« Un film à propos d’une comète fonçant droit dans la Terre et où personne ne fait rien pour éviter ça ? Ça ressemble drôlement à notre crise climatique… » Une tribune signée Peter Kalmus publiée initialement dans The Guardian, adaptée en Français par nos soins.

Le film Don’t Look Up est une satire. Mais parlant en tant que climatologue qui fait tout ce qu’il peut pour éveiller les gens et éviter la destruction de notre planète, c’est aussi le film le plus précis que j’ai vu sur la terrifiante indifférence de notre société face à la dégradation du climat mondial.

Le film, du réalisateur Adam McKay et de l’écrivain David Sirota, raconte l’histoire de la doctorante en astronomie Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) et de son directeur de thèse, le Dr Randall Mindy (Leonardo DiCaprio), qui découvrent qu’un astéroïde « tueur de planètes » frappera la Terre dans un peu plus de six mois. La certitude de l’impact est de 99,7%, aussi certaine que n’importe quoi en Sciences.

Les deux scientifiques se voient globalement isolés avec leur découverte, ignorés et manipulés par toute la société. La panique et le désespoir qu’ils ressentent reflètent la même panique et le même désespoir que ressentent de nombreux climatologues aujourd’hui. Dans une scène, Mindy hyperventile dans des toilettes; dans un autre, Dibiasky hurle « On n’est pas assez clairs ? Nous sommes à 100% certains que nous allons tous crever, putain ! » en direct à la télévision. Je comprends leur sentiment. C’est ça, être un scientifique du climat aujourd’hui.

Les deux astronomes sont reçus en audience pendant 20 minutes avec la présidente (Meryl Streep), qui semble heureuse d’apprendre que l’impact n’est pas techniquement certain à 100%. Faisant passer ses ambitions électorales au-dessus du sort de la planète, elle décide de « patienter et évaluer la situation ». Désespérés, les deux scientifiques participent alors à une émission de télévision nationale où les animateurs se moqueront de leur avertissement (qui est également éclipsé par une histoire de rupture de célébrité).

« La fin est proche. Y-aura-t-il un Super Bowl cette année ? »

Désormais, la collision imminente avec la comète Dibiasky est bien confirmée par des scientifiques du monde entier. Après que le vent politique ait changé de direction, la présidente lance une mission de sauvetage pour détourner la comète, mais change d’avis au dernier moment sous l’influence d’un « généreux » milliardaire (Mark Rylance). Celui-ci impose son propre plan pour guider l’astéroïde vers un atterrissage en toute sécurité, à l’aide de technologies de pointe, afin d’exploiter ses métaux précieux. Pendant ce temps, la couverture d’un magazine sportif questionne : « La fin est proche. Y-aura-t-il un Super Bowl cette année ? »

Pourtant, ce n’est pas un film sur la façon dont l’Humanité réagirait à un astéroïde tueur de planète ; c’est un film sur la façon dont l’Humanité réagit en ce moment à la dégradation climatique qui tue notre planète. Nous vivons dans une société dans laquelle, malgré un danger climatique extraordinairement clair, présent et qui s’aggrave chaque année, plus de la moitié des membres républicains du Congrès américain affirment toujours que le changement climatique est un canular et beaucoup d’autres souhaitent bloquer toute action écologique, et dans laquelle la plate-forme officielle du parti Démocrate consacre toujours des subventions massives à l’industrie des combustibles fossiles; un monde dans lequel le président actuel a promis que « rien ne changera fondamentalement » et où le président de la Chambre a rejeté un modeste plan-climat l’accusant d’être « un rêve vert » ; un monde où la plus grande délégation à la Cop26 était l’industrie des énergies fossiles, et où la Maison Blanche a vendu des droits de forage sur une vaste étendue du golfe du Mexique après ce sommet ; nous vivons dans ce monde où les dirigeants mondiaux affirment que le climat est une « menace existentielle pour l’humanité » tout en augmentant simultanément la production de combustibles fossiles ; dans lequel les principaux journaux diffusent encore des publicités sur les combustibles fossiles et où les nouvelles sur le climat sont régulièrement éclipsées par le sport; dans lequel des entrepreneurs proposent des solutions technologiques incroyablement risquées pour sauver le Climat et où des milliardaires vendent le fantasme absurde que l’humanité peut simplement déménager sur Mars. Nous vivons dans ce monde là.

Le rêve de Musk ne sera pas démocratique.

Après 15 ans de travail à tenter d’alimenter l’urgence climatique, j’en ai conclu que le public en général, et les dirigeants mondiaux en particulier, sous-estiment à quel point la dégradation du Climat et de l’environnement sera rapide, grave et permanent si l’Humanité ne se mobilise pas maintenant. Il ne reste peut-être que cinq ans avant que l’Humanité ne dépense le « budget carbone » restant pour rester sous les 1,5 °C de réchauffement avec les taux d’émissions actuels – un niveau de réchauffement dont je ne suis pas sûr qu’il sera compatible avec la civilisation telle que nous la connaissons… Et il ne faudra sans doute pas cinq ans avant que la forêt amazonienne et la grande calotte glaciaire antarctique ne franchissent des points de basculement irréversibles.

Le système Terre s’effondre en ce moment même à une vitesse vertigineuse. Et les climatologues ont été confrontés à un travail de communication public encore plus difficile que celui des astronomes de Don’t Look Up. Pour cause, la destruction du climat se déroule sur des décennies – à une vitesse fulgurante en ce qui concerne la planète, mais dramatiquement lente en ce qui concerne le cycle médiatique de l’actualité. Ce n’est pas aussi immédiat, spectaculaire et visible qu’une comète dans le ciel.

Compte tenu de tout ça, rejeter Don’t Look Up au prétexte qu’il serait trop « évident » pourrait en dire plus sur celui qui critique que sur le film lui-même. C’est une perspective drôle et terrifiante à la fois, parce qu’elle véhicule le reflet d’une réalité froide que les climatologues et les personnes qui comprennent toute l’ampleur de l’urgence climatique vivent au quotidien. J’espère que ce film, qui dépeint de manière tragi-comique à quel point il est difficile de briser les normes dominantes, aidera concrètement à briser ces normes dans la vie réelle.

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J’espère également, à travers ce film, qu’Hollywood est en train d’apprendre à raconter des histoires climatiques qui comptent vraiment. Au lieu d’histoires qui créent une distance réconfortante par rapport à la gravité du danger dans lequel nous nous trouvons via des solutions technologiques irréalistes pour des scénarios catastrophes tout aussi irréalistes, l’humanité a besoin de contes qui mettent en évidence les nombreuses absurdités qui découlent du fait de savoir collectivement ce qui approche tout en échouant collectivement à agir.

Nous avons également besoin d’histoires qui montrent que l’Humanité réagit de manière rationnelle à la crise. Le manque de technologie n’est pas ce qui bloque l’action… À la place, l’Humanité devrait affronter de front l’industrie des combustibles fossiles, accepter que nous devions consommer moins d’énergie et passer en mode d’Urgence Total. Le sentiment de solidarité et de soulagement que nous ressentirions une fois ce changement en place – si ça arrive un jour – changerait définitivement la donne pour notre espèce. Davantage de faits scientifiques ne catalyseront plus ce point de basculement socioculturel, mais des Histoires plus nombreuses et plus adaptées pourraient peut-être le permettre…


Peter Kalmus est climatologue et auteur de Being the Change: Live Well and Spark a Climate Revolution. Article original en anglais.

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