Bien souvent, en période de crise, on observe une poussée de l’extrême droite dans les urnes. Un phénomène qui peut paraître étonnant au regard de l’Histoire et des dégâts que l’extrême droite a causé aux franges populaires et minorités. Surtout lorsque l’on constate la faible popularité de la gauche qui propose pourtant une politique en adéquation avec les intérêts du peuple.

En 2022, les trois candidats d’extrême droite rassemblaient pas moins de 32,45 % des suffrages au premier tour des présidentielles françaises. En Italie, en Hongrie, en Suède, au Brésil ou aux États-Unis, ce camp a même réussi à prendre le pouvoir très récemment. Comment analyser cette montée en puissance dans cette période de troubles ? Voici cinq raisons pour expliquer ce phénomène.

Le 22 octobre 2022, Giorgia Meloni a été nommée à la tête du gouvernement italien. Elle est dirigeante du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia. Wikicommons.

1. La stratégie de la peur

Les crises provoquent évidemment des bouleversements majeurs. Et comme tous les changements, ils nous conduisent vers une situation incertaine. Or, la peur de l’inconnu est un mécanisme évolutif parfaitement naturel. De fait, à travers les âges, en se méfiant de ce qui lui était étranger, l’être humain a pu se préserver de potentiels dangers.

Or, l’extrême droite a très bien compris ce processus et elle en use énormément pour arriver à ses fins. C’est pour cette raison qu’elle joue constamment la carte du « déclin » et du « c’était mieux avant ». Éric Zemmour met ainsi très fréquemment en avant un passé fantasmé qu’il entend restaurer. On avait d’ailleurs vu Donald Trump procéder exactement de la même façon avec son fameux slogan « Make America great again » (rendre sa grandeur à l’Amérique).

En faisant référence à une époque connue, confortable, de laquelle les gens ne retiennent naturellement que les bons côtés, les identitaires parviennent à séduire une large partie de la population. À l’inverse, ils pointent du doigt les nombreuses transformations entraînées d’un côté par les politiques austéritaires de la droite libérale et les évolutions proposées par la gauche, notamment au niveau de la société.

Sans faire le tri entre ce qui pourrait être positif ou non, l’extrême droite dénonce tous les changements qui ne seraient que le chemin vers toujours plus de décadence. Leur projet, au contraire, s’articule plutôt autour d’un retour vers un prétendu « âge d’or » qui n’a en réalité jamais existé, mais qui est une idée plus que réconfortante.

2. Des thèses simplistes faciles à assimiler

La stratégie de la peur de l’inconnu s’appuie également sur une aversion pour l’altérité et la différence. Ainsi, cette crainte de ce que l’on ne connaît pas peut très facilement se transformer en haine envers des « boucs émissaires ».

Cette animosité va être dirigée par l’extrême droite vers plusieurs catégories de population, que l’on désignera comme les responsables de tous nos maux. Elle visera d’abord bien sûr les immigrés, mais aussi les musulmans, les juifs, les écolos, les véganes, les gauchistes, les individus racisés, les personnes LGBTQIA+ ou encore les personnes précaires. Ignorant tout du mode de vie de ces personnes, l’extrême droite alimente leur stigmatisation puisqu’elles représenteraient une menace pour la suprématie blanche, hétérosexuelle, bourgeoise et chrétienne. Là où la nature d’une crise peut-être extrêmement complexe et s’expliquer par de multiples facteurs, l’extrême droite se contentera de pointer du doigt une partie du peuple.

Dans un monde où tout va très vite et où on prend rarement le temps d’analyser froidement les choses, le discours de gauche qui tentera de décrypter une situation avec des faits rationnels sera facilement balayé par celui des identitaires qui utiliseront une logique simple et basique du type « Vous êtes pauvres à cause des immigrés qui vous volent vos emplois et profitent de vos impôts ». Accepter des mœurs modernes ou de nouveaux modes de vie pour s’adapter aux transformations environnementales ou sociétales effraie aussi beaucoup de gens qui préfèrent sans doute la politique de l’autruche de l’extrême droite qui va souvent jusqu’à nier l’existence de ces évolutions inévitables.

