Souvent décriée par la droite de l’échiquier politique qui érige l’illusoire « méritocratie » en valeur absolue, la « discrimination positive » est parfois accusée de remettre en cause le principe d’égalité. Pourtant, un tel raisonnement ne tient pas compte des injustices systémiques qui ne peuvent se régler sans intervention des pouvoirs publics.

De fait, certaines personnes subissent dans la vie des désavantages structurels, construits par des siècles de racisme, de sexisme et de diverses exclusions frappant les minorités. Une discrimination positive n’a donc pas pour but de privilégier indûment une partie de la population, mais bien de rééquilibrer la balance pour que tout le monde puisse bénéficier des mêmes chances. Décryptage.

Une croyance infondée

Récemment, Mr Mondialisation recevait un courriel d’un lecteur qui s’indignait que notre rédaction dénonce les mesures contre la discrimination positive mise en place par Donald Trump. Il assurait ainsi que « comme son nom l’indique, il s’agit d’une discrimination » qui serait « négative, car à l’opposé des valeurs des lumières fondatrices de la gauche ».

Celui-ci poursuivait ensuite en affirmant que « les piliers de ces valeurs sont la liberté et l’égalité des droits, quel que soit le niveau de richesse, le rang social ou la race (sic). » Il nous expliquait enfin que « la gauche a aujourd’hui tourné le dos à ces valeurs, et que c’est à cause de cela qu’elle est de plus en plus rejetée par ceux qui votaient pour elle ».

Un déluge de mauvaise foi

Évidemment, la malhonnêteté intellectuelle de ce genre de propos n’est pas difficile à observer. L’accusation affirme que la gauche aurait « tourné le dos » à la lutte contre les discriminations et à l’égalité alors qu’elle est et a toujours été à l’avant-garde de ces combats, comme le démontrent ses programmes politiques.

L'équité, comme principe de discrimination positive.
L’équité, comme principe de discrimination positive.

Cette affirmation laisse penser que les électeurs auraient délaissé la gauche pour la droite à cause d’un abandon de valeurs égalitaires. C’est pourtant bien l’extrême droite qui multiplie les positions sectaires et sexistes et au désavantage des classes populaires. Et c’est bien aussi le président de la République lui-même, incarnation de la droite française, qui tient régulièrement des propos racistes, et qui a mené un projet inouï en faveur des déséquilibres sociaux.

Une traduction peu avantageuse

Le concept de discrimination positive est apparu aux États-Unis dans les années 60, sous le nom de affirmative action. Mais comme le relate le journal le Monde, la France en a fait une traduction plutôt hasardeuse avec ce célèbre oxymore. Le vocable « discrimination » restera, en effet, toujours connoté de façon très négative et l’avoir employé pour un processus censé être vertueux s’apparentait à se tirer une balle dans le pied d’emblée.

Certains revendiquent d’ailleurs l’utilisation d’autres termes pour ce concept afin de ne pas entretenir la confusion, on peut par exemple parfois entendre le mot « dédiscrimination » ou l’expression « mesures correctrices d’inégalités ».

Car le but de ce genre de manœuvres est effectivement de rectifier les inégalités sociétales qui ne se régleront sans doute pas d’elles-mêmes. La structuration de notre système est en effet largement soumise à un phénomène de reproduction sociale qui perpétue des déséquilibres criants.

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Une situation effrayante

Il suffit pour s’en convaincre d’observer les statistiques. En 2019, par exemple, SOS racisme effectuait un test pour la recherche d’une habitation en région parisienne. En envoyant des dossiers similaires avec des traits « caucasiens » et des profils racisés, les résultats ont été sans appel. Les individus d’origine asiatique avaient 15 % de chances en moins d’obtenir le logement qu’une personne blanche. Le chiffre grimpe 28 % pour un profil maghrébin et 38 % pour un ultramarin ou un subsaharien.

À l’embauche, la situation n’est guère plus reluisante. Des chercheurs ont ainsi envoyé 9 600 candidatures à compétences égales, avec des noms et un genre aléatoire, à 2400 offres d’emplois dans 11 catégories de métiers différents. Résultat, les personnes dont les origines étaient supposément maghrébines avaient 31,5 % de chances en moins d’être contactées par un recruteur.

