À seulement quelques heures du premier tour des législatives, les témoignages auprès de notre rédaction affluaient par centaines pour dénoncer des courriers qui ne contiennent pas tous les tracts électoraux. Une réalité qui pose de réels problèmes démocratiques, l’information de l’ensemble des électeurs, mêmes les moins politisés, étant essentielle. D’autant qu’il semblerait que la délégation de la diffusion du matériel électoral à des entreprises privées ne soit pas étrangère à la multiplication des « dysfonctionnements ». Une personne qui a participé en tant qu’intérimaire à la mise sous pli semi-mécanique des tracts pour l’entreprise KOBA a souhaité témoigner auprès de notre rédaction. Ses observations révèlent que cette mission a été réalisée dans l’urgence et de manière désorganisée. Alors que la privatisation de cette tâche était présentée comme une « modernisation » par les administrations publiques souhaitant faire des économies, elle se fait aux frais de la démocratie, le tout sur les deniers publics. Témoignage.

Dès jeudi, tout comme lors du premier tour des présidentielles, notre rédaction va recevoir une vague de témoignages nous signifiant des irrégularités dans le processus électoral. En cause cette fois : l’absence de certaines professions de foi à l’intérieur des courriers électoraux officiels. Dans la très grande majorité des témoignages (90% des cas reçus), c’est le candidat de la France Insoumise qui en semble le plus souvent victime, et ce dans différentes circonscriptions (une observation qui peut être liée à notre lectorat). D’autres partis semblent également en avoir été victimes (MAVOIX, Parti Pirate, Parti Animaliste, UPR,…).

Échantillon de témoignages (cliquer pour agrandir)

     

Mais un autre type de témoignages va également nous arriver : celui d’intérimaires chargés de la mise sous pli de la propagande électorale au service de l’entreprise Koba. Koba SAS est une société basée à Mérignac (Gironde), qui se présente elle même comme étant le leader de la propagande électorale depuis 2011. Elle est donc spécialisée dans ce type de mission. Une tâche qui était réservée, jusqu’en 2015, au service public de proximité, réalisée par des agents de l’État et les collectivités locales. Cette privatisation, présentée comme une modernisation du système électoral, montrerait-elle déjà ses limites ? Si la société Koba n’a pas souhaité à ce jour faire de commentaire au sujet des ces irrégularités, Camille S. (nom d’emprunt) a pris contact avec notre rédaction avec le souhait de témoigner sur son expérience troublante.

Commentaire d’un autre intérimaire

Échange avec Camille S., intérimaire pour la société Koba

Camille : Bonjour, je m’appelle Camille et j’ai pour la première fois expérimenté le monde de l’intérim. Je viens tout juste de terminer mes études et cela m’a rassuré quand la boite d’intérim m’a rappelé pour me proposer une mission. Quand j’ai entendu dans la bouche de mon interlocutrice le mot « élection législative », je me suis dit qu’il allait être intéressant de voir le « derrière » des élections, le processus de production de la démocratie. La démocratie, plus que des valeurs, c’est surtout une question d’organisation. Mais j’ai très rapidement compris qu’en fait, Koba était clairement une entreprise et non pas au service de notre « démocratie ».

Mr M : Comment se déroulait une journée « normale » de travail ?

Camille : Différentes équipes se relayaient, pour un roulement 24 heures sur 24. Le tout avait lieu dans un hangar, et les équipes, de 60 personnes environ, étaient composées essentiellement d’intérimaires comme moi. Nous étions responsables de la préparation des enveloppes pour de nombreuses circonscriptions, par exemple dans le Gard, en Haute-Savoie, à Lyon…

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Pour être précise, le travail se décomposait en deux parties. Le pli des tracts et la mise sous enveloppe, chacun de ces deux procédés se faisant par l’intermédiaire de machines spécifiques. À titre personnel, j’ai été affectée à chacune de ces deux missions. Dès mon premier jour, les chefs d’équipe ont été clairs. Nous étions en retard, et il fallait se dépêcher. À aucun moment, on nous a demandé de prendre des précautions particulières du fait de l’importance de l’enjeu démocratique.

