Face au scandale sanitaire et écologique des mines d’or illégales en Guyane française, l’audience pour carence fautive de la France s’est tenue samedi 27 février 2021. C’est l’un des 5 procès fictifs du Tribunal européen des droits de la Nature en défense des écosystèmes aquatiques. Les associations Wild Legal, ONAG, Association des femmes victimes du mercure, Maiouri Nature Guyane, la compagnie des Guides de Guyane et le collectif Or de question se sont associées pour alerter sur la situation dramatique qui frappe de plein fouet la Guyane française, ses écosystèmes et sa population. Elles jugent l’État français comme premier responsable, par son inaction. Nous y avons assisté.

Face au scandale sanitaire et écologique des mines d’or illégales en Guyane française, l’audience pour carence fautive de la France s’est tenue ce samedi 27 février 2021. C’est l’un des 5 procès fictifs du Tribunal européen des droits de la Nature en défense des écosystèmes aquatiques. Les associations Wild Legal, ONAG, Association des femmes victimes du mercure, Maiouri Nature Guyane, la compagnie des Guides de Guyane et le collectif Or de question se sont associés pour alerter sur la situation dramatique qui frappe de plein fouet la Guyane française, ses écosystèmes et sa population. Comme expliqué dans un précédent article, les cinq procès fictifs de ce tribunal citoyen sont organisés par le pôle européen de l’Alliance mondiale pour les droits de la nature (GARN) chaque dernier samedi du mois entre janvier et mai 2021. Ils ont pour vocation de sensibiliser l’opinion publique mais, surtout, d’interpeller les décideurs publics sur l’insuffisance du droit actuel à intégrer et protéger les droits des écosystèmes aquatiques dans la législation. Nous avons été invités à assister au procès du mois de février, quant aux conséquences de l’orpaillage illégal en Amazonie française. 

Depuis plus de 30 ans, la Guyane française est sévèrement touchée par l’orpaillage illégal, une activité dévastatrice tant pour l’environnement, notamment le fleuve Maroni, que pour les peuples autochtones qui y vivent et dont la santé est menacée.  Un véritable scandale sanitaire et environnemental qui demeure pourtant impuni. Pourquoi ? Qui est responsable ? Qui en est victime ? Le droit de l’environnement actuel est-il suffisant pour enrayer cette situation désastreuse ? L’audience nous a permis de répondre à toutes ces interrogations. Nous faisons le point pour vous.

Un procès pas comme les autres

Dès le début, on observe que cette audience n’est pas comme les autres. La philosophie des droits de la nature est rappelée dès le début par le co-secrétariat, dans un bref discours d’ouverture : 

« Les droits de la nature constituent une nouvelle approche du droit de l’environnement, considérant la Nature non comme un puits de ressources et services infinies à disposition des êtres humains, mais bien comme un sujet de droits en reconnaissant sa valeur intrinsèque. 

Considérant que les tribunaux du monde entier devraient traiter les cas de violations des droits de la nature à travers cette approche écocentrée, l’Alliance mondiale pour les droits de la nature a créé des tribunaux citoyens fictifs dédiés. Notre objectif est le suivant : faire en sorte que les intérêts des êtres non-humains soient considérés comme égaux à ceux des êtres humains. Or pour cela, il faut réinterroger notre relation à la Nature, et d’autant plus en Europe où le dualisme nature culture demeure prégnant. Nous ne défendons pas la nature, nous SOMMES la nature qui se défend. Nous faisons partie intégrante de cette incroyable communauté qu’est le Vivant, l’écosystème-Terre, au même titre que tous les autres êtres. »

La cérémonie de leau / Crédits photo : Alliance mondiale pour les droits de la nature

Tom Goldtooth, militant pour les droits des peuples autochtones et les droits de la nature, ouvre ensuite le tribunal par une cérémonie de l’eau – une cérémonie ancienne issue de la tradition andine. Il a prononcé quelques mots en dakota, sa langue native, et a invité chacun des participants à prendre un récipient d’eau entre ses mains pour se reconnecter avec l’eau, source de vie sur Terre. Il a déclaré : « Nous faisons partie de l’eau. L’eau fait partie de nous. Elle doit être respectée et honorée. L’eau est la mélodie et le rythme de la vie. Elle a sa propre voix, sa propre personnalité et intelligence ». La cérémonie d’ouverture a ensuite été tenue par Marie-Angèle Hermitte. Directrice de recherche honoraire au CNRS et directrice d’études honoraire à l’EHESS a été l’une des premières juristes en France à étudier le sujet des droits de la nature :

« il est important que les écosystèmes aient une voix légale pour se faire entendre. Cette rivière (Maroni), c’est l’enfant d’un bassin versant et une source inépuisable de vie et d’activité humaine ». 

