Entreprendre en France, lorsqu’on a des valeurs écologistes ancrées, c’est difficile par définition tant les institutions ne nous facilitent pas la vie. Mais est-ce vraiment possible ? Oui ! Pour autant qu’on ait la volonté de chercher, et que notre objectif ne se réduit pas à faire simplement toujours plus de profit. Louarnes, une marque de pâtes à tartiner engagée, veut en être la preuve. Elle nous montre qu’avoir le moins d’impact sur la santé et sur l’environnement, de l’approvisionnement jusqu’à l’envoi des colis, est vraiment possible avec un peu d’inventivité et de sacrifices. Interview avec sa fondatrice, Sarah. 

Peux-tu nous présenter Louarnes

C’est une marque de pâtes à tartiner que j’ai créée il y a un an. Elles sont vegan mais, surtout, elles sont peu sucrées (seulement 15% du produit final, contre 50% pour la grande majorité des marques). J’utilise uniquement du sucre de fleur de coco, qui a été reconnu le plus durable par l’ONU ! Aussi, mes pâtes à tartiner sont labellisées bio et équitables. Je les produis moi-même en Bretagne à Vannes, donc elles sont 100% artisanales !

Comment t’es venue l’idée de créer Louarnes ? 

J’avais cette envie de retrouver des aliments bruts, sans ingrédients industriels. Ça reflète mon alimentation quotidienne, que je veux la plus brute possible. Je me suis rendue compte qu’ au rayon des pâtes à tartiner, c’était impossible à trouver : il y avait toujours une liste d’ingrédients à rallonge, des ingrédients controversés et beaucoup trop de sucre et/ou d’huile ! Voire de l’huile de palme, ce qui est encore pire.

Ça permet aux industriels de faire baisser le coût de la matière première, et donc le prix du produit final … mais c’est clairement au détriment de notre environnement, et de notre santé. Comme je ne trouvais pas la pâte à tartiner que je voulais (labellisée bio et équitable, avec des ingrédients bruts et sans rien d’ajouté), je me suis dit que j’allais la faire moi-même ! J’ai tout appris seule, et je me suis lancée.

Concrètement, comment as-tu réussi à obtenir une production respectueuse de l’environnement ? 

Déjà, j’essaie de faire du mieux possible car aujourd’hui c’est impossible d’être irréprochable. Cette marque, c’est le résultat de plus d’un an de réflexions dans l’objectif d’avoir le moins d’impact possible sur l’environnement, et donc de coller avec mes valeurs. Au niveau de l’approvisionnement des matières premières, je prend tout le temps le plus proche et sans avion. Par exemple, au niveau des noisettes et des amandes, je les prends en Italie quand c’est possible, mais ça ne l’est pas toujours notamment en fin de récolte. Je dois donc prendre des noisettes équitables de Turquie et des amandes en Espagne. Par contre, je suis entièrement transparente à ce sujet-là ! Toutes les provenances sont expliquées sur mon site, je trouve ça important de le dire. Personnellement, je les prends au plus proche possible, en Egypte, même si c’est plus cher, alors que d’autres les prennent en Chine.

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En France malheureusement aujourd’hui, il y a très peu de producteurs bio. Quand j’ai créé mon projet, j’ai trouvé des noisettes et amandes bio mais les producteurs n’acceptent plus personne… leur cahier des charges est déjà plein, tellement ils sont peu sur le marché français. Je n’arrête pas pour autant de démarcher des producteurs bio en France pour pouvoir m’améliorer, notamment les noisettes bretonnes : je viens de trouver un producteur en cours de reconversion, j’aimerais beaucoup travailler avec lui quand il sera labellisé !  Par contre, concernant le sucre de coco et cacao, ça vient forcément de loin donc je prends tout le temps des produits de qualité, issus du commerce équitable et qui n’ont pas pris l’avion. Et, comme je l’ai dit, le sucre de coco a été reconnu par l’ONU comme étant le sucre le plus durable. Ce n’est pas parfait, mais c’est le mieux que je puisse faire. Au niveau de l’emballage, j’utilise des pots en verre et j’applique une consigne avec les magasins, quand c’est possible. En Bretagne, presque tous les magasins l’appliquent ! Mes étiquettes sont en fibres de cannes recyclées, ce sont les moins polluantes possible. Au niveau de mes valeurs, j’ai à cœur de soutenir des associations et notamment le refuge Groingoin, à qui je reverse 1% de mon chiffre d’affaires tous les mois.

