[Tribune] La belle prise de parole du jeune député Adrien Quatennens ou les énigmes de François Ruffin lancées à l’Assemblée nationale ont enflammé la toile ces derniers jours. Cependant, ces belles prestations orales des orateurs de la France Insoumise ne sauraient masquer une réalité beaucoup plus sombre : l’opposition parlementaire sonne creux, dans l’impossibilité d’exercer son rôle d’opposition propre à une démocratie saine. En effet, en pleine discussion sur la future réforme du Code du travail, les différents députés d’opposition, de droite comme de gauche, se retrouvent dans l’incapacité d’agir concrètement, leurs amendements étant systématiquement rejetés en bloc, sans discussion ni débat, par une Assemblée nationale au teint de parti unique. Le responsable de ce blocage démocratique n’est autre que le score élevé de LRM aux élections législatives, conférant au parti du président de la République 308 sièges, une majorité écrasante et historique dont la légitimité demeure néanmoins contestable. Pourtant, cette majorité écrasante n’est pas proportionnelle aux voix exprimées par les rares votants. Dans ce contexte, ne faudrait-il pas repenser les modalités d’élection de nos députés ?

C’est Emmanuel Macron, lui-même, qui avait remis le débat en lumière lors de sa campagne présidentielle. Dans le cadre de son alliance avec François Bayrou, l’ancien ministre de l’Economie sous Hollande, alors challenger pour le poste de président, avait cédé à la requête du chef de file centriste : instaurer une dose de proportionnelle pour les élections législatives de 2022. Aujourd’hui, ce débat semble loin. La France est découpée en 577 circonscriptions, correspondantes aux 577 sièges de députés à pourvoir à l’Assemblée nationale. Dans chacune d’entre-elles, les différents partis nomment des candidats chargés de remporter la circonscription en deux rounds gagnants. La conséquence de cette organisation est une grande disparité entre le score réalisé par les partis au premier tour et leur représentation au sein de l’Assemblée nationale. Pour la saison 2017-2022, la République En Marche ! décroche la timbale avec une majorité insolente mais bien loin d’illustrer les tendances idéologiques françaises plus colorée. Dans un scrutin proportionnel, l’élection se fait en un seul tour et chaque parti obtient un nombre de sièges correspondant au pourcentage de voix obtenu. L’Assemblée y gagne alors en bigarrure autant qu’en représentativité.

Mais que signifierait une simple dose de proportionnelle ? Tout simplement, qu’une partie des députés serait élue de la manière actuelle et qu’une autre serait élue en fonction du pourcentage réalisé par les partis. Cette configuration semble inapplicable en l’état. Comment imaginer, en effet, une Assemblée nationale avec des députés élus de deux manières différentes, avec donc une légitimité différente ? Cela pose un problème d’ordre constitutionnel et compromet la mise en place de la promesse présidentielle faîte à Bayrou. Décidément, l’année 2017 ne sera pas celle de la réussite pour l’ancien Garde des Sceaux, pas plus que les précédentes d’ailleurs. Aujourd’hui, plus que jamais, la France semble devoir trancher entre ces deux modes de scrutin.

ASSEMBLÉE NATIONALE

Scrutin majoritaire uninominal à deux tours ou proportionnelle ?

Sur le site de France Info, le député Bernard Debré milite pour conserver le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Il convoque pour ce faire, le caractère profondément démocratique de cette organisation : « il faut garder un lien fort entre les électeurs et le député. La proportionnelle va rompre le lien en donnant aux partis politiques une prééminence majeure. Le candidat sera désigné et dépendant de son parti. Ce sera de nouveau le régime des formations politiques. Où sera la démocratie ? Quel sera l’intérêt pour le député de sillonner sa circonscription et d’être à l’écoute de ses électeurs ? » Dans la configuration actuelle, les électeurs d’une circonscription choisissent leur député. Il y a donc un rapport de proximité qui s’instaure entre l’élu et l’électeur (du moins, dans le court espace-temps que représente une campagne électorale). Dans le cadre d’une élection au scrutin proportionnel, en revanche, ce sont les partis qui désignent les chanceux qui auront l’honneur de siéger à l’Assemblée nationale en fonction, bien entendu, du nombre de voix glanées. Les opposants à ce renouveau démocratique estiment que la proportionnelle ébranlerait froidement la proximité que le candidat instaure avec son électeur.

Néanmoins, il serait de bon ton de rappeler qu’un député est un élu national et non un élu local. L’amalgame est souvent fait et non sans raison. En effet, il est difficile pour les citoyens de ne pas se tromper quand l’aspirant député vient les rencontrer, les trouver sur le marché du dimanche, qui est parfois un enfant de la région, alors qu’il n’exercera aucunement une fonction à leur échelle, mais pour l’ensemble du territoire. L’élection par circonscription tend à entretenir le quiproquo. On pense par exemple à Jean-Luc Mélenchon qui avait dû batailler dans la circonscription marseillaise pour faire valoir la légitimité de sa candidature face à Patrick Menucci, député sortant, lui reprochant son arrivisme à sa non-connaissance de la cité phocéenne alors que son mandat se joue à l’échelon du pays. On pense également aux différents débats télévisés entre les finalistes des seconds tours où l’amalgame poursuit sa route, car souvent, des sujets locaux sont abordés : le traitement des crèches, le sort réservé à la centrale nucléaire du coin et bien d’autres. Or, un député est un représentant du pouvoir législatif, un maillon essentiel dans l’exercice de la démocratie pour le pays tout entier et non un représentant de sa commune.