Les mots du président du Tribunal, Cormac Cullinan, lorsqu’il ouvre la session, nous le confirme : ce tribunal est profondément singulier. Les intérêts de l’écosystème-Terre sont pris en considération dans leur entièreté, êtres humains comme non-humains. « Lorsque nous protégeons les écosystèmes aquatiques, nous protégeons la vie, ce qui nous est le plus précieux. Les orpailleurs illégaux connaissent les dommages que le mercure cause, mais l’attrait de l’argent est trop grand, et cela fait partie du problème auquel l’humanité est confrontée. Nous recherchons la justice, et pas seulement pour les êtres humains. Nous pensons à tous les êtres qui font partie de la communauté qu’est la Terre, et nous recherchons la justice pour tous. Nous recherchons une justice réparatrice qui guérit, plutôt que de punir les gens », explique-t-il. La procureure de la Terre, Rebecka LeMoine, renchérit :

« L’eau est un véritable trésor et devrait être traitée comme tel, mais au lieu de cela, c’est l’or qu’on traite comme un trésor »

L’orpaillage illégal, entre écocide et génocide

Marine Calmet, avocate et présidente de Wild Legal, représente l’affaire devant les juges du Tribunal. Elle explique que l’orpaillage illégal est une véritable affaire de santé environnementale : c’est un scandale sanitaire et écologique, sur le territoire de la Guyane française, qui dure depuis des années et qui est connu des autorités publiques. En effet, pour traiter l’or, les orpailleurs utilisent du mercure, dont l’utilisation est pourtant interdite par la loi française. C’est pour cela que l’on parle d’orpaillage illégal. Est-ce que cela veut dire que l’orpaillage légal tels que les projets nationaux Montagne d’or ou, plus récemment, Espérance, est plus vertueux ? Pas du tout. En réalité, de nombreux professionnels sur le terrain ont démontré qu’il existe une connivence entre les orpailleurs légaux et illégaux. Cela signifie qu’aucun projet minier de taille industrielle ne viendrait réduire l’orpaillage illégal, malgré ce que voudrait laisser croire l’industrie minière.

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Présentation du cas par Marine Calmet / Crédits photo : Alliance mondiale pour les droits de la nature

Cette contamination au mercure a lieu dans la région du Haut-Maroni. Elle touche les Wayana et les Teko, peuples autochtones établis dans cette région, et tous les écosystèmes. Son impact est presque irréversible : 

« Le mercure empoisonne tous les écosystèmes. Stocké par les plantes, consommé par les poissons, il se retrouve dans les organismes carnivores, tout au long de la chaîne alimentaire. Les rivières sont vides, la situation est désastreuse. Le mode de vie des habitants du fleuve Maroni a été complètement perturbé […] Des tests neuropsychologiques ont montré que cette contamination a entraîné une altération du raisonnement des habitants du fleuve Maroni, qui n’ont d’autre choix que de refuser leur alimentation traditionnelle pour éviter la contamination », souligne-t-elle. 

Crédits photo : WWF France

Linia Opoya, représentante des habitants de Taluen et présidente de l’Association des femmes victimes du mercure, vient ensuite prendre la parole en tant que témoin partie lésée. Elle explique ne plus manger de poisson provenant du fleuve, par peur qu’il soit contaminé. Le seul moyen pour se nourrir reste pour elle d’acheter du poisson qui n’est pas contaminé … difficile quand l’on a une famille de plusieurs enfants. Or son deuxième enfant refuse même de manger du poisson de peur de s’intoxiquer au mercure, d’en mourir ou d’avoir des maladies graves, puisqu’on lui répète depuis des années de faire attention à ce qu’il mange. Pour se nourrir, ces familles doivent donc faire des heures de pirogue pour trouver un supermarché et essayer d’acheter quelque chose avec l’aide de l’Etat, qui est insuffisante pour couvrir leurs besoins. Une situation de dépendance qui est très difficile à vivre au quotidien : il n’y a ni résilience alimentaire des territoires, ni respect des traditions culturelles. 

Ce témoignage qui n’est pas sans rappeler le scandale de la chlordécone dans les Antilles françaises, où les habitants doivent choisir entre manger des aliments contaminés mais qu’ils n’ont pas besoin de payer, ou acheter des produits non-contaminés. 

L’Etat français jugé responsable pour inaction

Qui est responsable ? Il serait trop simple de pointer du doigt les orpailleurs illégaux, attirés par l’espoir d’une vie meilleure et qui, pour la plupart, sont également victimes des maladies du fait de leurs conditions de vie, ou plutôt de survie. Si les orpailleurs illégaux sont responsables de la destruction directe de ce scandale sanitaire et environnemental, encouragés par la grande misère humaine dans la région et les prix de l’or sur le marché, l’Etat français est en réalité le premier responsable de cette affaire. Les associations requérantes soulèvent sa carence fautive dans la lutte contre l’orpaillage illégal sur le territoire du Haut Maroni.

