Récemment, Emmanuel Macron lui a remis la Légion d’honneur en catimini. Et pourtant, Jeff Bezos, l’un des hommes les plus riches du monde, est loin d’être un modèle de vertu. Atteint, comme tous les milliardaires, de la folie des grandeurs, il promeut un mode de vie destructeur pour l’environnement et une société basée sur l’exploitation des plus faibles par les plus forts.

Même s’il est peut-être moins exubérant, Jeff Bezos a beaucoup de points communs avec son concurrent Elon Musk dont nous dressions le portrait précédemment. Tandis qu’ils prônent tous les deux la dangereuse idée du libertarianisme, ils partagent également une passion pour la technologie qui les aveugle ouvertement sur les périls qui menacent la vie sur Terre (et dont leurs entreprises sont des fers de lance).

Un bon coup de pouce familial

On présente souvent Jeff Bezos comme d’origine modeste, un « self-made man » qui se serait construit tout seul dans son garage. Fils d’une lycéenne de 17 ans, abandonné par père, puis adopté par un simple immigré cubain.

Pourtant, en étudiant les faits de plus près, on se rend compte que le couple qui a élevé le fondateur d’Amazon était très loin de venir d’un milieu prolétaire. Son grand-père maternel était ainsi ni plus ni moins que directeur régional d’un commissariat à l’énergie atomique et par ailleurs propriétaire d’un ranch de 10 000 hectares au Texas.

Quant à Miguel Bezos, père adoptif et second mari de sa mère après le départ de son géniteur, il a été envoyé par ses parents aux États-Unis depuis Cuba à la suite de l’opération Peter Pan. Ce fils d’homme d’affaires obtient rapidement une bourse pour l’Université et deviendra ingénieur et manager chez ExxonMobil, une société pétrolière.

Amazon propulsé par papa et maman

Force est donc de constater que Jeff Bezos a pu bénéficier d’un environnement familial très aisé et de l’éducation qui en découle. Il accède ainsi à la prestigieuse université de Princeton où il obtient un diplôme en informatique. Une formation qui vaut aujourd’hui pas moins de 55 000 $ par an.

Par la suite, lorsque Jeff Bezos décide de lancer Amazon en 1994, ses parents y investissent un capital de départ de 245 573 $. Une somme très coquette dont l’immense majorité des créateurs d’entreprises ne bénéficient pas.

D’abord spécialisé dans le commerce de livres – il existe à ce sujet d’ailleurs des alternatives -, le site va ensuite s’élargir à d’autres produits dès 1998, un an après son entrée en bourses. Au fil des ans, la société va grandir de façon exponentielle grâce à une stratégie de vente extrêmement agressive.

Des employés poussés à bout

Pour parvenir à ses fins, Bezos met en place un système qui va exercer une pression constante sur ses employés. L’extrême rapidité de la livraison des produits vendus par l’entreprise n’est en effet pas sans conséquence pour les travailleurs.

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Une investigation révélait ainsi que le taux d’accident dans les entrepôts Amazon était deux fois plus élevé que chez ses concurrents. En 2018, une autre enquête sur les conditions de travail sur les sites français faisait état de souffrances physiques et morales ressenties par plus de 70 % des salariés.

En haut de la chaîne, ce sont bien les managers qui sont également réputés pour exercer une pression extrêmement violente sur les employés afin de les pousser à toujours plus de rentabilité, comme l’expliquait un reportage du New York Times en 2015. En 2021, une énième polémique avait éclaté lorsque l’on avait appris que les livreurs du groupe étaient obligés d’uriner dans des bouteilles en plastique pour pouvoir suivre le rythme des journées de labeur.

Vague de destruction d’emplois

Amazon, et le cybercommerce en général, représente, de plus, un fléau pour les petits magasins de proximité. Aux États-Unis, entre 2008 et 2020, pour un emploi créé dans l’entreprise, c’est 4,5 qui étaient détruits dans la vente traditionnelle.

Des études suggéraient également que pour un emploi établi en France, c’est 2,2 autres qui disparaissaient. Entre 2009 et 2018, ce sont ainsi pas moins de 80 000 postes qui auraient été éradiqués à cause du e-commerce. Et la dynamique semble se poursuivre dans cette voie. Elle pourrait même s’empirer avec la progression de la robotisation des entrepôts.

