frigos et machines à faire la vaisselle… En dépit des risquent sanitaires élevés auxquels elles sont exposées, les personnes qui vivent dans le secteur continuent, jour après jour, de se rendre au milieu de la décharge. Car pour eux, ces montagnes de détritus, ne sont pas seulement le synonyme de pollutions et de maladies, mais aussi la promesse d’un revenu régulier aussi petit soit-il. Le paradoxe est à l’image d’une humanité qui génère désormais de l’activité économique par « le désastre » et inversement.
Le « Damned Yard » (Jardin maudit) porte bien son nom. Les taux d’arsenic, cadmium et de plomb sont particulièrement élevés dans la région, polluant eau, air et sols et menaçant la santé des habitants et des habitantes, ce qui conduit à une catastrophe environnementale et sociale quotidienne. Des études menées auprès des travailleurs de la déchetterie montrent que ces derniers sont particulièrement exposés, avec les conséquences sanitaires qu’on imagine. De surcroît, une partie des effluves chimiques se répand sur les sols et causent des dégâts environnementaux irréparables. Les images de Romano di Maniglia mettent cette situation catastrophique en lumière de manière brillante.
Des déchets orphelins
La provenance précise de ces quantités colossales de déchets fait parfois l’objet de débats. Naturellement, on y trouve bon nombre de restes de déchets d’origine locale, comme des épaves de vieilles voitures ou de petits déchets électroniques, notamment parce que ces dernières années, les foyers en Afrique de l’Ouest se sont progressivement équipés en téléphones portables et ordinateurs. Certaines ONG, notamment le réseau Basel Action Network, dénoncent également la présence d’ordures en provenance d’Europe et des Etats-Unis. Les industriels profiteraient de normes environnementales et sociales très peu contraignantes pour se débarrasser d’objets dont le coût de recyclage aurait été bien plus élevé en occident. Faisant le bilan de la situation des déchets électroniques dans cette partie de l’Afrique, un rapport de l’ONU datant de 2012 constate d’ailleurs que les pays d’Afrique de l’Ouest sont devenus une destination privilégiée pour les objets électroniques de l’UE.
En principe, les déchets électroniques non réparables en provenance de l’Union européenne ne devraient pourtant pas se retrouver ici. En effet, la convention de Bâle de 1989 interdit aux signataires, dont les pays de l’UE font partie, le transfert des produits dangereux vers des pays « moins regardants » d’un point de vue environnemental, sauf quand il s’agit de les réutiliser ou de les réparer. L’astuce pour contourner cette législation coule de source. Se conformant au règlement, il est donc fréquent, décrit Guillaume Pitron dans La guerre des métaux rares (Les liens qui libèrent, 2018), de voir des cargos chargés d’électroniques quitter les docks d’Amsterdam sous le label « occasion » : « les autorités européennes estiment que jusqu’à 1,3 million de tonnes de déchets électroniques seraient exportées chaque année de notre continent vers l’Afrique et l’Asie ». Mais peuvent-ils vraiment être réemployés ? Le rapport de l’ONU cité plus haut confirme les doutes : en 2009, 30 % des électroniques importés en Afrique de l’ouest n’étaient pas en état de fonctionnement et la moitié de ces derniers ne pouvaient pas être réparés…
Nul doute qu’à l’image d’autres décharges, Agbogbloshie est aussi le symbole du dumping social et environnemental dont profitent les pays industrialisés dans les pays du Sud. L’Afrique semble devoir subir la double peine de notre mode de vie déconnecté des réalités : fournir à la fois de très nombreuses matières premières qui composent nos technologies de pointe, et en assumer la fin de vie polluante après utilisation. Plus que jamais, le « local » et le « zéro déchet » prennent tout leur sens.
D’autres photos sont à découvrir sur son site.
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