En 2016, des citoyens de Haute-Marne apprennent que la société Unitech envisage l’implantation d’une laverie nucléaire et d’une usine de décontamination dans la région. Ces deux activités polluantes sont synonymes de dégradation considérable pour le territoire, son écosystème et ses habitants. Aujourd’hui, malgré la mobilisation intense de centaines de citoyens inquiets et de nombreuses associations, la préfecture vient d’annoncer l’autorisation d’exploitation pour le projet. Une décision qui ouvre la voie à une contamination radioactive de la Marne et que les opposants comptent bien combattre. Une fois de plus, les intérêts industriels prévalent sur le devoir des autorités de préserver la santé publique et l’environnement.
C’est une lutte qui dure depuis quatre ans. Elle a commencé en 2016, lorsque les habitants de la région de Haute-Marne découvrent que la société Unitech, filiale française de la multinationale américaine Unifirst, souhaitait implanter une laverie dédiée au nucléaire dans le bassin joinvillois. Les eaux usées de cette blanchisserie industrielle, qui aura pour but de nettoyer les vêtements contaminés provenant d’installations nucléaires françaises et européennes, se retrouveraient en bout de course dans la Marne.
Le projet évolue dans une certaine opacité, mais les citoyens s’organisent et aux côtés de plusieurs associations, ils luttent pendant plusieurs années pour obtenir des informations sur ce qui se prépare. Ils découvrent finalement qu’Unitech n’envisage pas uniquement la construction d’une blanchisserie du nucléaire sur le site de Suzannecourt, mais aussi d’une unité de décontamination. Ces deux projets particulièrement polluants impliquent une contamination radioactive d’un secteur encore exceptionnellement préservé.
L’impact du projet largement sous-estimé
Dès la publication du dossier d’étude d’impact du projet, des contestations se sont faites entendre. Bertrand Thuillier, professeur à l’université Lille 1, révèle à la lecture de ce rapport que l’installation comporterait des risques importants pour l’environnement. Outre la pollution quotidienne de la Marne et de toutes les communes en aval, c’est surtout les rejets de métaux lourds dans l’atmosphère, liés à l’unité de décontamination de matériel radioactif, que l’ingénieur dénonce.
Si l’étude estimait déjà les émissions de polluants dans l’atmosphère à 500 kg par an (mercure, plomb, arsenic et sélénium), Bertrand Thuillier juge cet impact largement sous-estimé. Il alerte sur les risques pour la population dans un document présenté aux associations qui s’opposent au projet. Du côté d’Unitech, le directeur général Jacques Grisot réfute les propos de l’ingénieur. « Faire croire aux gens que notre installation sera très pénalisante pour l’environnement, c’est un pur mensonge », indique-t-il à France Télévision. Il se repose ainsi sur l’avis de l’autorité environnementale, qui juge les enjeux environnementaux et de santé publique assez faibles.
La contestation déterminée des citoyens
Les différentes associations ne l’entendent pas de cette oreille, et ont réalisé un travail quotidien pour alerter la population, tout en faisant face à la mauvaise volonté de certains élus, ainsi qu’au manque de transparence des administrations. Malgré ces obstacles, les mobilisations ont réuni jusqu’à un millier de personnes en septembre 2019. En parallèle à ces mouvements, 58 communes dans la Marne et la Haute-Marne se sont officiellement positionnées contre le projet d’Unitech.
Cette opposition tenace s’est également vérifiée dans les chiffres d’une enquête publique. Parmi les 712 contributions des citoyens locaux, 87% étaient défavorables au projet. Mais contrairement aux apparences, ce dispositif ne constitue pas un outil au service de la démocratie puisque le commissaire enquêteur n’est pas contraint de rendre un avis similaire à la majorité exprimée, aussi forte soit-elle. C’est donc un avis favorable qui a été rendu par la commission, avec certes quelques réserves qui démontrent les inquiétudes des commissaires enquêteurs sur les retombées négatives de ces activités.
Un recours introduit contre le permis de construire
S’il a véritablement scandalisé les associations, cet avis favorable a constitué une étape importante pour Unitech, qui souhaite terminer les travaux début 2022, pour traiter à terme 1 900 tonnes par an de produits textiles contaminés. Mais les opposants n’ont pas dit leur dernier mot. En plus d’une présence régulière sur le terrain et dans certains médias, ils ont déposé un recours contre le permis de construire. Signé en avril 2018, ce permis n’avait été rendu public qu’un an plus tard. Quelques semaines après cette publication, le recours était introduit par le Cedra (Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs), Nature Haute-Marne, le Réseau Sortir du nucléaire ainsi que plus de 100 habitants.
Un premier rejet leur a été opposé, mais celui-ci ne concernait que la question de la suspension de l’acte pendant la durée de procédure. Le fond du dossier sera donc examiné plus tard. Le permis de construire est manifestement illégal d’après le Cedra, qui a confiance dans les arguments développés. Plusieurs dispositions légales à différents niveaux seraient ainsi violées, notamment au niveau des nuisances pour les riverains. « Les rejets gazeux émis par la laverie et en particulier de plutonium (…), constituent bel et bien des nuisances rentrant en contradiction avec le règlement », explique Juliette Geoffroy, du Cedra, qui insiste aussi sur la présence d’une crèche et d’un collège à proximité du site.
Un feu vert donné pour l’exploitation
Outre le permis de construire, Unitech avait aussi besoin, pour lancer le projet, d’une autorisation préfectorale d’exploitation de l’installation. C’est maintenant chose faite puisque la préfecture vient de communiquer sa décision et donne le feu vert, au mépris d’une large et incontestable opposition de la population. A cette occasion, les différentes associations viennent de se constituer en Collectif contre Unitech, qui aura pour objectif de coordonner la résistance. Le mouvement indique qu’en aucun cas « cette autorisation ne doit être comprise comme la réalisation opérationnelle du projet. Elle ne signifie pas non plus le renoncement du combat. Bien au contraire, elle offre de nouvelles perspectives et de nouveaux angles d’attaque. »
Le Collectif contre Unitech entend monter au créneau, et introduire un nouveau recours contre l’autorisation d’exploitation, avec l’aide d’un ou plusieurs cabinets spécialisés dans le droit environnemental. Un groupe technique a déjà mis en évidence de très nombreuses failles dans le dossier, dont la dernière version serait parsemée d’erreurs. « Nous allons enfin pouvoir traduire juridiquement ce que l’on dénonce depuis plusieurs années : un projet aux multiples nuisances environnementales et sanitaires », déclare le mouvement, qui pourra compter sur l’expérience, la communication et l’assise d’organisations nationales comme la Criirad, France Nature Environnement, Greenpeace, et Réseau Sortir du nucléaire.
Sans tenir compte de la crise sanitaire actuelle ni en comprendre les enseignements, les autorités décident une fois de plus de favoriser les intérêts privés d’un groupe industriel en dépit d’une opposition citoyenne locale écrasante. Mais pour les habitants, la bataille juridique est loin d’être terminée, et les associations disposent encore de plusieurs voies d’action pour lutter contre un projet qui menace l’écosystème et la santé des habitants de la région.