CrowdLe député, un élu au service de la nation et non d’une partie de la France

L’élection législative a pour vocation de désigner des élus de l’Assemblée nationale, c’est donc une élection à l’échelle de la nation. Pour la proximité, il y a les cantonales, les régionales et les municipales, les candidats pourront alors y aller de bon cœur sur les poignées de main gaillardes, les clins d’œil complices et les promesses en l’air, les yeux dans les yeux. Un député est un élu qui œuvre pour le pays tout entier, il n’a plus de compte à rendre auprès d’un petit groupe d’électeurs, mais à tous les citoyens français et de ce fait, une quelconque proximité entre le député et les habitants d’une circonscription n’a pas lieu d’être. Un scrutin proportionnel se conformerait donc davantage au caractère national de député, chaque candidat de la liste irait alors faire campagne pour des projets dont les conséquences touchent l’ensemble du pays et non pour sa personne (et carrière).

La différence est de taille : d’un côté, une lutte pour une vision pour le pays, de l’autre, le risque de perpétuer le carriérisme politique et le culte de la personnalité qui en découle. Mais Bernard Debré fait valoir un autre argument, argument qui sonne comme un leitmotiv dont les politiques ne semblent jamais devoir se lasser : « Il faut préserver une majorité forte pour le gouvernement. Comment gouverner notre pays sans majorité ? A quoi servirait l’élection présidentielle si une fois élu, le président n’a pas de majorité pour faire appliquer son programme ? » Nous avons déjà évoqué dans un précédent article les dangers d’une majorité parlementaire écrasante pour le président, configuration contraire à l’esprit même de la constitution de 1958. L’actualité nous le prouve aujourd’hui, avec un président « Jupitérien » avec une mainmise sur tous les rouages du pouvoir.

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La proportionnelle ne changerait pas la face du monde, certes, mais le peu qu’elle changerait serait déjà déterminant. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur les différences qui existent entre les scores réalisés par les partis au premier tour et le nombre de sièges qu’ils ont finalement arrachés. Par exemple, la France Insoumise aurait obtenu 63 sièges, dans une proportionnelle, au lieu des 17 qu’elle compte actuellement. Par la force des choses, le Front National aurait également obtenu 17 fois plus sièges. Ces chiffres démontrent que le scrutin majoritaire actuel ne donne donc pas une assemblée représentative des aspirations du peuple français.

Bon nombre d’observateurs déplorent à chaudes larmes l’augmentation de l’abstention, réaction d’un peuple qui ne se sent plus représenté en politique. Le scrutin proportionnel seul ne saurait venir à bout de ce phénomène. Mais il paraît tout de même évident que ce modèle inciterait les citoyens à se rendre aux urnes, car dans ce contexte, chaque voix compte, alors qu’aux dernières élections législatives, beaucoup d’électeurs n’ont pas pris la peine de quitter leur salon faute de candidats les représentant au second tour. Encore une fois, tapi dans l’ombre, le spectre du vote utile en a fait fuir plus d’un. Autre avantage de la proportionnelle, la possibilité pour les partis minoritaires d’entrer à l’Assemblée nationale, chance qui ne peut embrasser leur plus folles chimères dans l’état actuel des choses. Toute nouvelle idée politique, sans le soutien de la casse politique dominante et des médias, est ainsi immédiatement tuée dans l’œuf. Le Parlement leur est tout simplement interdit, circulez y’a rien à voir !

Il est donc urgent, au vu du déséquilibre grandissant de la séparation des pouvoirs, de questionner l’organisation de nôtre démocratie et entre autres, la manière dont nous élisons le pouvoir législatif, à savoir nos députés. Plus que jamais, dans l’histoire de la Vème République, le président a la mainmise à la fois sur le gouvernement et sur l’Assemblée Nationale. Il serait de bon ton de rappeler que, de nouveau, cette organisation peu démocratique est spécifique à la France et que dans la plupart des pays européens – Suisse, Allemagne, Belgique pour ne citer qu’eux – l’élection des députés se fait par le biais d’un scrutin proportionnel.

La France se trouve aujourd’hui dans une situation inquiétante. Amnesty international s’inquiète d’ailleurs du chemin que prend de notre démocratie (ou ce qu’il en reste), notamment avec la volonté du gouvernement de faire entrer les mesures de l’état d’urgence dans le droit commun. C’est aujourd’hui, un seul homme qui mène le jeu de tout l’échiquier institutionnel français. Loin de faire un constat alarmiste, cette situation doit être l’électrochoc du réveil français. Une démocratie ne peut être appelée comme telle s’il n’existe aux plus hauts sommets de l’édifice politique des moyens de pressions divergents et des possibilités d’oppositions concrètes aux lubies d’une minorité de personnes à la réforme facile, qui dégainent des projets de loi comme des cowboys défouraillant leurs revolvers, avec l’ambition affichée de transformer le pays en start-up américaine au nom de l’économie triomphante.

Barra Tristan

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