Un lecteur, que nous appellerons Jean, nous a écrit pour nous raconter le véritable combat qu’il mène pour faire reconnaître son handicap auprès des institutions. Un témoignage que nous partageons pour rappeler les difficultés rencontrées par de nombreuses personnes pour faire valoir leurs droits dans une société où la pression toujours plus forte sur les devoirs des citoyen·nes occulte les droits – notamment via le non-recours – dont ces dernier·es peuvent bénéficier.
Le témoignage de Jean
Je vous écris aujourd’hui pour vous partager mon expérience vis-à-vis de la reconnaissance des droits liés au handicap et les difficultés des procédures à mettre en place.
Pour résumer rapidement, je suis atteint depuis petit d’une maladie héréditaire dégénérative appelée maladie de Charcot-Marie-Tooth. Je ne me plains pas de ça. Comme avec tout, on apprend à vivre avec et il y a toujours pire. Néanmoins, dû à l’impact que cela a sur le corps, je suis reconnu handicapé depuis le diagnostic auprès de la MDPH (ndlr : Maison Départementale des Personnes Handicapées).
La surprise a été, qu’à mes 18 ans, la MDPH m’annonce que mon taux d’incapacité a diminué du fait de « l’évolution positive » de ma maladie (maladie dégénérative et incurable, je le reprécise). Ce taux d’incapacité influe directement sur l’allocation aux adultes handicapé·es ; la fameuse AAH qui n’est pas déconjugalisée malgré les pétitions ayant abouties au Sénat et à l’Assemblée Nationale. Pour contester cette décision, j’ai entrepris une action en justice contre la MDPH en 2016.
Nous sommes désormais à plus de sept ans après le début de la procédure, un an et demi après la décision finale en appel validant mon recours. J’ai connu trois audiences devant des juges et deux expertises médicales ordonnées par le tribunal.
Aussi bien la décision du tribunal de grande instance que l’appel ont été en ma faveur. Pourtant, la MDPH peut ne pas appliquer les décisions de justice. Je n’ai aujourd’hui plus aucun recours juridique qui s’offre à moi. Je n’ai plus qu’à attendre et espérer.
Encore une fois, je ne veux pas me plaindre, je sais que les procédures juridiques prennent du temps, que le service public est entièrement étouffé faute de moyens (humain et économique). J’ai au moins la chance de faire des études qui me plaise (même si travailler dans la culture n’est peut être pas un si bon plan d’avenir) et d’avoir réussi à m’en sortir jusque là.
Néanmoins, ces questions restent éminemment politiques et sont représentatives d’un système qui fait tout pour être excluant, pour épuiser moralement les citoyen·nes, pour s’attaquer en premier aux précaires. C’est aussi la représentation d’un pouvoir totalitaire dont les instances de justice et de contrôle n’ont elles-mêmes plus qu’un pouvoir réduit.
Chronologie du long parcours vécu par Jean
Le 4 mars 2011, je suis diagnostiqué atteint de la maladie de « CHARCOT-MARIE-TOOTH » par le docteur T. Le docteur T. précise que cette pathologie se manifeste par une gêne fonctionnelle motrice des membres inférieurs et supérieurs. Madame D., ergothérapeute, indique en mai 2011 que j’ai des difficultés évidentes en écriture manuscrite et préconise l’utilisation d’un ordinateur.
Le 10 mai 2012, la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) me notifie une décision dans laquelle elle reconnait un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 %. Dans cette même décision, il m’est accordé l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé pour la période du 1er mars 2012 au 31 mars 2014.
Le 10 janvier 2013, la CDAPH m’attribue une carte d’invalidité avec un taux supérieur ou égal à 80 % valable jusqu’au 31 octobre 2017.
Le 13 mars 2014, la CDAPH reconnait de nouveau un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80 % et accorde le renouvellement de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé pour la période du 1er avril 2014 au 30 novembre 2016.
Le 8 janvier 2015, la Commission de la MDPH me reconnait la qualité de travailleur handicapé.
