3 pays, 12000 kilomètres et, surtout, 12 mois de tournage et de montage pour un premier documentaire engagé ! La jeune réalisatrice Alizée Dubois, accompagnée de quelques ami·e·s, est l’une des premières à essayer de vulgariser le concept juridique pas si simple qu’est l’écocide, dans un voyage studieux et engagé à travers l’Europe. Nous avons vu le documentaire : retour sur un voyage au cœur de l’injustice environnementale.
A travers le voyage, un reportage et une immersion
Quel est le lien entre le glacier de la mer de glace dans le massif du Mont Blanc, les plantations de noisetier de la région péri-romaine de Di Vico en Italie et le lac Vättern, deuxième plus grand lac de Suède ?
Ces trois cas sont présentés par Alizée comme des exemples d’écocides, ces dommages graves, étendus et durables à l’environnement. Pour des raisons différentes, mais aux conséquences bien similaires : la détérioration manifeste et souvent irréversible en toute connaissance de cause d’un milieu de vie ou d’espèces entières.
A l’origine de ce reportage ? Alizée, 23 ans, engagée depuis plusieurs années déjà pour la cause climatique et qui avait envie « de mener à bien un projet qui mêle engagement, voyage et travail journalistique afin de décrypter et transmettre des émotions par la beauté des images ». Elle est donc partie à la recherche de sujets peu médiatisés et explique :
« Le thème de l’écocide et des Droits de la Nature m’a tout de suite convaincue par les solutions systémiques qu’il apporte et par le fait qu’il questionne les sources du problème : notre rapport au vivant »
Mis à part une petite cagnotte participative pour celles et ceux qui voulaient contribuer au projet lors de son lancement, la jeune réalisatrice a conduit son documentaire de A à Z en autonomie et solidarité, aidée sur certains plans par quelques ami·e·s.
Engagée dans un tour de France de projections en avant-premières cet été (toutes les informations essentielles sont disponibles au fur et à mesure sur sa page instagram), histoire d’allier comme lors de la réalisation l’utile à l’agréable, la jeune femme, qui dit avoir « énormément appris » reste déterminée jusqu’au bout : « Maintenant que le film est terminé, j’ai hâte de le montrer pour connaître les réactions et les réflexions du public. J’espère que les gens vont se saisir de la colère que suscitent ces injustices pour la transformer en action collective ! »
Car c’est effectivement la colère qui prédomine lorsqu’on plonge dans les détails des cas présentés. Une colère saine.
Si la Mer de Glace, le plus grand glacier français qui risque de disparaître avant la fin du siècle, est désormais un des exemples les plus emblématiques de l’action du changement climatique en France et symbole de l’inaction politique en matière de climat, les deux autres cas sont moins connus. Pourtant ils font tous les trois partie d’un même problème systémique : une façon de concevoir l’environnement comme une ressource inépuisable. Ou une poubelle inépuisable, au choix.
En Italie, c’est la monoculture de noisettes pour remplir les besoins gourmands de Ferrero qui conduit à une pollution majeure des systèmes aquatiques et terrestres environnants par les pesticides, provoquant la colère des agriculteurs et autres citoyen.nes.
En Suède, le lac Vättern est la poubelle centrale de multiples activités : des rejets miniers, mais surtout des essais militaires qui peuvent aller jusqu’à 80 000 bombes par an.
Ainsi, métaux toxiques, pesticides ou autres CO2 se retrouvent dans les milieux naturels en toute légalité. Mais comment les sociétés humaines en arrivent-elles à cette absurdité ? Pourquoi le droit qui est censé garantir un accès à un environnement sain est-il incapable d’endiguer cela ?
C’est tout l’enjeu du documentaire que de décrypter ces questions. Avancer des solutions, juridiques notamment, pour pallier ces manques et retrouver une forme d’harmonie avec ce qui nous entoure.
Car il ne faut pas s’y tromper : ce dont il s’agit est bien de « transformer notre relation au vivant », comme l’explique Alizée. Comment changer la loi permettrait-il de dresser un nouveau paradigme ?
La philosophie des Droits de la Nature, inspirée des cosmogonies des peuples autochtones, serait justement un moyen de parvenir à un état d’équilibre. En reconsidérant la Nature comme un sujet, l’on recréerait ainsi un cadre écocentré et non plus anthropocentré. Les être humains, les écosystèmes, ainsi que leur composantes, seraient alors considérés comme un tout et non plus comme des entités séparées, déconnectées et au seul service de l’être humain.
Pour promouvoir cette approche et simuler ce que donnerait cette conception du droit, des Tribunaux des Droits de la Nature sont régulièrement organisés depuis 2014 par l’Alliance mondiale pour les Droits de la Nature (GARN en anglais). L’un des derniers en date, le Tribunal des écosystèmes aquatiques organisé durant le sommet de l’IUCN (2021) à Marseille, avait déjà présenté les cas de la Mer de Glace et du lac Vättern, qu’Alizée a repris.
De nouvelles perspectives politiques en France ?
De fait, si le concept est à ce point révolutionnaire, pourquoi n’a t-il pas encore été adopté ? Peut-être justement parce qu’il est révolutionnaire… Si le terme écocide est évoqué par les experts depuis les années 60-70 et la pulvérisation de l’agent orange sur les forêts du Vietnam par l’armée US, il faut remonter assez récemment pour que le sujet prenne vraiment une tournure politique. Dans le monde, les initiatives End Ecocide On Earth et StopEcocide International font campagne pour la reconnaissance de l’écocide et demandent notamment d’en faire un crime à la Cour Pénale Internationale au même titre que les autres grands crimes contre la Paix.
En France, ce n’est qu’en 2020 avec la Convention Citoyenne pour le Climat que l’écocide se fait vraiment une place dans l’espace médiatique, mais comme 90% des mesures de la loi Climat, il se fait saccager par un gouvernement et des lobbys conservateurs préférant largement préserver la destruction des écosystèmes que les écosystèmes eux-mêmes.
Du crime d’écocide voulu par les citoyen.nes, l’on passe à un « délit d’écocide », une simple amélioration du droit de l’environnement qui n’a pourtant d’écocide que le nom, avant que le terme même ne soit finalement retiré du texte de loi après le passage au Sénat.
Alors que le renouvellement de l’Assemblée Nationale n’a pas permis à un groupe parlementaire de décrocher la majorité absolue des sièges, le jeu des alliances politiques risque de rebattre les cartes de la légifération… Dans ce contexte, qu’en est-il des espoirs de voir s’inscrire l’écocide, le vrai, dans le droit français au cours des prochaines années ?
Ce documentaire a pour ambition d’être un catalyseur mettant en lumière les espoirs des activistes de changer le système juridique et politique. Pour Marine Calmet, fondatrice et présidente de l’association Wild Legal, qui a tenu la saison 3 de son procès simulé sur l’écocide des algues vertes et le droit des animaux en Bretagne :
« Penser réussir la transition écologique avec le droit de l’environnement actuel, c’est comme attendre le bus pour aller sur la lune. Nous avons besoin de mesures juridiques structurantes, comme l’inscription du crime d’écocide dans le code pénal pour renverser la table des pollueurs »
En attendant de voir des changements politiques, ce qui est sûr c’est que les initiatives citoyennes fleurissent et le combat avance. Et ce documentaire, engagé et indépendant, face au travail des associations de terrains qui se battent pour une représentation et une juridiction plus inclusive du monde vivant et non-vivant, se présente comme une pierre de plus à l’édifice.
Suivre les prochaines dates de projection, diffusions et rencontres : ici.