D’après la loi de Brandolini, « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des inepties est bien supérieure à celle qui a permis de les produire ». Grâce à ce principe, de nombreux charlatans parviennent à faire circuler leurs mensonges sans que l’on puisse les contredire efficacement. Décryptage.

Il est bien plus facile de croire une simple affirmation proférée en quelques secondes que d’aller la vérifier ou d’écouter un avis développé sur un sujet. Ajouté à cela, internet et ses algorithmes favorisent le buzz plutôt que la vérité. Cela aboutit en un parfait cocktail de désinformation. Pour rétablir la vérité, c’est un véritable parcours du combattant. Ce mécanisme, c’est la loi de Brandolini. 

À l’ère de l’immédiateté

Le principe a été énoncé en 2013 dans un simple tweet par un programmeur italien du nom d’Alberto Brandolini. Il n’y a d’ailleurs rien de très surprenant à ce que cette idée ait été formulée sur internet puisque ce média est extrêmement propice à la diffusion des idées, en particulier sur les réseaux sociaux.

En effet, les algorithmes valorisent les contenus qui suscitent le plus de réactions, autrement dit, qui provoquent des polémiques. Et à ce petit jeu, la vérité n’a guère d’importance. Au contraire, plus une vidéo ou un article sera outrancier, plus il aura de chance de déclencher des commentaires et donc d’être mis en avant.

Une propagation ultra-rapide

L’expérience réalisée par le vidéaste G Milgram, propageant volontairement une fausse nouvelle durant la pandémie de covid-19, était à ce sujet particulièrement parlante. En quelques jours, le document falsifié qu’il avait mis en ligne avait en effet fait le tour de la toile et s’était diffusé à une vitesse folle sur les réseaux sociaux, notamment dans les sphères conspirationnistes.

Mais on observe également ce processus à la télévision où les formats courts, calqués sur les chaînes d’informations en continu, ne laissent guère de place à de longs développements. C’est d’autant plus le cas dans des émissions qui ont tout du café du commerce et où des personnes sans aucune légitimité s’expriment sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas une seconde. À ce titre, les programmes présentés par Cyril Hanouna sur C8 ou par Pascal Praud sur CNEWS sont de belles illustrations.

Un outil au service des politiques conservatrices

En outre, comme Mr Mondialisation l’expliquait dans un précédent article, l’être humain dispose d’une tendance à idéaliser le passé et à avoir peur du changement. Pour lutter contre ce penchant, il doit inévitablement déployer un effort supplémentaire par rapport à un individu qui se laisserait simplement aller à ses vils instincts.

La loi de Brandolini est donc un fabuleux outil pour exploiter cette faille de notre espèce. En effet, infirmer des arguments fallacieux pour justifier l’ordre établi demande une immense quantité d’énergie. D’autant plus qu’ils peuvent être facilement associés à d’autres sophismes comme l’appel à la nature par exemple. Dire qu’il « en a toujours été ainsi » permet aisément de camper sur ses positions. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que la charge de la preuve incombe à celui qui veut désavouer la fabulation, et non au fabulateur. 

Des débats biaisés

Les politiciens, en particulier d’extrême droite, ont très bien compris comment utiliser cette arme, notamment en débat ou en interview. De cette façon, dans un face-à-face entre deux personnes, celle qui ment aura de grandes chances d’être avantagé. En effet, son contradicteur devra déployer une énergie, mais surtout un temps beaucoup plus important que lui pour démasquer l’imposture de départ.

Or, dans une joute verbale télévisée, chacun des interlocuteurs dispose, en théorie, du même temps de parole. Un individu pourra ainsi facilement avancer plusieurs arguments-chocs, mais complètement faux, son homologue n’aura jamais la possibilité de lui répondre point par point.

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C’est aussi le principe du millefeuille argumentatif qui consiste à empiler des arguments fallacieux très rapidement pour donner une impression de densité à son propos tout en ne laissant pas à l’autre le loisir de s’opposer. Cette technique est d’autant plus pernicieuse lorsque son utilisateur met sur la table des points qui n’ont rien à voir avec le sujet.

