D’élection en élection, les résultats se déplacent vers l’extrême droite. Un phénomène que l’on peut en partie attribuer à un élargissement de la fenêtre d’Overton dans cette direction, favorisé par certains médias réactionnaires — notamment ceux du groupe Bolloré. Décryptage.

Inspirée du juriste états-unien Joseph Overton, la « fenêtre d’Overton » désigne l’ensemble des idées et opinions considérées comme acceptables dans le débat public à un moment donné. Politiciens et médias peuvent influencer cette norme en rendant certaines positions progressivement plus acceptables aux yeux de l’opinion.

Des frontières mouvantes

Selon l’époque où l’endroit, les idées ou les propos acceptables dans une société peuvent drastiquement varier. Ainsi, tenir des discours en faveur de l’esclavage n’aurait pas le même retentissement en France en 1600 qu’en 2025. De même, interdire la consommation de viande dans notre pays de nos jours apparaîtrait sans doute comme intolérable par l’immense majorité des gens. Mais qu’en sera-t-il dans un ou deux siècles ?

« nos mœurs et les limites de l’acceptable évoluent donc constamment ».

Au fil des ans, nos mœurs et les limites de l’acceptable évoluent donc constamment. Et parfois de façon spectaculaire sur une durée assez courte. Pourtant, ces évolutions ne vont pas forcément toujours dans le bon sens. On peut prendre l’exemple du Rassemblement National contre qui la quasi-intégralité de la population luttait il y a près de trente ans. Et voilà qu’aujourd’hui, il incarne un parti comme un autre aux yeux de nombreuses personnes. Mais comment en est-on arrivé là ?

Les six stades de l’élargissement

Overton explique qu’il existe selon lui six stades pour qu’une idée intolérable soit couramment admise par la société. Une opinion est d’abord impensable ; pratiquement personne ne la conçoit. Puis elle entre dans la période de radicalité ; une minorité commence à s’en emparer.

Elle vire plus tard vers l’acceptable, il n’est plus extrémiste de partager cette opinion. Arrive ensuite la phase dite « sensible », où les médias en parlent parfois sans décrire l’avis comme marginale. Par la suite, l’idée devient populaire parmi les citoyens, avant de finalement être reprise par la quasi-intégralité des politiciens dans son stade ultime.

Une manipulation idéologique

Ce processus d’agrandissement de la fenêtre peut aller d’un extrême à l’autre. De fait, c’est même la fenêtre elle-même qui définit ce qui est extrême ou non. En politique, le pôle « central » tend d’ailleurs à se déplacer de plus en plus à droite au fil du temps.

@macho.boulot.dodo

L’extrême droite et la fenêtre d’Overton #tiktokacademie

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Si l’on prend l’exemple d’Emmanuel Macron censé représenter « le centre » actuellement, on peut pourtant noter que son idéologie est loin d’être à mi-chemin entre l’extrême gauche et l’extrême droite. Il est en effet beaucoup plus proche de la seconde que de la première.

L’extrême droite portée aux nues

On peut expliquer ce phénomène par la banalisation de plus en plus importante de l’extrême droite à travers le monde. Cette montée en puissance est intimement liée à l’élargissement de la fenêtre d’Overton de ce côté du spectre politique.

Si la gestion calamiteuse des néolibéraux a représenté un terreau fertile pour cette expansion, il ne faut cependant pas éluder le rôle des médias, et notamment dans le cas français de Vincent Bolloré.

L’exemple d’Éric Zemmour est d’ailleurs particulièrement illustratif du phénomène. À force de lancer à tort et à travers des positions outrancières à la télévision, il a non seulement permis au Rassemblement National de paraître plus raisonnable, mais il a aussi fait essaimer ses idées à travers toute la droite traditionnelle. En témoigne le virage de plus en plus extrémiste des Républicains qui n’hésitent plus à reprendre des théories complotistes comme celle du grand remplacement.

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L’extrême gauche invisibilisée

De l’autre côté, l’extrême gauche est complètement invisible dans le champ médiatique. À tel point que pour bon nombre de Français, c’est la France Insoumise, parti réformiste de gauche traditionnelle, qui est perçue comme ce qui existe de plus extrême de ce côté.

Précisément, il s’agit du mouvement politique français audible le plus à gauche du pays. Il se trouve déjà à la limite de la fenêtre d’Overton, et bon nombre des politiciens et médias font en sorte de l’en exclure.

Et pourtant, il demeure de nombreuses idées de gauche bien plus radicales que celles de LFI. On peut d’abord penser aux partis trotskystes dont les scores faméliques témoignent de leur faible audience. Il n’est d’ailleurs pas anodin de noter à quels points ces mouvements sont extrêmement rarement invités à la télévision.

Un chantier à entreprendre

Pire, d’autres points de vue encore plus radicaux, comme celui des anarchistes ou des communistes libertaires ne seront strictement jamais entendus. De fait, en dehors des sphères militantes et intellectuelles, ces idées sont reléguées au mieux au rang d’utopie, au pire catégorisées comme dangereuses ou inconcevables. Très loin hors de la fenêtre d’Overton.

Or, pour faire évoluer cette situation, il est évident qu’il ne faudra pas compter sur les journalistes de masse, ni même sur les politiciens les plus célèbres. Les mouvements sociaux, les militants ou encore les médias indépendants portent en revanche la charge d’informer sur ces alternatives pour les rendre acceptables, audibles et surtout crédibles.

À ce titre, certaines victoires ont d’ailleurs déjà été arrachées de cette manière, comme la sécurité sociale, véritable îlot communiste au sein d’un océan capitaliste. Mais on peut aussi penser aux combats féministes, comme MeToo, ou antiracistes qui ont largement su faire bouger les lignes, voire antispécistes. Ces victoires restent toutefois fragiles et semblent être parfois gelées aux stades de la radicalité, ou tout juste de l’acceptable, malgré leurs résistances de longue date. La lutte se poursuit toutefois pour continuer à élargir la fenêtre d’Overton dans le bon sens.

– Simon Verdière


Image d’entête @Nika Benedictova/Unsplash

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