C’est aussi l’aménagement du territoire qui pourrait être indirectement touché par le phénomène. En détruisant les commerces modestes, l’entreprise fait fuir des bassins de populations vers des zones plus animées. Le processus participe donc, par exemple, à la désertification des campagnes.

Le désastre environnemental Amazon

Comme tous les milliardaires, Jeff Bezos a une empreinte écologique considérable. Dans ce cas, son entreprise en est l’une des principales responsables. Entre les transports intempestifs de produits et l’incitation permanente à un consumérisme débridé, le bilan n’a rien de glorieux.

Photo de David Ballew sur Unsplash

Fréquemment, la compagnie est même épinglée dans la destruction de marchandises invendues, mais totalement neuves. Mais on peut, en outre, penser au coût de conception de tous ces objets pour lesquels l’extraction de minerais et la fabrication de plastique sont considérables.

Le gaspillage énergétique engendré par les entrepôts, mais aussi par les serveurs informatiques est également très important. Ses émissions de CO² sont en constante augmentation, avec pas moins de 71,54 millions de tonnes au dernier rapport.

La mégalomanie contre la planète

Du côté de ses activités personnelles, on ne peut pas non plus dire que Jeff Bezos montre l’exemple. Dernièrement, il s’est d’ailleurs offert le luxe d’un petit aller-retour dans l’espace à l’aide d’une fusée qu’il a lui-même fait construire.

Peu importe si cette excentricité a dégagé deux fois plus de CO² que ne devrait en produire un être humain durant un an selon le GIEC. Comble de l’indécence et du mépris, après son vol, le milliardaire a remercié ses clients en leur lançant « qu’ils avaient payé pour tout ça ».

Symbole de la déconnexion de ce type de personnage, Bezos a même lancé une idée lunaire pour lutter contre le réchauffement climatique : délocaliser les industries polluantes dans l’espace. Comme beaucoup des libéraux, il s’appuie ainsi sur des solutions technologiques illusoires plutôt que d’affronter le problème en appelant à modifier nos modes de vie.

Libertarien et transhumaniste

Comme Elon Musk, Bezos est donc féru des technologies et il pousse son libéralisme jusqu’à vouloir l’intégrer à nos corps. Partisan du mouvement transhumaniste, il rêve de vaincre la mort grâce à la science.

Sa soif absolue d’omnipotence, au détriment de tout le reste, l’a ainsi conduit à défendre des idées libertariennes. À l’instar de toutes les plus grandes fortunes de la planète, Bezos vit dans un monde fantasmé qui n’aurait aucune borne.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il est aussi fasciné par l’espace et sa potentielle colonisation. Malgré son ego démesuré, il semble malgré tout avoir compris que la Terre n’avait pas des ressources sans fin. Or, pour pouvoir vivre comme il le fait, il doit s’affranchir des limites. Fantasmer sur d’éventuelles exploitations aux confins de l’univers permet donc de continuer à croire à ce genre chimères.

Champion de l’optimisation fiscale

En tant que « super riche », Jeff Bezos semble donc s’affranchir de sa condition de simple citoyen. En se plaçant au-dessus de tous et en prônant la liberté absolue, il tente de s’émanciper des règles communes de la société. Pour appuyer ses idées, il a d’ailleurs racheté à titre personnel un grand journal américain, le Washington Post.

Son rapport aux taxes, auxquels il parvient à largement échapper grâce à des montages financiers, est également très évocateur quant à sa mentalité. Amazon est aussi devenu redoutable dans l’exercice. En 2020, l’entreprise a par exemple réalisé pas moins de 44 milliards d’euros de bénéfices en Europe et elle n’a pourtant pas déboursé un centime d’impôts sur les sociétés sur le continent.

Et même si Bezos se déclare contre l’intervention de l’État dans l’économie et qu’il rechigne autant à payer ce qu’il devrait, on l’a en revanche nettement moins vu protester contre les 4,7 milliards de dollars d’aides publiques dont a joui son groupe sur les dix dernières années. Il faut dire que dans le monde des ultra-riches, l’indignation n’a de sens que pour défendre ses propres intérêts.

– Simon Verdière

 


Photo de couverture : Journée internationale de solidarité avec les travailleurs d’Alabama Amazon, États-Unis. Le 20 mars 2021, le rassemblement a commencé devant le siège social de Morgan Lewis, mis en évidence par une marionnette Bezos et une piñata Bezos remplie d’une surprise révélée lorsque le la piñata a été brisée devant le magasin Whole Foods à la fin du deuxième rassemblement. Source : Wikicommons

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