Le loup fait son retour en Europe. Si l’opinion publique et les médias ont tendance à se concentrer sur la menace que ferait peser le prédateur sur les troupeaux, ils oublient que le loup rend des services écosystémiques importants, en régulant par exemple les populations de cervidés parfois jugées invasives. Récemment, des chercheurs ont publié une synthèse inédite sur les enjeux posés par la cohabitation entre cerfs, loups et humains. Ils appellent à une vision plus équilibrée des impacts de la présence des prédateurs, insistant sur leurs effets bénéfiques et régénérateurs sur l’ensemble de la biodiversité. A l’heure de la sixième extinction de masse, repenser notre cohabitation avec les espèces sauvages apparaît plus que jamais essentiel.
Dans la nature, il n’y a pas d’espèce invasive. La biodiversité, lorsqu’elle n’est pas perturbée, est un facteur de résilience et de limitation du caractère invasif des espèces. Selon Curtis Marean, professeur d’archéologie à l’Université d’Arizona, la seule espèce invasive naturelle est en réalité… l’être humain. Homo Sapiens est d’après lui « la plus invasive des espèces (…) la seule à avoir investi la planète entière ». Si l’Homme empiète et perturbe donc l’équilibre des écosystèmes naturels, il contribue en outre, par des activités liées à la mondialisation et à l’artificialisation des milieu, à rendre invasives des espèces qui ne le seraient pas ailleurs.
Au lieu de tenter de limiter ce phénomène en réduisant au maximum son impact sur la biodiversité, il a pourtant tendance à intervenir encore davantage dans les écosystèmes pour les « réguler » (tuer), en abattant les prédateurs naturels comme les loups, ou encore par le biais de la chasse, volontiers présentée comme une activité essentielle à la préservation de la biodiversité…
Un loup sur cinq est abattu en France
En France, après avoir été éradiqué dans les années 1930, le loup est revenu naturellement par l’Italie au début des années 1990. Il n’a donc pas été réintroduit, contrairement à une idée répandue. Si ce retour est vu par certains comme une bonne nouvelle, d’autres le voit comme une menace, notamment pour les troupeaux de brebis. En 2019, ce n’est ainsi pas moins de 98 loups qui ont été abattus en France, contre 51 en 2018, selon les chiffres de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Auvergne Rhône-Alpes, chargée de la mission loup pour tout le territoire français.
Et pour cause, le plafond autorisé de loups pouvant être abattus avait été relevé à 100 loups en 2019, après que le seuil initial de 90 loups ait été atteint dès le mois de septembre. Même si le loup gris est une espèce protégée en France et en Europe, un quota est en effet fixé chaque année autorisant à prélever entre 17 et 19 % de la population estimée. Les organisations de défense de ces prédateurs s’opposent régulièrement à cette politique, qui n’a d’ailleurs selon elles pas de réel impact sur la mortalité dans les troupeaux, celle-ci ayant diminué en 2019 malgré la hausse de la population de loups. Par ailleurs les loups sont des animaux collectifs. Tuer les mâles dominants partant à la chasse et se rapprochent des troupeaux ne fait qu’accentuer la faim de la meute, générant de nouveaux comportements de chasse inhabituels.
La population augmente plus lentement cette année
Après l’abattage d’un premier loup en 2020 dans les Alpes de Haute-Provence, l’association Ferus avait ainsi jugée la politique de quota « absurde et inutile de la part de l’Etat français, qui fait mine de s’inquiéter dans les discours de la crise majeure que subit la biodiversité ». En effet, la survie du loup n’est pas encore acquise en France. Si le nombre d’individus est toujours en augmentation, l’Office français de la biodiversité (OFB) indiquait en juin 2020 que le rythme de progression était plus lent cette année. On recensait ainsi 530 individus en 2019, et 580 adultes aujourd’hui. Un nombre dérisoire, par rapport à la population de loups en France à la fin du XVIIIe siècle, estimée par Ferus entre 10 000 et 20 000 individus.
Le taux de survie des loups est donc en baisse, ce qui peut s’expliquer notamment par le braconnage ou des accidents de la route, d’après l’OFB. Or la présence des canidés a de nombreux effets bénéfiques sur les écosystèmes, comme le rappellent des scientifiques français et américains dans une étude qui invite à prendre du recul pour mieux comprendre les enjeux que pose cette cohabitation. « Les effets négatifs de la présence des loups, comme le nombre de moutons tués, sont visibles et faciles à attester. Des effets positifs existent, mais ils sont souvent indirects et donc difficiles à mettre en évidence », explique Jean-Louis Martin, l’un des auteurs, dans un article publié par le CNRS.
La pression des prédateurs essentielle pour la biodiversité
Cette étude, basée sur les travaux des différents scientifiques et les dernières recherches sur le sujet, est en réalité une synthèse inédite sur les enjeux posés par la cohabitation entre cerfs, loups et humains. Car la présence accrue des canidés est directement reliée à l’augmentation du nombre de leurs proies principales depuis quelques années : les cerfs et les chevreuils. Ce succès remarquable en termes de conservation des espèces pose aussi quelques problèmes. La surreprésentation de cervidés dans les forêts empêche en effet la régénération des jeunes arbres et favorise le compactage des sols, sans parler des dégâts occasionnés à l’agriculture.
En l’absence de prédateurs en nombre suffisant, l’omniprésence des cervidés a donc des impacts sur le reste de la biodiversité, la diminution de la végétation basse entraînant par exemple une raréfaction de certains insectes, et donc des oiseaux qui s’en nourrissent. A contrario, s’ils étaient contraints de gérer le danger représenté par les loups, les herbivores se déplaceraient davantage, et auraient tendance à se focaliser sur les plantes les plus nourricières. La pression exercée par les canidés est ainsi essentielle pour le maintien d’une diversité végétale et animale élevée. « Si on enlève le prédateur du système, on enlève quelque chose qui a joué un rôle essentiel dans la construction de la vie telle qu’on la connaît », résume Jean-Louis Martin.
Les loups, plus efficaces que les chasseurs pour la régulation
La présence du loup rend donc des services importants en termes de régénération des écosystèmes, en régulant naturellement les populations des autres espèces de leur biotope. Une tâche qu’ils remplissent de manière bien plus efficace que les chasseurs, la biodiversité naturelle étant intrinsèquement résiliente. Pourtant, le recours aux humains pour réguler les espèces est une politique largement pratiquée, et régulièrement demandée par les représentants des éleveurs, qui voient leur travail mis en difficulté par la présence accrue des loups. Ce type d’études se révèle donc ici particulièrement intéressante, pour recentrer le débat sur la manière dont les loups pourraient aider les humains et les écosystèmes naturels.
Les chercheurs appellent en effet à une conception de l’avenir des populations de cervidés et de loups comme compatibles avec les intérêts des humains. « Nous faisons partie d’un socio-système complexe. Le défi à relever est d’arriver à mettre en place un mode opératoire qui prenne en compte cette complexité pour reconstruire notre cohabitation avec ces espèces », conclut Jean-Louis Martin. La régénération d’écosystèmes équilibrés serait en effet bénéfique pour chacun, mais elle nécessite un véritable changement de notre rapport à la faune sauvage et notre manière d’occuper l’espace, qui peut impliquer des changements dans la façon de travailler des éleveurs, afin de laisser à chaque espèce la possibilité d’habiter les territoires naturel, pas seulement l’Homme.
Raphaël D.
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