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Ce n’est de même pas anodin si les théories complotistes ont un succès certain de ce côté de l’échiquier politique. Sur certains sujets, comme le dérèglement climatique, elles permettent d’entretenir une forme de déni, et sur d’autres, comme la mondialisation, elles servent à renforcer des mécanismes identitaires et réactionnaires face à un « modèle civilisationnel » en danger.

Puisque leurs arguments sont fondés sur les sentiments des gens (et notamment la peur et la haine) à l’inverse de leur rationalité, ils ne peuvent fonctionner qu’en période de grave crise économique ou sociale. Et c’est d’ailleurs toujours en réponse à ce type d’évènement que l’extrême droite a réussi à accéder au pouvoir : la première guerre mondiale pour Mussolini, la crise de 1929 pour Hitler ou encore la crise de 2008 pour Trump ou Bolsonaro.

Dans ce contexte où l’individualisme est constamment mis en avant par la société, il est aussi plus tentant pour de nombreuses personnes d’agir avant tout par égoïsme pour faire face aux perturbations. Le discours de la gauche qui préconise l’entraide y compris dans ces situations a donc plus de mal à porter, et ce même si les observations scientifiques semblent démontrer que ce comportement reste le plus adapté pour survivre.

3. La responsabilité du capitalisme et des médias aux ordres

Si l’extrême droite arrive à autant profiter des situations troubles, il est évident que la responsabilité du phénomène est à partager avec le néolibéralisme : Il ne faut pas perdre de vue que les crises que nous subissons sont inhérentes au capitalisme et à ses travers. Or, dans cette situation, la bourgeoisie et les plus fortunés préféreront toujours l’extrême droite par rapport à la gauche. Partout dans le monde, elle est même devenue leur adversaire favori.

L’élite financière sait pertinemment qu’elle pourra l’emporter plus facilement contre les candidats d’extrême droite que face à la gauche qui propose des solutions réellement différentes. Dans le pire des cas, elle a également conscience qu’en cas de défaite, l’extrême droite ne menacera jamais les intérêts des plus privilégiés. Quitte à être vaincue, elle préférera donc toujours les identitaires aux progressistes. La diabolisation de la gauche s’inscrit ainsi complètement dans ce processus. Pour ne surtout pas remettre en cause le capitalisme, les camps socialistes, communistes ou écologistes ne doivent en aucun cas arriver au pouvoir.

Pour éviter cette « catastrophe », les néolibéraux n’hésitent pas à jouer sur le terrain des identitaires en reprenant leurs mots et leur concept et en excluant la gauche du champ démocratique et même du raisonnable. Évidemment, les représentants politiques du système en place ne sont pas les seuls à œuvrer dans ce sens.

La bourgeoisie dispose également d’une arme de destruction massive : les médias de grande écoute. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si les milliardaires en ont acheté la quasi-intégralité. Quand télévision, radio et journaux passent leurs existences à chanter les louanges du néolibéralisme, il devient difficile pour la gauche de s’imposer dans l’opinion publique. C’est d’autant plus vrai à l’heure actuelle où l’extrême droite commence doucement à s’installer dans le paysage sous l’impulsion de l’empire Bolloré.

4. Les fausses promesses

Si l’extrême droite a aussi souvent réussi à s’imposer dans l’Histoire, c’est également parce qu’elle avance masquée. Il est très rare que des individus se revendiquent eux-mêmes d’extrême droite. Presque personne non plus ne va ouvertement se réclamer du nazisme ou fascisme. Pire, certains leaders identitaires, non contents de refuser d’assumer leurs héritages tentent même de le faire reposer sur la gauche. En plein confusionnisme, plusieurs militants, dont Éric Zemmour, ont ainsi menti sans honte en clamant qu’Hitler et Mussolini étaient de gauche.

