« Tous les journalistes sont de gauche ». Ce cliché, véhiculé essentiellement par la droite et l’extrême droite, a la peau dure. On a même récemment entendu Michel Onfray déclarer que la majorité de la presse était « mélenchoniste ». Le son de cloche est d’ailleurs identique chez Laurent Joffrin. De manière factuelle, on est pourtant très loin de ces annonces.

Pour les personnes se battant pour la justice sociale et la sauvegarde des conditions de vie  sur la planète, il y a de quoi tomber de sa chaise face aux positions lamentables d’une immense partie des journalistes vis-à-vis de ces combats.

Les propriétaires des médias ne sont pas marxistes

Avant de rentrer dans les détails, on peut déjà commencer par noter que l’immense majorité des médias de masse appartient à des milliardaires qui l’ont achetée pour défendre leurs propres intérêts. En témoigne la carte des médias français et de leurs familles propriétaires.

Carte « Les médias français : qui possède quoi ? » Source

Dès lors : on se demande bien pourquoi des journaux ou des chaînes de télévision détenues par de grandes fortunes viendraient adopter une ligne éditoriale de gauche et ainsi prôner un programme politique qui nuirait directement à leur enrichissement.

Est-ce qu’on imagine vraiment les Drahi (Libération, BFM, RMC), Bolloré (C8, Cnews), ou Bouygues (TF1, LCI) voter à gauche ? Peut-on se figurer un service public soutenir une politique adverse à celle d’Emmanuel Macron, alors que les dirigeants sont nommés par le président de l’ARCOM, lui-même désigné par le pouvoir en place ?

Confusion sur ce qu’est la gauche

Bien sûr, en faisant l’affirmation d’une « gauchisation des médias », la droite cherche avant tout à se victimiser pour maintenir sa place. Cependant, il existe aussi une part de sincérité chez certains observateurs politiques qui placent simplement le curseur de la gauche sur un point bien précis : celui du refus des discriminations. Certes, cette lutte est historiquement de gauche. Et sur ce point, on peut dire qu’elle a sans doute fait progresser la société, puisqu’il devient aujourd’hui de plus en plus compliqué de se revendiquer ouvertement du racisme, du sexisme ou de toute autre forme d’intolérance.

Bien évidemment, ces fléaux sont toujours très présents dans notre monde, mais une bonne partie de la presse bourgeoise tente de s’en écarter (pas toujours avec réussite). Pour la droite réactionnaire, ce phénomène qu’elle appelle tantôt « le wokisme » tantôt la « bien-pensance » est l’apanage de la gauche.

Ne pas être raciste, ne veut pas dire être de gauche

Or, en réalité, essayer de lutter contre les discriminations n’est pas suffisant pour qualifier quelqu’un de gauche. C’est pourtant ce qu’ont longtemps voulu nous faire croire des idéologues néolibéraux comme François Hollande.

Est-ce qu’avoir mis en place le mariage pour tous fait de l’ancien président un homme de gauche ? Il semble compliqué de l’affirmer tant celui-ci a mené une politique de droite sur les plans économique, social et environnemental. C’est d’ailleurs typiquement ce genre de positionnements qui sème un confusionnisme sémantique.

Photo de cottonbro studio. Source : Pexels

On peut observer le même comportement dans beaucoup de médias, y compris appartenant à des milliardaires. Il s’agit en réalité d’un libéralisme conduit à son paroxysme : sur la société et sur l’économie. Et si beaucoup d’ultra-riches sont si coulants sur ce point, c’est sans aucun doute parce que cela permet de forger une image positive tout en ne mettant pas en danger leurs affaires.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Des médias pro-Mélenchon, sérieusement ?

Pourtant, Joffrin et Onfray (et derrière eux une immense partie de la droite et de l’extrême droite) poussent le bouchon encore plus loin en affirmant que la presse serait pro-Mélenchon. Dans ce cas, la confusion avec le « centre gauche » sauce Hollande n’est même plus possible. Entre le programme proposé par le fondateur de la France Insoumise et les idées prônées par les médias de masse, on a beaucoup de mal à voir les points communs. D’un point de vue socio-économique, en particulier, on constate clairement que la virulente critique du capitalisme n’est pas partagée par grand monde dans ce milieu.

Dire que la presse serait majoritairement pro-Mélenchon relève au mieux d’une malhonnêteté totale, au pire d’un délire absolu. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les photographies de l’ex-candidat aux présidentielles choisies par les médias pour illustrer leurs articles. Presque systématiquement, on le verra grimaçant ou vociférant pour véhiculer une image d’agressivité et d’antipathie.