Le 30 juin 2015, la MDPH des Yvelines me notifie un avis favorable pour la mise en place du remboursement des frais de transport par un service dédié entre le domicile et le lieu de scolarité en indiquant : « La gravité de votre handicap, médicalement établie, ne vous permet pas d’utiliser les transports en commun ».
Le 31 décembre 2016, devenu majeur en novembre, je dépose une demande de renouvellement de la carte d’invalidité et une demande d’AAH.
Par deux décisions en date du 6 mars 2017, la CDAPH refusait le renouvellement de la carte d’invalidité ainsi que l’attribution d’une AAH. J’obtenais à la place une carte de priorité pour personnes en situation d’handicap accordée jusqu’au 31 octobre 2019. Ces décisions fixaient un nouveau taux d’incapacité compris entre 50 et 79 %. De façon très surprenante, la décision relative au refus de renouvellement de la carte d’invalidité indiquait que cette décision a été prise en considération de « l’évolution favorable de sa situation de handicap ». La maladie de Charcot-Marie-Tooth étant pourtant une maladie incurable et dégénérative.
Le 23 avril 2017, je demande un recours gracieux à l’encontre de ces deux décisions. La décision sera néanmoins entérinée après une entrevue avec la MDPH.
Grâce à l’aide d’une assistante sociale (particulièrement bienveillante et professionnelle) et de la MAIF, nous faisons appel à un cabinet d’avocat·es (également compréhensif et rigoureux) pour nous assister dans la procédure. Nous saisissons alors le tribunal du contentieux de l’incapacité (accusé de réception le 6 juillet 2017).
Le 13 juillet 2017, la MDPH m’accorde de nouveau la reconnaissance de travailleur handicapé ainsi que la carte de stationnement pour personnes en situation d’handicap.
Le 23 janvier 2018, je reçois une convocation au tribunal du contentieux de l’incapacité pour une audience prévue le 21 juin 2018. Plusieurs attestations médicales provenant de différents neurologues viennent appuyer mon dossier.
L’audience m’est particulièrement éprouvante tant l’expression « être jugé » prend son sens. Aucun·e représentant·e de la MDPH n’est présent·e.
Le médecin délégué me dit en riant, après avoir lu une partie des attestations, qu’avoir une maladie où les seuls éléments qui peuvent retarder la dégradation sont le vélo ou le trampoline lui semble « être une vie rêvée ».
Il me dit ensuite ne pas connaître la myopathie et conseille l’avis d’un·e expert·e.
Le 29 juin 2018, la décision officielle du tribunal appuie cette proposition en me renvoyant vers le docteur L., neurologue à Paris avant décision finale.
Le 24 septembre 2018, je reçois une convocation de rendez-vous auprès du docteur L.
Le 2 octobre 2018, ce dernier est très à l’écoute et me fait part de son incompréhension face à la décision de la MDPH de réduire le taux d’incapacité.
Le 28 novembre 2018, il m’est notifié que le dossier est transféré du tribunal du contentieux de l’incapacité au tribunal de grande instance conformément à la loi Justice pour le 21e siècle qui prévoit la fermeture du TCI.
Le 8 octobre 2018, je me fais opérer des deux jambes (doubles arthrodèses + transferts tendineux) pour essayer d’empêcher la déformation des pieds, protéger à court terme mes genoux et mon dos ainsi que retrouver un meilleur usage de la marche. Je passe alors cinq mois à l’hôpital pour réapprendre à marcher. Je suis obligé de prendre une année de césure dans mes études pour cette intervention.
Le 7 janvier 2019, je suis convoqué à l’hôpital Bichat pour une consultation auprès de la doctoresse M., nouvelle experte sur le dossier désignée par le tribunal. Malgré les recherches, on ne me dira jamais ce qu’est devenu le rapport du docteur L. De par les améliorations permises par les opérations, la doctoresse M. sera plus réservée sur le taux d’incapacité mais appuiera tout de même le dossier, mettant en avant notamment « la restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi ».
Le 5 mars 2019, je suis convoqué pour une audience au tribunal de grande instance de Paris. De nouveau, aucun·e représentant·e de la MDPH ne vient.
