Charlotte Arnal est une activiste de la cause animale, diplômée en droit des animaux et reconvertie en cheffe végétalienne. Son expertise technique, elle l’a récemment dédié à la protection effective des animaux, depuis trop longtemps exploités et reniés, en publiant Émancipation Animale : petit traité pour faire avancer les droits des animaux. L’ouvrage, court mais dense, est un vivier impressionnant de connaissances précises en la matière, fondant idéalement nos débats et luttes pour le vivant. De quoi éduquer les citoyens et citoyennes à des notions méconnues de justice fondamentale, à travers une remise à niveau nécessaire. Présentation.

« Le droit animal est un exemple frappant de schizophrénie : nous sommes de plus en plus conscients et informés de la sentience des animaux, pourtant nous continuons de les faire souffrir, sans autre forme de procès. 

et notre malaise aime bien se cacher derrière le paravent de la loi : comment cela peut être si mal, si c’est legal ? »

C’est qu’évidemment, la loi n’est pas forcément la justice ; la loi est une construction de société évolutive qui prend la forme du siècle qui la fabrique, et nécessite sans cesse d’être relue à l’aune de ce que nous définissons comme juste ou non. C’est ainsi que Charlotte Arnal introduit son chapitre d’ouverture : « état des lieux des droits des animaux ». Et du reste, le ton suivra, tout comme l’expertise implacable qui le légitime.

Charlotte Arnal est titulaire d’un diplôme universitaire en droit animalier et impliquée de mille et une manières dans la cause animale, en plus de réinventer la cuisine végétale à travers son métier de cheffe à domicile. Son cheval de bataille ? La constitutionnalisation de la protection animale. Et elle nous explique parfaitement combien cette étape juridique serait décisive pour la cause, dans un récent article passionnant.

De fait, alors que la prise de conscience et la sensibilité pour le monde animal (re)gagne petit à petit du terrain, le traité d’Émancipation animale publié par l’experte juridique s’annonce comme un véritable support, qualitatif et documenté, à nos discussions citoyennes. La leçon est même d’utilité publique à propos de droit animal, mais également de droit tout court, remettant enfin en perspectives quelques évidences contemporaines.

Couverture de l’ouvrage Émancipation animale de Charlotte Arnal. Source : Page Facebook

Les animaux sont triés selon nos désirs et volontés humaines 

« Si vous deviez vous réincarner en l’animal de votre choix, vos critères porteraient sans doute sur l’esthétique, la force, l’intelligence, la liberté, ou encore les capacités de cet animal.

Mais avant de vous prononcer, je ne saurais que vous conseiller de bien étudier le droit. Car du choix de votre espèce va directement découler votre protection, ou non… »

Une souris blanche, un homard, un loup, un taureau de combat, un canard mulard…. et même un escargot ! Quels sont véritablement leurs droits et sur quelles bases les jugeons-nous pour décider de leur sort ?

L’autrice rappelle d’abord que le droit animal est finalement très récent dans l’histoire de nos sociétés occidentales actuelles : en France, par exemple, elle s’inscrit dans une des dernières générations de droit, après celle des textes civiques et politiques, puis économiques et sociaux, des minorités, et même après celui de l’environnement. Et même si nous comptons aujourd’hui quelques partis animalistes s’étant fait connaître au-delà des sphères militantes, et donnant peut-être l’impression d’avancées inédites, nous ne sommes de facto qu’au début d’une révolution dogmatique concernant les espèces non-humaines. 

Mais de ce droit, aussi mince soit-il, qu’en est-il ? Les animaux sont catégorisés selon des statuts qui leur octroient ou non notre protection, le respect de leur vie et une dignité. On distingue ainsi, selon leur « usage » ou leur « intérêt » pour l’humain : les animaux domestiques, de compagnie et sauvages. En fonction de notre manière de les considérer – en tant que compagnons de vie, ressources à exploiter ou bien décors exotiques -, ils n’auront pas les mêmes droits au regard du droit humain.

L214 rappelle que tous les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité.

Aussi, le droit animal s’est-il formé, non pas en tant que tel, mais uniquement par rapport à nous et selon notre rapport subjectif à eux. On le qualifie même d’ « éclaté » : « ce qui signifie qu’il ne s’est pas construit autour de son propre axe, mais autour des activités humaines », résume Charlotte Arnal. En 2018, la Fondation 30 Millions d’Amis a cependant réclamé l’unification de ces textes en un seul code, avec succès. Le Code de l’animal était né.

Mais ce n’est heureusement pas la première victoire en faveur des animaux que compte l’histoire française. Le livre fait ainsi un véritable travail pédagogique de récapitulation chronologique, dont nous aurions certainement toutes et tous dû profiter à l’école, ce qui aurait sans doute évité de nombreuses lacunes collectives et autant de violences qui en ont découlé :

> 1850 : la loi Grammont interdit les mauvais traitements publics envers les animaux. Mais c’est encore simplement dans le but de ne pas heurter l’œil humain, ni ses états d’âme.
> 1959 : un décret élargit cette interdiction au domaine privé et aux animaux sauvages. C’est une belle avancée paradigmatique qui commence à concevoir « l’intérêt propre de l’animal ».
> 1963 : le délit d’acte de cruauté est créé et pénalise plus durement ses manifestations.

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Puis 1976, 2015, … Les victoires défilent ; elles ont été obtenues par des porte-voix dans l’urgence de protéger ces vivants encore insensiblement asservis par nos sociétés. Jusqu’en 2021 avec la loi contre la maltraitance animale « faisant suite a la pression du Référendum d’initiative populaire », relate Charlotte Arnal, prouvant qu’il peut résulter de belles choses, qui plus est intelligentes, de la solidarité citoyenne. Toutefois, si c’est un texte décisif, il reste toujours insuffisant. Le combat continue.

La constitutionnalisation de la protection animale serait décisive pour la cause. Photo de Tingey Injury Law Firm sur Unsplash

Protection animale : les ambiguïtés et contradictions de son évolution 

Le combat continue d’autant plus que la loi française regorge d’exceptions et de jurisprudences qui empêchent aux projets de loi votés de toujours être pleinement appliqués.

En effet, il suffit aux auteurs de crimes de prouver « la nécessité absolue » de leur atteinte au droit d’un animal pour échapper à la sanction. Or, cette fameuse nécessité n’est pas définie et on la laisse encore libre d’interprétation par le ou la juge en question. C’est ainsi qu’un voisin qui a battu à mort deux lapins s’est vu acquitté parce que les deux lapins étaient venus manger dans son potager. Ses légumes étaient une « absolue nécessité » justifiant de tuer les lapins… Une anecdote parmi d’autres que relate l’autrice et qui donne à réfléchir sur la prévalence de nos intérêts non-vitaux sur la vie non-humaine.

Et pourtant, tout acte violent envers un être sentient est un signal fort de danger qu’il ne faut pas sous-estimer. Si tant que cela ne concerne que les animaux, nous sommes bien aises d’en faire fi, n’oublions pas que ces agressions sont également souvent un terreau fertile à la maltraitance envers d’autres humains :

« Les violences faites aux animaux vont souvent de pair avec les violences interpersonnelles et familiales » rappelle ainsi la spécialiste.

Et de préciser, chiffres à l’appui, que cette violence alarmante est tout à fait sous-estimée, puisqu’en 10 ans (2007-2017), sur les 9504 personnes impliquées dans des actes de cruauté envers les animaux domestiques (un bilan en augmentation…), seules 858 ont été condamnées. De fait, le livre regorge de données factuelles qui permettent d’enfin se faire une idée claire et rationnelle de l’ampleur du préjudice intenté aux animaux et de la vacuité sur laquelle repose sa justification.

La domination humaine est-elle légitime, logique et juste ? 

Plus que de synthétiser le domaine labyrinthique du droit animal, la vulgarisatrice juridique fait appel à de nombreuses références philosophiques pour questionner les évidences sur lesquelles reposent notre rapport aux écosystèmes. En effet, nous avons grandi dans une société occidentale, pour notre part, acquise au dogme de la supériorité humaine (voire blanche et masculine) sur le reste du vivant. Or, est-ce si indéniable ? Charlotte Arnal évoque plusieurs mouvements de pensées pour insuffler un raisonnement critique :

D’abord, elle évoque John Rawls, philosophe américain notoire du siècle dernier, connu pour sa théorie de la justice, selon laquelle « Si nous ignorions tout de nous-même, nous aurions tendance à imaginer une justice beaucoup plus équitable ». Car du simple fait que nous souhaiterions nous protéger nous-mêmes, en ne sachant pas notre identité, nous protégerions tout le monde. Quel code imaginerions-nous, en effet, si, d’humain ou d’animal, nous ne savions pas notre condition ? 

