Elle est célèbre et mystérieuse, une réputation mondiale que l’Île de Pâques (Rapa Nui pour respecter le nom local) doit à ses statues monumentales : les Moai. Des géants de pierre, taillés dans la roche des volcans et dressés sur le rivage sur quasiment tout le contour du territoire. Des visages au regard grave qui, désormais, ne vénèrent plus seulement les ancêtres et les dieux, mais “surveillent” la plus grande aire marine protégée d’Amérique latine !
Les îles de Pâques et de Sala y Gómez sont des « sœurs » distantes de 415km, ces terres sont les cimes d’une gigantesque chaîne de montagnes sous-marine, relief synonyme de refuge d’une rare biodiversité. Ces eaux tropicales sont paradisiaques pour la faune marine, grâce notamment à l’isolement du lieu vis à vis de l’activité humaine, en particulier industrielle. Ce petit bout d’océan pacifique recèle des récifs de corail uniques au monde, mais également près de 150 espèces parfois inconnues ailleurs sur la planète. Le thon profite lui de ces eaux pour venir s’y reproduire massivement.
Pour protéger ces espèces, le Chili et les habitants de Rapa Nui viennent de s’entendre sur la création d’une gigantesque zone protégée de 720 000 kilomètres carrés autour des deux îles, la plus grande du continent, mais également une des plus importantes du monde. Une aire marine où l’activité humaine sera donc restreinte, voire interdite pour protéger la vie sous-marine : plus de pêche industrielle dans ces eaux, mais uniquement une pêche qui respecte les règles traditionnelles de la population Rapa Nui. Excluent également les activités minières dont le Chili tire sa santé économique. Et, enfin, une taxation spécifique peut être instaurée dans cette aire marine.
Si la carte postale est paradisiaque, les spécialistes des océans et de l’environnement le reconnaissent : la situation de la mer à Rapa Nui est préoccupante. Ils constatent une forte diminution des espèces due à la pêche illégale. Ce problème de la pêche industrielle n’est pas neuf : les pêcheurs racontent depuis des années voir des centaines de lumières dans la nuit, celles des gigantesques bateaux de pêche détenus par des compagnies étrangères. À certaines périodes, les petits pêcheurs locaux reviennent bredouille de leur sortie en mer. Les années de surpêche étrangère ont abîmé l’océan environnant.
Les autres conséquences ne sont pas minces non plus : la contamination des eaux et de la côte (rejets de déchets plastiques, filets de pêches, bouées,…) sont autant de problèmes auxquels les habitants doivent faire face jour après jour. Sans compter le tourisme en augmentation constante et les changements climatiques qui jouent également un rôle dans la raréfaction des réserves de poisson. Comme tant d’autres lieux, le petit paradis de l’Île de Pâques est bel et bien menacé.
« Te Mau o te Vaikana o Rapa Nui »
Face à ces dangers, il était temps de réagir. Ludovic Burns Tuki (en photographie) se bat depuis des mois pour la création de cette « oasis » au milieu de l’océan, avec sa petite association La Mesa del Mar, qui a pour slogan « Te Mau o te Vaikana o Rapa Nui », ce qui signifie : « les richesses de la mer de Rapa Nui ». Son ONG regroupe une vingtaine d’organisations locales, elle jouit d’une belle crédibilité sur l’île puisqu’elle multiplie les opérations (notamment de nettoyage des côtes) depuis plusieurs années et qu’elle a été invitée à la table des négociations avec le gouvernement chilien.
« Tout autour de cette zone, il y a de la pêche industrielle. (…) 65% des objets retrouvés viennent de la pêche industrielle. (…) Aujourd’hui, on voit les conséquences sur le niveau de pêche {locale}. » Cette protection inédite des eaux de Rapa Nui devrait donc changer concrètement la vie des habitants de l’île. Malheureusement, cet accord est étonnement mal perçu par une petite partie de la population.
En effet, une vague d’oppositions s’est abattue sur les côtes de l’île, rattachée à l’Etat du Chili depuis 1988. Plusieurs habitants, épris d’indépendance, craignent cet accord avec « le continent » de peur qu’une fois de plus, l’Etat (distant de 3700km) décide pour eux.
Cependant, l’accord entérine une nouvelle administration conjointe de la zone entre l’état central et le gouvernement de l’île. Cet accord maritime va donc dans le sens d’une plus grande autonomie, tout comme la décision de rendre aux autorités locales la gestion et les bénéfices du Parc National qui recouvre la moitié de l’île ! Créé dans les années 50 sans consultation de la population locale, le parc occupe 47% du territoire et attire aujourd’hui près de 100.000 touristes par an. À l’époque, ses juteuses retombées économiques enrichissaient essentiellement les caisses à Santiago (capitale du Chili), ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Plus que jamais, le peuple Rapa Nui a les clés du destin de son petit paradis !
– Pascale Sury