Le 11 juillet 2019, nous recevons le jugement du tribunal de grande instance en notre faveur et indiquant notamment :
« Déclare recevable le recours,
Accorde l’allocation aux adultes handicapé·es pour une durée de dix ans à compter du 30 décembre 2016.
Condamne la MDPH de Paris à payer la somme de 800€ sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamne la CPAM de Seine-Saint-Denis aux dépens en application de l’article 696 du Code de Procédure Civile. »
Le 30 août 2019, nous recevons une déclaration d’appel de la MDPH vis-à-vis du jugement du 5 mars 2019.
Le 15 septembre 2020 a eu lieu l’audience de l’appel de la décision du TGI par la MDPH. Aucun·e représentant·e de la MDPH n’est présent·e et aucun document n’a été envoyé en amont par leur service juridique pour soutenir la demande d’appel.
Le 18 novembre 2020, la décision de la cour d’appel est rédigée et envoyée mais la copie exécutoire n’est pas remise à mon avocat suite à une complication de la part de la greffe. La décision est de nouveau en notre faveur et indique :
« La Cour constate que l’appel formé par la Maison Départementale des Personnes Handicapées des Yvelines n’est pas soutenu.
Confirme en conséquence le jugement déferré en toutes ses dispositions.
Laisse les dépens d’appel à la charge de la Maison Départementale des Personnes Handicapées des Yvelines. »
Le 9 avril 2021, nous recevons enfin la copie exécutoire de l’audience par la cour d’appel. En cinq mois, aucun contact n’est pris par la MDPH.
Aux alentours du 13 septembre 2021, un huissier a notifié la MDPH d’un commandement de saisie-vente soit presque un an après la décision de la cour d’appel.
Le 9 décembre 2021, un courrier de la Caf des Yvelines me parvient pour me demander des attestations de revenus annuels entre 2015 et 2020. C’est là le tout premier contact direct avec la partie adverse depuis 2015. La Caf étant chargée de reverser l’allocation aux adultes handicapé·es (AAH). Une chargée de mission handicap de la Caf m’explique que c’est elle qui reprend le dossier.
Le 17 décembre 2021, après plusieurs essais numériques, j’envoie l’ensemble des pièces demandées en version papier. Les documents sont tous classés par ordre chronologique, avec des intercalaires pour faciliter la lecture et le dossier s’accompagne d’une lettre de présentation de revenus afin que l’agente puisse prendre en main les différents documents le plus simplement possible. J’y décris par exemple précisément les périodes de stages effectués et les montants obtenus. On me demande également d’indiquer les revenus de ma compagne, avec qui je ne suis ni marié, ni pacsé, elle aussi étudiante, puisque nous vivons ensemble depuis deux ans.
Le 22 décembre 2022, la chargée de mission m’informe de la bonne réception des pièces. Ces dernières doivent être scannées, nommées et intégrées au dossier en ligne.
Depuis le 18 janvier 2022, il est indiqué sur mon compte en ligne Caf dans la rubrique « suivre mes démarches » que la Caf doit traiter « dans la semaine » ma demande de AAH.
Le 25 janvier 2022, la chargée de mission reprend contact avec moi. Elle m’explique qu’elle n’a plus la main sur le dossier puisque je suis désormais rattaché à la Caf de Loire-Atlantique (où j’habite désormais depuis septembre 2021) et non plus à la Caf des Yvelines. Elle m’indique néanmoins qu’elle peut voir sur le serveur interne que la Caf devrait me demander de refaire des déclarations de revenus mais, cette fois-ci, trimestrielles. S’il est nécessaire de le préciser, je suis étudiant depuis 2015 et n’ai donc jamais gagné assez pour être imposable et rentrer dans les échelles de calcul de la MDPH.
L’huissier ne peut réaliser de saisie sur compte concernant l’AAH étant donné que le tribunal n’a pas indiqué l’institution débitrice.
Le 14 mars 2022, je réussi à obtenir un rendez-vous en direct avec la Caf de Loire-Atlantique qui se trouve à plus de 70 kilomètres de chez moi. Le conseiller m’indique que le dossier est toujours en attente et que la Caf des Yvelines n’a jamais transféré les éléments que je leur avais transmis. Lorsque nous essayons de les déposer directement en ligne, une erreur apparaît.