Mines illégales en Guyane française / Crédits photo : Marine Calmet

Selon Alexis Tiouka, spécialisé dans les droits des peuples autochtones, l’État français a connaissance de cette destruction et n’a pas pris les mesures nécessaires pour enrayer la situation. Par son inaction, la France est donc responsable de la violation des droits de la nature. Il s’explique :  « L’État français doit être tenu pour responsable de l’atteinte à l’accès des habitants du Haut-Maroni à une vie saine et au maintien de la sécurité alimentaire de ses habitants. Cela implique la reconnaissance des populations autochtones pour permettre la préservation de leurs droits fondamentaux et de leurs moyens de subsistance, de leurs territoires et de leurs ressources naturelles. » L’Etat français a en effet signé la Déclaration universelle des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones, en octobre 2007, tout en expliquant qu’il n’y avait pas de peuples autochtones sur son territoire. Il préfère user de la périphrase « communautés d’habitants tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt du milieu naturel », ce qui lui permet de ne pas être tenu d’appliquer ladite convention sur son territoire. Surtout, l’Etat français ne souhaite pas reconnaître la présence de peuples autochtones, parce-que la Constitution française indique que la France est une République « une et indivisible ». Pour assurer l’égalité des citoyens, il serait donc impossible de reconnaître des particularismes. Autrement dit : la France accepte de signer un texte qui protège les droits des peuples autochtones, tant qu’elle n’a pas à s’y soumettre, c’est-à-dire tant qu’elle n’a pas à reconnaître que des peuples autochtones vivent sur son territoire. Habile (et malhonnête, il faut le dire).

Il insiste aussi sur les impacts de l’industrie aurifère illégale dans son ensemble, au-delà de l’utilisation du mercure, en faisant référence aux pratiques des orpailleurs. Celles-ci sont peu respectueuses de l’environnement : entre braconnage et déchets (plastiques, boites de conserve, essence, gaz, entre autres), il affirme que le fleuve Maroni est devenu une véritable « poubelle à ciel ouvert » :

« à marée haute, le plastique reste à 10 mètres au-dessus du niveau du fleuve, suspendu aux branches des arbres. La contamination est permanente, par le déversement de gaz et de déchets humains. Le fleuve se meurt peu à peu, et les poissons comme les hommes en vivent les conséquences »

La Guyane française, une colonie qui tait son nom ? 

C’est ce que laisse entendre Tom Goldtooth, le juge chargé de cette affaire, lorsqu’il clôture la session. « Cette affaire accompagne la violation des droits humains : écocide, génocide des peuples autochtones. La France n’a pas su protéger le fleuve et a échoué dans la reconnaissance des droits inhérents des peuples autochtones. La France est engagée dans la violation des droits des peuples autochtones : domination, patriarcat et colonialisme dans leurs colonies, et c’est ce à quoi nous assistons dans ce témoignage en Guyane française. Ces événements ne sont pas isolés. L’or est vendu ailleurs, il y a de nombreux complices dans ces actions globales et régionales, non seulement en Guyane française mais aussi au Brésil, dans toute l’Amérique du Sud. Nous devons demander des comptes à la France », a-t-il conclu. 

Une conclusion percutante, qui montre les apports concrets d’un droit écocentré aux jugements d’affaires de violation des droits de la nature telle que celle de l’orpaillage illégal en Guyane française. Il est certain qu’avec le droit de l’environnement actuel, les juges n’en seraient pas arrivés à la même conclusion …

Si la situation sanitaire le permet, le verdict du tribunal sera rendu en personne à Marseille, lors du congrès de l’IUCN qui se tiendra du 3 au 11 septembre 2021. Pour celles et ceux qui souhaitent visionner le tribunal dans son entièreté, la retranscription vidéo de l’audience en français est disponible ici

– Camille Bouko-levy

* Les intervenants étaient : Marine Calmet, présidente de l’association Wild Legal, Alexis Tiouka, expert en droit des peuples autochtones et Linia Opoya, présidente de l’association des femmes victimes du mercure et habitante de Taluen, un village amérindien du Haut Maroni. La session a été présidée par des juges reconnus internationalement reconnus pour leur connaissance de la justice environnementale : Cormac Cullinan, avocat et écrivain (Wild Law : A Manifesto for Earth Justice), Lisa Mead, avocate et fondatrice de l’Earth Law Alliance, Valérie Cabanes, avocate internationale et membre de Stop Ecocide, Tom BK Goldtooth, directeur de l’Indigenous Environmental Network, militant pour les droits des peuples autochtones et les droits de la nature. Le co-secrétariat était représenté par Camille Bouko-Levy, et la procureure de la Terre était Rebecka LeMoine.

Programme des cinq procès fictifs / Crédits photo : Alliance mondiale pour les droits de la nature
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