Entreprendre en France, lorsqu’on a des valeurs écologistes très ancrées, c’est difficile ?

Oui, clairement. Il faut tout penser ! Par exemple, pour envoyer mes colis, je prends un calage en maïs qui est compostable mais qui très cher, en comparaison avec du papier bulle en plastique classique. Quand on veut faire les choses mieux, cela se répercute directement sur le prix. Alors certes, je ne peux pas rivaliser avec les autres pâtes à tartiner moins chères qui existent sur le marché, et même dans les magasins bio, mais je tiens vraiment à préserver mes valeurs et à poursuivre ma démarche écologique jusqu’au bout. Je continuerai de prendre mes oléagineux au plus proche possible, d’utiliser des produits labellisés biologiques et équitables, de remettre sans cesse en question mes emballages, d’avoir une production 100% artisanale … même si plus c’est plus cher. Ce n’est pas le cas de tout le monde. De ce que je peux observer aujourd’hui, les préoccupations en termes d’environnement et de santé ne sont pas une priorité pour les grandes entreprises

D’autant plus que je tiens à préserver ma production artisanale. Si ma marque grandit encore, j’embaucherai une deuxième personne pour faire exactement le même travail que moi. Mais à aucun moment je ne veux passer à une production industrielle ! Je veux garder le contact avec mes clients et continuer de produire moi-même.

Quels ont été tes principaux obstacles ? 

Je n’étais pas du milieu de l’alimentaire, donc mes difficultés tenaient surtout au fait que je découvrais tout. Et pas tant au fait que je cherchais à obtenir une production plus respectueuse de l’environnement. Ce n’est pas difficile de faire les choses bien … quand on cherche. Que ce soit le calage en maïs ou les étiquette en fibres de canne recyclées, j’ai tout trouvé assez facilement. Le frein aujourd’hui n’est pas de trouver des alternatives, mais le coût. Si moi, en tant que personne qui ne connaissait rien à l’agroalimentaire et qui a une petite entreprise, je peux le faire … je ne vois pas ce qui empêche les grandes entreprises de le faire. C’est ni plus ni moins qu’une question d’argent.

Personnellement, je préfère mettre de l’argent à bien faire les choses, qu’à faire de la publicité. Mais aujourd’hui les marques qui ont le plus de visibilité sont celles qui ont les moyens de payer des milliers d’euros en publicité concernant leur supposé engagement pour l’écologie, voire même de payer des labels soi-disant équitables (voir cet article à ce propos), alors qu’en réalité c’est du greenwashing. Or les consommateurs ne le voient pas forcément.

C’est donc possible, en tant qu’entrepreneure engagée, de gagner sa vie ? 

Cela fait à peine deux mois que j’arrive à me dégager un SMIC, mais ce ne sera pas plus avant un moment. En fait, plus je gagne d’argent, plus j’essaie de baisser le prix de mes pâtes à tartiner pour les rendre accessibles. Là où les grandes marques se contenteraient de réduire le poids de leur produit final ou d’acheter des matières premières qui viennent d’encore plus loin et de moins bonne qualité pour baisser leurs prix (ou faire plus de marge …), moi je prends sur mon salaire. Là où elles se contentent de faire du greenwashing, moi je m’engage vraiment pour l’environnement. Franchement, être entrepreneure en gardant ses valeurs écologistes, c’est dur. Mais je continuerai toujours de les appliquer car c’est ce qui me permet d’être fière de mon activité. Je ne ferai jamais de concessions sur mes valeurs. Par contre, je ne reste jamais sur mes acquis : dès que je peux améliorer quelque chose, je le fais !

– Propos recueillis par Camille Bouko-levy

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