Menino, c’est un habitant de Lisbonne, la capitale du Portugal où il fait bon vivre. Depuis quelques années, de nombreux étrangers l’ont d’ailleurs compris ! La ville est envahie de retraités étrangers, d’expatriés, et de touristes de passage. Si « Donne-moi la main Menino » est un roman, ses racines sont prises dans une terre qui reflète une crise bien réelle : Lisbonne, victime de son succès, a vu disparaître ses commerces de proximité au profit des boutiques à touristes et les immeubles de quartiers historiques sont dénaturés aux mains de promoteurs voraces pour accueillir toujours plus de consommateurs de passage. Mais comme tout Lisboète lambda, que peut bien faire Menino face à une situation qui le dépasse amplement ?
Un roman qui dénonce le tourisme de masse à Lisbonne
Ménino, c’est un Lisboète de 34 ans, un peu rêveur qui d’après ses proches a toujours un pied dans l’enfance (sa mère aimerait tellement qu’il se trouve une compagne!). Il vit en collocation avec son ami Nuno, un agent immobilier dont la carrière décolle, pour cause au regard de l’attractivité de leur ville. Une jeune Française, Joséphine, va venir partager leur collocation. Elle est thésarde et s’intéresse en particulier à l’architecture des logements sociaux. Si elle a choisi de venir à Lisbonne c’est que c’est le lieu où ses parents sont tombés amoureux autrefois et qu’à Paris une camarade de promo lisboète lui a vanté les charmes de sa ville. Pourtant, Joséphine va bientôt se rendre compte que les charmes traditionnels de Lisbonne sont en danger, grignotés par un tourisme de masse encouragé par les autorités.
Autour de ce trio, le lecteur découvrira également Pierre, tombé amoureux de Lisbonne à 11 ans lors d’une escale avec ses parents, y est revenu pour tirer son épingle de la spéculation immobilière. Il est aidé dans ses projets par Fanny, une jeune femme un peu idéaliste qui tient un blog à succès vantant la douceur de vivre de Lisbonne. On découvre aussi Senhor Zé, un retraité figure du quartier historique de l’Alfama, accompagné de son vieil ami Menino qui lui rend régulièrement visite.
Son quartier, comme d’autres du centre-ville, est la proie des promoteurs qui rachètent peu à peu les logements pour les convertir en locations touristiques type Airbnb. Les habitants d’origine sont d’ailleurs nombreux à partir, poussés par la flambée du prix des loyers. Un phénomène d’ailleurs observé dans la plupart des grandes capitales touristiques, vidées de leurs propres habitants ! Mais Senhor Zé refuse de déménager et s’engage dans un bras de fer qui semble perdu d’avance. Il pourra pourtant compter sur le soutien de Viviane, une énergique pianiste engagée qui va remuer ciel et terre pour aider son ami.
Une galerie de personnages hauts en couleurs et attachants dont le lecteur va suivre le réveil d’une conscience militante, l’envie de lutter dans une Lisbonne minée par l’uniformisation d’un tourisme mondialisé. Pour éponger la dette née de la crise de 2008, le gouvernement portugais a misé depuis 2012 sur le tourisme et la dérégulation immobilière : furent autorisées les hausses de loyers (qui n’ont pas manqué d’exploser, chassant les plus pauvres), encouragés les investissements étrangers à coup d’avantages fiscaux, donnés des titres de séjour aux riches étrangers qui acquièrent de l’immobilier. Quand on sait qu’un appartement peut se louer des milliers d’euros à un touriste contre quelques centaines au mois à un local, le choix fut vite fait pour nombre de spéculateurs.
Et tant pis pour l’atmosphère pittoresque de Lisbonne qui s’étiole peu à peu. Tant pis aussi pour les habitants les plus modestes obligés de déménager à la périphérie de la ville. Lisbonne appartient désormais aux investisseurs étrangers et aux touristes, ravis de découvrir une perle rare mais une perle dont le lustre pâlit, tant elle est reformatée pour correspondre aux habitudes d’une consommation touristique devenue mondiale. Une réalité à laquelle chacun des protagonistes finira par se heurter d’une manière ou d’une autre, qui les rapprochera ou les éloignera selon leurs intérêts, leurs personnalités, entre amitié et amour. Un maelstrom dans lequel Menino – comme le lecteur – sera emporté un peu malgré lui, se demandant où tout cela finira par l’emmener…
Rencontre avec l’autrice de « Donne-moi la main Menino » , Aurélie Delahaye
Commençons par une petite présentation pour nos lecteurs : qui es-tu, quel est ton parcours, ton activité professionnelle ?