Trop récemment pour que le livre en fasse mention, un film d’animation montrait très simplement et poétiquement comment cette théorie pouvait prendre vie : Le Peuple Loup, de Tomm Moore et Ross Stewart, est un voyage initiatique dans la peau de ces animaux méconnus, victimes des superstitions et extrapolations héritées de périodes anciennes.

Mais Charlotte Arnal ne s’arrête pas là et, en nous embarquant au passage grâce à une plume méthodique et sereine, explore intelligemment les différentes manifestations de notre hiérarchisation du vivant : Posséder les animaux est-il si logique ? Où s’arrête l’esclavagisme et ou commence l’utilisation légitime du vivant ? Sur quelles justifications nous sommes-nous désolidarisés de notre origine animale ? Et sont-elles tant valables ? Manger des animaux est-il une nécessité qui autorise leur exploitation massive ? Serions-nous prêts, sinon, à les faire enfin « entrer dans notre sphère de considération morale » ? Autant de remises en question sérieusement amenées qui sont chaque fois accompagnées d’un contexte juridique signifiant et instructif.

Manger des animaux : la bascule 

« Nous sommes le 7 juillet 2012. Treize scientifiques de renommée mondiale déclarent solennellement que la plupart des animaux ont une conscience et qu’ils perçoivent leur propre existence et le monde autour d’eux.

Ils proclament ainsi la Déclaration de Cambridge. » 

Charlotte Arnal retranscrit avec des mots clairs une situation autrement paradoxale : À défaut d’être encore à l’écoute empathique et sensitive de ces individus avec qui nous sommes censés cohabiter dans le monde, nous en savons toutefois scientifiquement plus que jamais sur leur capacité à convertir les signaux nerveux en douleur, voire en peine véritable – autrement dit, à ressentir la souffrance, comme tout un panel d’autres émotions d’ailleurs inhérent à leur sentience.

Avec l’ère de l’image, nous sommes également au premier plan de leur maltraitance systémique, notamment grâce aux activistes d’associations et collectifs comme L214. Pourtant, nous continuons de surconsommer des produits issus de cette exploitation industrielle mondialisée, et même avec une insatiété inégalée. L’écrivaine énumère de nombreuses raisons à ce double mouvement sociétal, dont « le paradoxe de la viande », qui exprime cette idée que plus nous en savons, plus nous changeons nos habitudes, or que pour ne pas les changer – car le cerveau déteste les virages à 180 -, nous faisons en sorte de ne rien savoir et cultivons un état de déni, via nos multiples œillères.

Mais Charlotte Arnal conclue également avec des chiffres positifs, notamment à propos du nombre grandissant de personnes reconnaissant qu’il n’est pas nécessaire de manger des animaux pour être en bonne santé. Une évolution totalement à contre-courant des discours lobbyistes infiltrés dans le décorum culturel et éducatif à des niveaux effrayants : de l’école à la publicité, en passant par le cinéma et les prospectus médicaux conçus par les marketeux du secteur d’exploitation concerné.

Elle est également optimiste concernant la constitutionnalisation du droit animal en faveur de lois fondamentales, lesquelles permettraient de les appréhender en tant que sujets de leur vie et non pas objet de la nôtre.

Mais enfin, Charlotte Arnal, quelle que soit l’issue, fait preuve dans son traité d’une combativité contagieuse en multipliant les approches argumentatives variées : entretiens de fond, exemples forts qui rendent palpable l’aspect théorique du droit, références historiques qui rappellent que ce combat est ancestral, comparaisons culturelles qui rappellent qu’il n’est pas non plus universel ni forcément naturel de penser que l’être humain prédomine, histoires de vies inspirantes, luttes, victoires ou procédures en justice par de nombreuses associations déterminées et pour lesquelles, à raison, une vie sauvée en vaut mille.

En somme, Émancipation animale est un tableau vibrant, radical et consciencieux qui donne corps à la rhétorique juridique, au profit non seulement d’un argumentaire solide à partager en toute confiance autour de soi, mais également de l’évolution concrète du droit des animaux. Pour laisser faire les expertes, et éviter de gaspiller sa salive dans des débats d’opinions énergivores, se procurer Émancipation Animale : petit traité pour faire avancer les droits des animaux de Charlotte Arnal, un support de sensibilisation et d’amélioration discursive crucial.

Sinon, suivre son irrésistible lutte ici

– S.H.


Photo de couverture : Charlotte Arnal. Source : Page Facebook

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