Les femmes victimes de la société patriarcale

Il est aussi facile de citer la situation des femmes qui sont toujours payées 4 % de moins que les hommes pour le même poste. Elles obtiennent également moins de postes à responsabilité et de promotions. Selon un rapport, elles occupent ainsi seulement « 12 % des emplois de direction dans le secteur public, 17 % des chefs d’entreprise et 24 % des membres des conseils d’administration du CAC40 ».

Un phénomène qui est lié à une discrimination lors du choix entre les candidats et les candidates, et aussi au fait que la société patriarcale a inculqué depuis l’enfance aux femmes de se tenir loin des lieux de pouvoir, ce qui les incite aussi à moins postuler.

Les sphères du pouvoir peu représentatives

Ces constats que l’on observe dans la société civile sont aussi très présents dans la représentation nationale. Les élus français sont en effet très loin d’être à l’image de la population d’un point de vue social.

À l’Assemblée, par exemple, uniquement 36 % des députés sont des femmes ; au Sénat, on retrouve des proportions à peu près identiques. L’âge moyen des élus grimpe à 49 ans au Palais Bourbon et à 60 ans à celui du Luxembourg, contre seulement 42 ans dans la population générale.

Et le pire des écarts peut se mesurer dans les catégories socioprofessionnelles puisque 60 % des députés exerçaient en tant que cadre ou dans des professions intellectuelles supérieures. Un taux qui n’est pourtant que de 21 % en France. À l’inverse, les ouvriers ne représentent que 0,7 % des députés, contre 19 % des travailleurs. En outre, sur 577 députés en 2022, seuls 32 étaient issus des minorités.

De la nécessité d’agir

On l’aura compris, dans tous les secteurs de la société, les inégalités entre les catégories de la population les plus favorisées et celles qui le sont le moins ne vont pas se régler individuellement. Les pouvoirs publics ont une responsabilité morale d’agir sur ce sujet afin de faire évoluer les mentalités. De ce fait, ce que l’on a improprement nommé « discrimination positive » en France pourrait très bien jouer un rôle dans ce changement de paradigme.

Elle ne peut cependant pas représenter l’alpha et l’oméga de cette lutte, puisqu’elle comporte également des limites, comme l’expliquait le défenseur des droits en 2019 à propos des personnes en situation de handicap :

« Le fait de flécher des postes pour les personnes handicapées contribue à les enfermer sur des emplois spécifiques et renforce la ségrégation professionnelle ».

Créer des modèles et des exemples

Toutefois, pour briser les stéréotypes, le meilleur moyen reste sans doute de démontrer l’absurdité des clichés par le cas concret. Quand une entreprise sera par exemple tenue d’embaucher des femmes, des individus handicapés, des personnes issues des minorités de genre, de l’immigration, chacun pourra alors constater que les salariés concernés seront tout à fait capable d’exercer cette activité.

Ce type de critère ne va en réalité pas avantager quelqu’un par rapport à une autre, mais plutôt rétablir l’équilibre entre une catégorie de personnes discriminée constamment et une autre favorisée. On a déjà vu que cette façon de faire a pu porter ses fruits aux États-Unis, notamment dans les universités.

La fin du tous contre tous ?

Il faut aussi souligner le fait que proposer des fonctions d’importance, en particulier dans les sphères du pouvoir, permet de même de faire évoluer les mentalités des principaux concernés qui pourront plus facilement s’identifier à des modèles et se projeter à leur place.

En fin de compte, le sujet des discriminations dans de nombreux milieux pourrait également remettre en question notre vision de la société, largement imprégnée par le capitalisme, où la concurrence est reine entre les êtres humains. Si, à l’inverse, nous nous reposions davantage sur des modèles de coopérations ou chacun pourrait avoir la place qu’il souhaite sans avoir à affronter les autres, alors peut-être qu’il n’y aurait pas besoin d’avoir recours à la « discrimination positive ».

– Simon Verdière

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