Certains de vos lecteurs connaissent bien mon parcours puisqu’ils m’ont soutenue lorsque j’ai sorti le livre qui le raconte : Embrasser l’inconnu !
Jusqu’à mes 32 ans, j’ai vécu à Paris. Après avoir fait des études de droit et de commerce, j’ai travaillé dans le monde de l’entreprise, en essayant de faire un travail humain. Mais je me retrouvais toujours face à un manque de sens dans mon quotidien. Alors un jour j’ai tout quitté. Comme nouveau point de départ, je voulais aider les autres, j’ai monté un projet qui s’appelait Ordinary Happy People : https://www.ordinaryhappypeople.com/.
Ce projet a apporté de l’espoir à des gens, et il a aussi changé ma vie : aujourd’hui j’ai 37 ans, je vis en pleine campagne, et très modestement de mon activité d’autrice. J’essaie aussi de participer à la solidarité qui peut exister autour de moi.
Comment as-tu découvert le problème causé par le tourisme de masse à Lisbonne ?
En 2015, j’ai vécu quelques mois à Lisbonne. Je suis tombée amoureuse de cette ville, de son charme, de sa simplicité, de ses habitants. J’ai failli m’y installer. Mais j’ai senti que quelque chose se passait. Les Airbnb commençaient tout juste à fleurir, certains Lisboètes perdaient leur logement. Je me disais que quelque chose clochait, et je ne voulais pas faire partie du problème. Alors j’ai continué ma route ailleurs.
Trois ans plus tard, à l’été 2018, je suis retournée au Portugal pour faire découvrir ce pays de cœur à mon compagnon. Mais je n’ai pas réussi à retrouver ce que j’avais vécu initialement : les petits vieux qui m’attrapaient par le bras en pleine rue pour me dire un mot gentil, les restaurants typiques où l’on mangeait si bien pour si peu, en entendant parler uniquement Portugais, les ruelles où l’on pouvait se perdre avec poésie et lenteur.
En 2015 évidemment, il y avait du tourisme, mais il n’avait pas encore vidé le centre ville de ses habitants et changé complètement le paysage des commerçants et restaurateurs, et l’ambiance de la ville. Un tel changement en trois ans seulement, c’était violent !
Comment est venue l’idée d’un livre et plus particulièrement un roman pour dénoncer la spéculation immobilière désastreuse qui défigure Lisbonne ?
Après avoir vécu plusieurs déconvenues pendant ce voyage de 2018, j’ai fini par entrevoir pleinement le problème : les politiques d’État et l’investissement immobilier étaient en train de détruire l’authenticité de la ville. Ça m’a rendu profondément triste. Je me suis sentie d’abord impuissante : comment pouvais-je agir alors que j’habitais maintenant en France ?
À ce moment-là, mon premier livre Embrasser l’inconnu était en cours de retravail avec un éditeur, et moi j’avais ouvert une nouvelle page en débutant l’écriture d’un roman. Finalement, j’ai mis ce roman de côté, et j’ai décidé d’écrire sur Lisbonne, parce que c’était un moyen d’aider ma ville de cœur, en mettant les Français au courant, car ils sont très nombreux à vouloir y voyager ou s’y installer.
J’ai choisi le roman pour deux raisons. D’abord parce que c’est la forme qui m’attire en tant qu’écrivaine. Ensuite, parce que je crois à la prise de conscience par le biais de la fiction. Je ne souhaite pas m’adresser uniquement à ceux qui ont déjà les mêmes idées que moi, je veux toucher d’autres gens par surprise, faire naître des réflexions au détour d’une histoire dans laquelle tout le monde peut se laisser embarquer.
Les personnages sont-ils inspirés de personnes que tu as rencontrées ? Et toi-même t’identifies-tu à l’un d’eux ?
Une fois que j’avais fait le constat du problème, au cours de mes vacances, j’ai décidé de revenir un mois entier à Lisbonne et de me consacrer à des recherches sur place. Je me suis beaucoup documentée, j’ai rencontré des géographes, des historiens, des politiciens, des militants, des artistes, des étudiants, des entrepreneurs (et même des investisseurs), des citoyens, des gens de tous âges et de différentes nationalités, croisés au gré des rues pour certains. C’était un mois intense, qui m’a permis de comprendre la situation en profondeur.