De manière évidente, l’entreprise répondait à des logiques de production et d’efficacité. Elle n’était clairement pas soucieuse et elle se montrait peu consciente des enjeux démocratiques qui pesaient sur elle. Pendant mes quatre journées de travail, nombre de fois je me suis dit : il y a quelque chose qui ne va pas…

Mr M : Vous avez donc observé des couacs et dysfonctionnements ?

Camille : Oui. Au niveau des tracts, il est vrai que certains se déchiraient, et je ne peux pas exactement dire pourquoi. Il me semble que les tracts des différents partis n’étaient pas tous de la même qualité. Ceux des Républicains et des autres grands partis ne se déchiraient pas, contrairement aux autres. Je ne peux pas dire pourquoi. La machine fonctionnait très vite, peut être que le papier était trop fin ? Les tracts de EELV posaient des problèmes particuliers. À aucun moment quelqu’un a réellement essayé de résoudre le problème.

[Rappelons à toutes fins utiles que le papier utilisé dans le processus électoral est soumis à des contraintes légales très strictes indiquées dans un mémento à l’usage des candidats, dont un grammage papier imposé pour que le parti puisse recevoir remboursement. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est censée vérifier la conformité des papiers. ndlr]

Laissez moi préciser que ce n’était pas le seul élément interpellant. Au niveau de la mise sous enveloppe nous avons également rencontré de nombreux dysfonctionnements. Pendant plusieurs heures, j’ai travaillé avec une machine de mise sous enveloppe qui ne pouvait gérer que deux paquets de tracts à la fois au lieu de trois. Sans consultation des supérieurs, des agents de maintenance des machines nous ont indiqué de mettre de manière alternée les tracts des différents candidats dans la machine, sans nous préoccuper du reste. Bilan, les enveloppes ont été envoyées avec seulement deux paquets de tracts, alors que les circonscriptions concernées proposent bien plus de candidats. Les 20.000 ou 30.000 enveloppes envoyées ce jours là n’étaient pas complètes, et personne ne semblait s’en inquiéter.

Mais ce n’est pas tout. De nombreuses enveloppes [nominatives. ndlr] se déchiraient lors de cette seconde phase, et lorsque cela arrivait, elles étaient immédiatement jetées à la poubelle. Dans la mesure où les adresses avaient été imprimées sur chaque enveloppe avant cette étape, les destinataires concernés ne se verront adresser aucun courrier !

Mr M : À qui vous adressiez-vous en cas de problème ou de doute ?

Camille : Des personnes étaient présentes et répondaient aux problèmes techniques, c’est-à-dire seulement des problèmes qui concernaient les machines. Mais les problèmes liés au manque de tracts ou à l’inégale répartition des enveloppes ne faisaient pas spécialement partie de leurs prérogatives.

Un jour, les tracts d’EELV ont commencé à manquer. Malgré tout mon étonnement, mes collègues ont décidé de continuer à faire les enveloppes, invoquant notamment l’urgence dans laquelle nous étions. Pourtant, selon moi, cette situation posait un problème démocratique évident.

Si je peux me permettre, j’ai d’abord été surprise que l’État sous-traite à une entreprise privée ce que constitue une chose publique, au cœur de notre fonctionnement démocratique. Mais je me suis fait à l’idée, et j’ai même ressenti une certaine fierté à me dire que même pendant une mission d’intérim, je pouvais faire ce qui me plaisait, c’est-à-dire étudier nos sociétés politiques et leur fonctionnement. Mais j’ai très rapidement compris qu’en fait, Koba était clairement une entreprise et non pas au service de notre démocratie. Et c’est là tout le problème : penser des enveloppes législatives comme de simples marchandises…

Mr M : Merci d’avoir pris le temps de témoigner sur votre expérience. Nous espérons que ce témoignage puisse faire évoluer les règles en faveur d’un processus démocratique libéré des contraintes marchandes qui, visiblement, semblent incompatibles avec l’intérêt collectif.


Source : propos et témoignages recueillis par l’équipe de Mr Mondialisation

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