Le 22 mars 2022, la chargée de mission me laisse un message vocal pour m’indiquer que mon dossier Caf est transféré de service en service entre la Caf des Yvelines, la Caf de Paris et la Caf de Loire-Atlantique.
Le 4 avril 2022, lors d’un second rendez-vous avec la Caf de Loire-Atlantique, la conseillère m’indique que mon dossier est désormais en attente à la Caf de Paris et qu’ils ont bien reçu depuis février l’ensemble des déclarations de revenus. Elle ne peut rien faire si ce n’est envoyer un message de relance. Je n’ai aucun moyen de les contacter puisque mon dossier actuel est rattaché à la Caf de Loire-Atlantique.
Le 27 avril 2022, sans nouvelles depuis le début du mois, je reprends un rendez-vous auprès de la Caf de Loire-Atlantique. Une conseillère très à l’écoute me dira qu’elle n’a pas beaucoup de moyens d’action mais qu’elle se renseignera si elle peut faire quelque chose. Elle m’indique qu’elle va essayer de faire valoir le paiement de l’AAH par la Caf de Loire-Atlantique à compter du premier septembre 2021 (date d’emménagement à Nantes) sans devoir attendre le paiement rétroactif de la Caf 75.
La conseillère me dit qu’elle ne voit pas la décision du procès et de l’appel dans mon dossier de Paris et qu’elle leur renvoie. Elle m’indique également que les paiements de l’AAH ont pris beaucoup de retard en France et qu’ils traitent les dossiers un par un dans l’ordre d’arrivée et non en fonction de l’urgence des situations.
Le 9 mai 2022, je peux voir sur mon dossier Caf qu’un premier versement à bien été opéré par la Caf de Loire-Atlantique correspondant aux huit mois de versement entre septembre 2021 et mai 2022.
À ce jour, je n’ai encore reçu aucun contact de la MDPH et la Caf 75 semble tout faire pour retarder l’application du jugement rendu le 11 juillet 2019.
Le mot de la rédaction
La situation commence enfin à se débloquer pour Jean. Néanmoins, pour simplement défendre ses droits élémentaires, il a vécu huit années de démarches et de procédures judiciaires chronophages et éprouvantes psychologiquement, au cours desquelles il a connu trois audiences devant des juges et deux expertises. Aussi bien la décision du TGI que l’appel ont été en sa faveur en validant son recours et pourtant il a encore du patienter un an et demi après la décision finale pour enfin se voir verser l’AAH par la Caf de Loire-Atlantique.
Et il lui reste encore à se battre contre la MDPH qui lui doit 800€ en remboursement de frais d’avocat (avancés par la MAIF) et des frais de procédures pour l’administration, ainsi que contre la Caf 75 pour les arriérés de paiement de l’AAH depuis le 30 décembre 2016 (jugement du TGI en date du 11/07/19).
Si la lecture de ce récit peut paraître alambiquée, imaginons un instant comment la personne concernée traverse ces épreuves alors que sa VIE quotidienne en est directement et durablement impactée.
Le constat est implacable : Si la loi offre une protection aux personnes en situation de handicap, l’application de cette dernière se heurte à nombre d’obstacles :
> démarches pour la reconnaissance du handicap et pour la définition du taux d’invalidité qui permettent l’obtention du statut de travailleur·euse handicapé·e,
> lutte judiciaire contre les institutions récusant ces reconnaissances ainsi que pour l’obtention de l’AAH,
> confrontation à l’immobilisme de ces institutions n’appliquant pas les jugements rendus à leur encontre. La surcharge de travail de ces mêmes institutions entrainent un retard de la prise en compte du dossier et du versement de l’AAH.
Un parcours qui doit servir d’exemple pour faire cesser l’idée reçue – et l’expression méprisable « vivre aux crochets » – selon laquelle il est facile pour une personne en situation de handicap de vivre au sein de notre société validiste.
S. Barret