J’aurais pu, à ce moment-là, en faire un documentaire, parce que j’avais rencontré de véritables personnages ! Pour certains, je les avais même cherchés. Je voulais par exemple qu’il y ait un petit vieux atypique qui vive dans l’Alfama et soit menacé d’expulsion. À force de parcourir la ville et de parler à tout le monde, j’ai fini par en trouver un, et je l’ai repris dans mon roman sous la forme de Senhor Zé.
Certains de mes personnages sont donc inspirés de personnes réelles. Mais ensuite je les ai adaptés librement : ça n’est pas vraiment eux. D’autres ont été inventés, mais à partir de sensations que j’ai eues là-bas. Ils pourraient tout aussi bien exister. Je ne m’identifie pas spécialement à l’un d’entre eux, mais j’ai mis un peu de moi chez certains, aussi bien féminins que masculins.
Avant « Donne-moi la main Menino » tu avais écrit « Embrasser l’inconnu », peut-on faire un parallèle entre ces deux ouvrages ? Y-a-t-il une certaine continuité dans ta démarche d’autrice ?
J’y vois une continuité, mais ce sera aux lecteurs de me le dire ! J’aime mettre en lumière un problème sociétal ou politique tout en parlant de l’ordinaire, du quotidien, de façon romancée : même si tout est vrai dans Embrasser l’inconnu, et pourrait l’être dans Donne-moi la main Menino, je veille à ce qu’il y ait une histoire qui puisse emporter le lecteur.
C’est pour moi une manière de militer auprès d’un plus grand nombre. J’ai à cœur de bien saisir les différents points de vue en présence, de ne pas être dans la caricature ou dans mon point de vue à moi uniquement, même si, évidemment, j’ai un angle d’approche que je fais transparaître.
Je crois qu’on ne pourra y arriver (à construire un monde meilleur, si tant est que ça soit possible, ou en tout cas à bâtir des endroits où on cultive l’espoir et la solidarité), qu’en étant ensemble, nombreux. Je cherche donc à réunir plutôt qu’à diviser. Mais ça n’est pas toujours confortable.
Enfin, des conseils pour nos lecteurs qui voudraient se rendre à Lisbonne mais sans participer à la destruction du charme de la ville ?
C’est une grande question, et qui ne s’applique pas uniquement à Lisbonne : peut-on encore voyager aujourd’hui, sans participer à la destruction des endroits que l’on visite ? Je n’ai pas vraiment la réponse. Pour ma part, j’essaie. Je ne voyage pas à l’autre bout du monde, je n’utilise plus Airbnb depuis des années (Airbnb n’est pas du tout ce qu’ils avaient prétendu être à l’origine : des logements non utilisés le temps d’un week-end ou de vacances, ce sont pour beaucoup des logements dédiés à l’hébergement touristique, qui ne peuvent donc plus servir pour les habitants, et qui, en plus, ne sont pas assujettis à la même fiscalité que les hôtels). On peut donc privilégier l’hôtel, ou se faire de vrais contacts Lisboètes et leur rendre visite, découvrir la ville avec eux.
De mon côté, je voyage soit chez l’habitant, soit en camion, en trouvant chaque fois des lieux où je ne dérange personne. Mais même le camion aménagé commence à devenir super tendance et à envahir certains pays (dont le Portugal), et pas toujours avec respect. Sur place, j’apprends quelques rudiments de la langue, j’achète local, j’essaie d’aller là où les habitants vont, de partager avec eux, et de me faire discrète. Ça demande de prendre le temps.
La question que vous posez, je crois qu’il faut se la poser chaque fois que l’on voyage. Pourquoi suis-je là ? Est-ce pour ramener des jolies photos à poster sur internet, ou pour admirer la beauté de ce que je vois et la partager avec ceux qui sont autour de moi ? Éviter de poster une photo sur internet, c’est aussi voyager autrement, stopper cette course à celui qui s’affichera avec les plus beaux voyages. S’attacher à bâtir un quotidien dans lequel on se sent bien, cela permet aussi de ne pas avoir envie de fuir à tout prix vers une destination qui aura pour but de nous dépayser. Le voyage est là pour nous faire cheminer, nous prendre par surprise, pas pour nous faire consommer « quelque chose de différent ».
Merci pour cet échange !
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S. Barret
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