Framboise et Kiwi, deux journalistes écolos, se sentent perdus et inquiets dans une société capitaliste et prédatrice. Face à ces questionnements, ils décident de sillonner l’Europe deux mois en auto-stop, de la Suède à l’Espagne, en quête de modes de vie alternatifs. De ZADs en écovillages, ils partent à la recherche de lieux autonomes et écoresponsables, où ils pourraient s’installer, vivre sans détruire, se sentir libres et à leur place. Leur première étape les emmène à Kolbsheim, où quelques militants résistent à un grand projet autoroutier.

Partis de Paris, il nous a suffi d’une journée d’auto-stop pour rallier Kolbsheim, un petit village alsacien qui défraie la chronique depuis octobre 2017. La raison : le « Grand Contournement Ouest » (ou GCO), un grand projet autoroutier qui traverse l’Alsace, et menace ses habitats naturels. Un projet jugé inutile et destructeur par les locaux, qui ne tardent pas à organiser la riposte : une zone à défendre. La ZAD du Moulin voit donc le jour, et des adversaires au projet autoroutier qui viennent de partout en France pour renforcer cette résistance locale.

Mais la puissance répressive de l’État est ici comme ailleurs démesurée.

Crédit image : Framboise et Kiwi

Fin 2018, la centaine de zadistes a beau lutter jusqu’au bout, ils se font expulser à grand renfort de gaz lacrymogènes et de tonfas, et perdent l’un après l’autre leurs principaux bastions. Un an plus tard, à l’été 2019, il ne reste plus qu’un « spot » où une trentaine d’irréductibles (sans oublier leurs chiens !) continuent la lutte. Seulement, cette lutte a changé de nature. Il ne s’agit plus d’empêcher la construction de l’autoroute, déjà bien entamée désormais, mais de lutter contre une philosophie, contre un monde qu’ils rejettent, contre cette « Babylone » qui écrase tout sur son passage.

Le dernier campement restant est coincé entre les champs de maïs et la départementale 45, à quelques centaines de mètres du chantier tant décrié. La zone abrite une petite dizaine de vans, quelques tentes, des toilettes sèches, quelques panneaux solaires, un barbecue et un four à pain en terre cuite, un poulailler. Ici s’est ancré un lieu de vie commun construit à partir de bric et de broc. Le souhait d’un autre monde s’ancre alors dans le réel, comme ce fut jadis le cas à Notre-Dame-des-Landes.

Nous arrivons en fin de matinée alors que certains zadistes viennent de se réveiller, tandis que d’autres finissent leur nuit endiablée. Ils nous accueillent tout naturellement, avec un café et des sourires. Nous sommes tout de suite séduits par la liberté qui émane de cet endroit, et l’insouciance des gens qui l’occupent. Les pancartes et graffitis qui jonchent le campement annoncent la couleur : « l’ordre sans le pouvoir ». Bienvenue en territoire anarchiste.

Ici, le principe d’autogestion s’applique le plus simplement du monde. Chacun vit sa vie comme il l’entend, et fait ce qui lui plaît. La ZAD évolue ainsi au gré des compétences et motivations des uns et des autres. Sparte, l’expert botaniste, s’active à la construction d’un séchoir pour les plantes. D’autres préparent une soupe géante (et excellente !) avec la vingtaine d’ingrédients cueillis la veille.

Crédit image : Framboise et Kiwi

Car oui, à la ZAD, nul besoin de payer son plateau repas. Tout est fait pour bannir l’argent des préoccupations quotidiennes (les rares qui touchent le RSA sont vus comme les « bourgeois » du groupe). Les réserves de nourriture se remplissent grâce à la cueillette (orties, trèfles, consoude, renouée du Japon et tout un tas d’autres plantes comestibles), et grâce à des expéditions nocturnes dans les supermarchés des environs pour aller récupérer les invendus jetés (freeganisme). C’est à l’occasion d’une expédition comme celle-ci que nous avons pu constater l’ampleur du gaspillage alimentaire inhérent à la grande distribution. Derrière de hautes clôtures que nous avons dû escalader, se trouvent des caisses entières de fruits et de légumes, de pâtes, de saucisses et de pain, loin d’être périmés, dans lesquelles nous nous servons allègrement. Le barbecue artisanal va pouvoir tourner à plein régime dans les jours à venir !

Bien sûr, le lieu n’est pas exempt de tout défaut. Personne n’oserait prétendre le contraire. Les champs de monoculture alentour, abondamment arrosés de pesticides, contrarient l’évolution du potager. L’alcool et la drogue y sont omniprésents, et l’investissement de chacun dans la vie en communauté diffère en fonction des personnalités. Mais pour tous les habitants de la ZAD, ces inconvénients – conséquences d’un « trop de liberté » – sont insignifiants comparativement à la souffrance provoquée par la folie d’un système économique oppressif qui exclus ceux qui ne s’alignent pas. Tous très sensibles aux questions sociales et environnementales, ils voient en cet îlot anarchiste un refuge bienvenu, et un moyen de prouver au reste du monde que des alternatives sont possibles et singulière à chaque fois. Encore faut-il s’en donner les moyens !

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Au final, nous repartons épuisés, pas très propres et en ayant perdus la notion du temps, mais le cœur enrichi de ces quelques jours à la ZAD du Moulin. Outre les connaissances pratiques apprises au contact de ces experts en autonomie, quel bien fou de vivre librement sans attente ni jugement de la part d’autrui, et renouer avec la simplicité de l’existence. C’est donc avec hâte que nous reprenons notre périple, direction la forêt d’Hambach en Allemagne, où d’autres zadistes protestent contre une mine de charbon.

Suivez toutes les aventures de Framboise et Kiwi sur leur page Casa des Papouilles.

Crédit image : Framboise et Kiwi
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