L’opposant se trouve alors devant un choix impossible. D’un côté, ne pas répondre aux arguments avancés pourrait laisser croire qu’il serait embarrassé et que son adversaire aurait raison. De l’autre côté, il pourra perdre de précieuses minutes à répliquer au risque de s’écarter complètement du sujet. Pire encore, s’il n’a pas les données réelles en tête, il sera dans l’incapacité de contredire son homologue, même si celui-ci raconte n’importe quoi.

Dans un débat sur BFMTV sur les soulèvements de la terre, le député LFI Antoine Léaument a ainsi été victime de cette méthode grossière face au conseiller régional RN, Aleksandar Nikolic. En quelques secondes, ce dernier va alors enchaîner les mensonges :

— « Les soulèvements de la terre prônent les éoliennes, ce modèle énergétique est essayé en Allemagne et entraîne 7 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre à cause de leur intermittence » Faux.

— « Ils sont pour le 100 % bio. Ça a été testé au Sri Lanka pendant quelques mois, il y a eu une famine généralisée et une révolution a renversé le gouvernement. » Faux.

— « Vous refusez le progrès pour émettre moins de CO2, vous êtes contre le nucléaire notamment » Faux.

— « Les soulèvements de la terre sont contre le progrès, ils sont contre la croissance, leur modèle c’est le 18e siècle, et à l’époque l’espérance de vie était de 25 à 30 ans » Faux.

Des journalistes complaisants

Toutes ces affirmations complètement fausses sont évidemment impossibles à contredire en à peine cinq minutes. D’autant plus lorsque le présentateur de l’émission va jusqu’à empêcher Antoine Léaument de répondre avant de lui dire qu’il est caricatural quand il dénonce la radicalité du capitalisme. Le tout après avoir laissé l’élu RN dérouler ses arguments fallacieux tranquillement.

Cette situation est malheureusement loin d’être un cas isolé. De plus en plus de mensonges sont ainsi proférés à la télévision sans la moindre contradiction des journalistes. Parfois parce que le format des programmes ne leur permet pas toujours de le faire en temps réel, ou parce qu’ils n’ont pas suffisamment travaillé leur sujet.

Mais c’est également aussi souvent par pure complaisance avec l’ordre établi. C’est en l’occurrence complètement le cas dans l’exemple du débat précédemment mentionné. On pourrait, de même, citer les multiples interviews où Emmanuel Macron empile les mensonges sans qu’aucun journaliste n’ose le remettre en question. C’est d’ailleurs parfois eux-mêmes qui mentent éhontément pour consolider une certaine vision du monde.

Faut-il prendre le temps de répondre ?

Il est d’autant plus compliqué de lutter contre la loi de Brandolini que de nombreuses personnes sont victimes d’un biais de confirmation. Ainsi, si nous avons un a priori sur un sujet, nous croirons plus facilement l’individu qui ira dans notre sens que son opposant, et ce même si l’un ne fournit aucun argument et tandis que l’autre fait un long développement.

Lorsqu’une contre-vérité fait « le buzz », elle laisse en outre souvent plus de traces que ses dénégations. Il s’agit du même processus que la diffamation ; ceux qui auront entendu le mensonge seront nécessairement plus nombreux que ceux qui auront pris connaissance du démenti. Mettre un bémol à une « information » sensationnaliste peut d’ailleurs vous donner l’image d’un trouble-fête ou d’un « monsieur-je-sais-tout ».

Dans ce contexte, on peut légitimement se demander s’il vaut la peine de perdre de précieuses minutes à répondre à des contrevérités, surtout lorsque l’on sait que ceux qui les prononcent n’en auront que faire.

Donner des armes à ceux qui veulent s’en servir

Lorsqu’une personne prend le temps de débattre avec un menteur, c’est rarement pour le persuader lui, surtout à court terme. L’objectif est de faire entendre un autre discours à ceux qui écoutent, extérieurs au débat : Les arguments servant à démentir pourront toujours être nécessaires à d’autres observateurs.

C’est particulièrement le sens de nombreux articles de Mr Mondialisation destiné à passer outre bon nombre de poncifs véhiculés par beaucoup d’adeptes de la loi Brandolini. Disposer de ressources et de liens à envoyer en un claquement de doigts est d’ailleurs une bonne façon de rééquilibrer le match lors de débat en ligne.

– Simon Verdière


Photo de couverture par Mohamed Hassan sur Pixabay

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