Ironiquement, ces affirmations sont d’ailleurs fondées sur un autre facteur de montée de l’extrême droite : ses mensonges. De tout temps, pour séduire, les dirigeants d’extrême droite ont en effet utilisé des morceaux de rhétoriques de gauche (incohérents avec l’ensemble de leur discours, mais peu importe) pour plaire aux masses.

Hitler et Mussolini ont, par exemple, laissé transparaître dans certaines de leurs déclarations une sympathie pour les idées socialistes (qui ne s’est bien sûr jamais traduite par des actes, bien au contraire). On retrouve aujourd’hui les mêmes procédés chez Marine Le Pen. De nombreux observateurs n’hésitent d’ailleurs pas à dire qu’elle a un programme social. En réalité, elle puise seulement quelques éléments de langage des discours de gauche pour les inclure dans son projet. Mais lorsque l’on creuse un peu et que l’on étudie le comportement du parti à l’Assemblée Nationale, il est constaté qu’il se tient du côté des riches et du capitalisme, et certainement pas de celui des travailleurs et des plus précaires.

5. La structure du système et la sociologie des votants

Pour finir, un autre élément favorise clairement l’extrême droite par rapport à la gauche : la nature du système électoral. Nous votons en effet pour des candidats qui présentent un programme qu’ils n’ont aucune obligation de respecter. De plus, il est impossible de choisir seulement les mesures qui nous conviennent ; lorsque l’on opte pour un candidat, nous sommes contraints d’adhérer à toutes ses propositions. Or, les thématiques phares de l’extrême droite sont bien plus simples à assimiler.

L’hyper personnalisation du scrutin fait également que chaque incartade des prétendants de gauche est systématiquement scrutée, d’autant plus que leurs projets de transformation sont désignés par les médias comme « moralisateurs ». À l’inverse, l’extrême droite canalise une grosse partie de la colère de certains.

Pour couronner le tout, l’extrême droite dispose d’un avantage certain sur la gauche en ce qui concerne la sociologie des votants. En effet, les thématiques passéistes et réactionnaires ont beaucoup plus de chance de porter sur un électorat âgé. Or, c’est précisément cette catégorie de population qui se rend le plus aux urnes. Les jeunes, qui sont le cœur de la gauche ont à l’inverse tendance à moins se déplacer.

Au sein des abstentionnistes en général, il y a, de plus, énormément de sympathisants des idées de gauche, mais désabusés de la politique ou du mode de désignation du pouvoir. C’est bien la gauche qui pâtit le plus de l’abstention parce qu’elle concerne en majorité les moins âgés et les classes populaires.

C’est de même cette catégorie de la population que les tenants du capitalisme essaient à tout prix de désintéresser de la question politique en les assommants de travail et de divertissements abrutissants et superficiels. Une situation qui n’aide bien sûr pas à réfléchir et qui favorise donc encore une fois les thèses simplistes de l’extrême droite.

La victoire de l’extrême droite n’est pas une fatalité

Après avoir expliqué les mécanismes de la montée des identitaires et le danger qu’ils représentent, il convient tout de même de rappeler que l’extrême droite ne sort pas systématiquement victorieuse des moments de crises. Il est possible d’assister à un duel entre elle et la gauche, et cette dernière peut l’emporter.

Journal « Le Populaire », n°4831, 4 mai 1936. Wikicommons.

Ce fut par exemple le cas en 1936 avec le Front populaire, ou plus récemment en Amérique Latine avec Lula, Correa, Castillo, Obrador ou encore Arce. Et encore, faut-il analyser de quel pan de la gauche (gauche libérale ou gauche anticapitaliste) il est question. Reste maintenant à renouveler l’expérience dans un pays occidental de grande influence. Et pourquoi pas la France ?

– Simon Verdière


Photo de couverture : Montage Mr Mondialisation avec de g. à d. Jair Bolsonaro, Giorgia Meloni, Viktor Orban, Eric Zemmour, Donald Trump

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