Dans le contenu, ce n’est pas plus reluisant. Depuis près de dix ans, la quasi-intégralité de la presse tire sur lui à boulets rouges. Il n’y a guère que l’Humanité qui l’épargne plus ou moins ; et encore, le quotidien fondé par Jaurès a préféré soutenir Fabien Roussel durant les présidentielles. Dans une moindre mesure, Libération (décrit comme un journal de gauche) lui a parfois été favorable, mais n’a pas manqué non plus de l’attaquer frontalement régulièrement.

Si l’on excepte quelques rares chroniques sur le service public et les médias en ligne, c’est bien une vague de critiques envers ce courant politique que l’on peut retrouver dans la presse. Le Monde, le Figaro, Le Parisien, L’opinion, Les échos, Le Point, l’Obs, Challenges, Valeurs Actuelles, le JDD, l’Express, CNEW, BFM, France Info, LCI : tous défendent un point de vue économique libéral.

Au contraire, l’information de gauche altermondialiste passe essentiellement par des petites structures indépendantes sur internet. Ce qui est encore une fois logique étant donné qu’ils prônent un projet opposé aux grandes fortunes qui financent les autres médias.

Le feu de paille des législatives

Pour appuyer leur thèse, les droites soulignent le remous médiatique provoqué par la création de la NUPES lors des législatives de 2022. Cette première historique avait entraîné une augmentation du temps de paroles des représentants de la gauche durant le mois de mai. Pourtant, il ne s’agissait que de la moitié de la campagne.

Dans son rapport de fin 2022, l’Arcom précise ainsi : « La surexposition initiale de la Nupes a été corrigée au cours des dernières semaines de la campagne électorale. En définitive, la Nupes a bénéficié sur l’ensemble de la période d’un accès à l’antenne légèrement inférieur à celui de la coalition Ensemble, ce qui a conduit l’Arcom à estimer qu’il était conforme aux critères définis par la recommandation du 30 mars 2022. »

L’écran de fumée des temps de parole

En outre, le temps de parole ne prend en considération que les interventions des partis politiques. Rien ne mesure les propos tenus par les journalistes et éditorialistes. Or, ces derniers sont pourtant particulièrement engagés et monopolisent les micros pendant de longues heures. En réalité, le discours de ces têtes de gondole compte sans doute bien plus que celle des candidats, puisque c’est eux que le grand public écoute et lit.

Et à ce petit jeu, force est de constater que très peu d’entre eux sont partisans des idées politiques de Jean-Luc Mélenchon. En 2017, le site Le vent se lève, qui racontait l’importance capitale des médias dans l’élection d’Emmanuel Macron, soulignait d’ailleurs le rôle des éditorialistes.

Montage Le Vent se Lève

Balayons enfin l’argument qui met en avant un sondage ancien exposant que 52 % des journalistes seraient de gauche. Les biais de cette étude ont largement été démontrés, d’autant plus qu’elle partait du postulat que François Hollande était de gauche, ce qui, comme nous l’avons vu est plutôt discutable.

L’émergence d’une presse d’extrême droite

Non seulement la gauche ne s’impose pas spécialement dans les médias, mais par-dessus le marché, elle est aujourd’hui moins bien représentée que l’extrême droite, jadis bannie du débat public. On peut certes imputer ce phénomène à Vincent Bolloré qui a propulsé ces idées sur le devant de la scène en bâtissant un empire de l’information, notamment par le biais de C8 et CNEWS. Mais on peut aussi blâmer les libéraux qui n’ont cessé de banaliser ce clan politique.

Emmanuel Macron a d’ailleurs fondé sa stratégie sur le fait d’affronter l’extrême droite au second tour des élections afin d’emporter la victoire à tous les coups grâce au « barrage républicain ». Une ruse éculée qui risque de ne plus fonctionner très longtemps, d’autant que la frontière entre les deux camps s’amenuise d’année en année.

Bien sûr, le journalisme n’est jamais neutre, et courir après l’objectivité n’a aucun sens. Le véritable problème réside dans le manque d’équilibre dans la diversité des forces politiques passant à l’antenne. Tandis que l’extrême droite s’est vue offrir une place dans le paysage audiovisuel français, le néolibéralisme y reste toujours omniprésent. La gauche, elle, est bien plus timidement représentée (et ne parlons même pas de l’extrême gauche), n’étant soutenue par aucun grand propriétaire de médias de masse.

Heureusement, les nouvelles générations semblent multiplier les sources d’informations et ne se contentent plus des canaux traditionnels.

– Simon Verdière


Photo de couverture de Andrea Piacquadio. Source : Pexels 

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation