Avec les réseaux sociaux, de plus en plus de gens paraissent vouloir exprimer un point de vue sur une multitude de sujets, y compris quand ils ne le maîtrisent absolument pas. Ce phénomène a même un nom, l’ultracrépidarianisme. Et il répond une nouvelle fois à un biais naturel de notre cerveau, contre lequel il faut s’efforcer de lutter.

On l’a particulièrement entendue lors de l’apogée du Covid-19, la fameuse phrase commençant par « Je ne suis pas médecin, mais… » est devenue le symbole de personnes semblant illuminées par la vérité sur des questions qui leur sont pourtant étrangères. Dans une moindre mesure, on assiste au même phénomène du côté des climatosceptiques. 

Les ignorants sont plus confiants

Dès 1891, Charles Darwin observe un phénomène étonnant : l’ignorance engendre très fréquemment plus de confiance en soi que la connaissance. On parle également d’effet Dunning-Kurger, du nom de deux chercheurs américains qui ont mené des études sur le sujet à la fin des années 1990.

D’après ces travaux, lorsque l’on ne sait presque rien sur une question, il est plus facile de penser que celui-ci est très simple à comprendre. C’est en réalité en creusant le problème que l’on s’éveille à sa complexité. Il est alors très naturel de perdre son assurance sur la question. Enfin, quand on devient véritablement compétent, on restera tout de même très prudent grâce à notre prise de conscience précédente.

Incapacité à se remettre en question et biais de confirmation

Le problème, c’est qu’en étant gonflé à bloc de confiance en soi sur un thème qu’on ne maîtrise pas, on va avoir beaucoup de mal à se remettre en question. Et même lorsque quelqu’un va anéantir nos arguments, il va être très pénible pour beaucoup d’essayer d’évoluer.

Reconnaître ses torts est très compliqué pour beaucoup de personnes, même s’il n’y a rien de dramatique là-dedans. Lorsque l’on est sûr d’avoir raison, y compris sur un sujet que l’on ne connaît pas, on va redoubler de mauvaise foi et céder au biais de confirmation en se focalisant sur tout ce qui pourra aller dans notre sens.

Et si on écoutait les spécialistes ?

Les scientifiques applaudissent l’adoption du rapport spécial sur la limite de réchauffement climatique recommandée de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Source : Wikicommons

Pourtant, maîtriser un problème demande des aptitudes, et celles-ci ne tombent pas du ciel. Si certains passent des années à étudier un sujet et s’ils ont été diplômés à ce propos, ce n’est sans doute pas pour que le premier internaute venu qui a vu une vidéo de dix minutes sur YouTube puisse lui expliquer pourquoi il a tort.

Il existe des professionnels dans chaque domaine, et même si certains sont plus compétents que d’autres, ils le seront tout de même toujours plus que vous qui n’avez jamais suivi la moindre minute de cours dans le secteur. Penser le contraire, c’est faire preuve d’une vanité extraordinaire.

L’argument d’autorité

À l’inverse, il existe tout de même un danger à simplement prendre le discours d’un spécialiste comme parole d’évangile. D’abord, parce que lorsque l’on n’est pas soi-même compétent dans une matière, il est très complexe de juger si quelqu’un l’est ou non. Certaines personnes malhonnêtes utilisent d’ailleurs cet argument d’autorité pour asseoir leur position. Problème, certains individus se servent de leur légitimité dans un domaine pour se faire entendre dans un autre qui n’a cependant rien à voir avec leurs capacités.

De cette manière, les climatosceptiques brandissent ainsi souvent l’avis de scientifique de renom, voire de prix Nobel, qui abonderaient dans leur sens. Ils oublient pourtant de dire que leur spécialité est sans rapport avec le climat. Être un brillant sociologue ou chimiste, ne fait en effet absolument pas de vous quelqu’un de compétent en climatologie. Et ce même si vous avez remporté de prestigieuses récompenses dans votre rayon.

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Si l’on veut se forger une opinion solide sur un problème, il ne faut donc pas se contenter d’écouter un seul expert (d’autant plus s’il est le seul à tenir son discours et que ce qu’il dit va dans le sens de vos a priori). Il est au contraire nécessaire d’obtenir plusieurs sons de cloche, et faire preuve d’esprit critique.

Si 99 % de la communauté scientifique affirme quelque chose sur un sujet, il y a fort à parier que n’est pas la minorité restante qui a raison. De la même manière, il est plus pertinent de se fier à la gent féminine sur la condition des femmes qu’un homme qui n’a jamais expérimenté cette condition. On ne demande pas à un chocolatier comment fabriquer une armoire ni à une boulangère comment faire pousser des poireaux.

Et si on apprenait à se taire ?

Sur les réseaux sociaux, l’envie de s’exprimer sur des sujets que l’on ne maîtrise pas peut être décuplée par la confiance supplémentaire générée par l’anonymat et la virtualité. Peu importe ce que l’on dira, même si on se trompe lourdement, il sera très aisé de se dérober même lorsque l’on sera mis face à ses inexactitudes. Il peut même être tentant d’étaler son avis à tout le monde simplement pour flatter son ego en démontrant à tous la supériorité de notre jugement. Et pourtant, la décision la plus sage serait au contraire de rester silencieux lorsque l’on n’est pas compétent.

Photo de John Schnobrich sur Unsplash

En effet, sur internet des indications erronées peuvent très vite se propager et alimenter la machine de la désinformation. De plus, en s’aventurant sur un terrain inconnu, on risque fort d’être maladroits et de blesser des personnes qui, elles, savent de quoi elles parlent. C’est particulièrement le cas sur des sujets où certains individus peuvent être victimes de discriminations. Même si l’on n’arrive pas à comprendre la souffrance des autres, et même si elle peut nous paraître ridicule au premier abord, elle n’en est pas moins réelle. Et à ce petit jeu, mieux vaut laisser s’exprimer les premiers concernés.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Lundi 20 mars 2023, l’éditorialiste Pascal Praud assure L’Heure des Pros sur CNews avec sa chroniqueuse, Élisabeth Levy. Montage Mr Mondialisation.

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