Alors qu’avait lieu ce 18 mai la « Journée européenne de l’obésité », l’ONG foodwatch dénonce la campagne coordonnée par le CNAO (Collectif national des associations d’obèses) soutenue par le Gouvernement français. Les affiches diffusées à cette occasion, accompagnées de conseils pour perdre du poids et illustrées par des personnes en situation d’obésité « culpabilisent les consommateurs au lieu de cibler les vrais responsables que sont les industriels de la malbouffe » dénonce foodwatch. Explications.
« Contre l’obésité, bougez votre corps pour être au cœur de votre santé », « Contre l’obésité, mangez équilibré et avec plaisir », « Contre l’obésité, osez changer vos mode de vie » : voici le genre de message que la CNAO a adressé au public via une campagne d’affichage à l’occasion de la journée européenne de l’obésité. D’un premier regard, ceci peut sembler de simples conseils anodins et bienvenus. Cependant, ils font du surpoids une simple question de choix individuels, au dépit du fait que l’obésité est en passe de devenir un défi civilisationnel, y compris en France (15 % des adultes sont concernés, une tendance qui s’aggrave). Dès lors, cette campagne n’inculque-t-elle pas une nouvelle fois l’idée que les individus, isolés face à leur situation, sont les seuls responsables ? Pas les industriels ? Pas les grandes marques ? Pas notre manière de gérer collectivement la société ? Le manque de vision systémique de la problématique frappera aux yeux des professionnels du milieu.
« Trop gras, trop sucré » : un mal civilisationnel
Si l’augmentation de l’obésité et les maladies liées (risques cardio-vasculaires et diabète) est un phénomène inquiétant, mettant en danger les individus et à moyen terme notre système social, la progression constante des personnes en surpoids dans les pays industriels suggère bien que le problème est sociétal, donc aussi la résultante de choix collectifs. Force est d’ailleurs de constater que tout un chacun est aujourd’hui soumis à la malbouffe, depuis les cantines scolaires – où les enfants se voient proposés beaucoup trop de viande et de produits laitiers – jusqu’aux grandes surfaces, où les rayons pullulent d’aliments transformés et ultra-transformés trop gras et trop sucrés. Il est de plus en plus difficile de s’échapper de cette norme dans laquelle notre génération baigne. L’obésité devient ainsi systémique. Réduire la question du surpoids à, uniquement, des choix alimentaires individuels serait non seulement faire fausse route, mais aussi se voiler sur un phénomène qui est devenu culturel. Comment résoudre une problématique en niant ses causes ?
À l’image de certains médecins, comme le Dr Robert Lustig, certains battent d’ailleurs en brèche l’idée selon laquelle l’obésité est une question qui appartient à la sphère strictement domestique. Il est certes séduisant, rappelle l’auteur dans son livre Sucre, l’amère vérité (Editions Thierry Souccar) d’ « imagin[er] que l’obésité résulte en quelque sorte d’un choix personnel, puisque nous contrôlons non seulement ce que nous mangeons mais aussi la quantité de notre activité sportive », ce qui ferait des personnes concernées des « coupables ». Ne sommes-nous au contraire pas tous « victimes » (le mot est employé par l’auteur) d’un mode alimentaire devenu dominant ? Comment l’individu peut-il à lui seul « manger mieux », s’il est habitué depuis sa jeunesse à manger trop gras et trop sucré ? D’autant que changer d’alimentation et « maigrir » n’est pas si simple, le sucre et les graisses ayant des effets complexes sur le cerveau (non seulement le cerveau crée des dépendances, mais en plus il met en place des mécanismes pour que l’individu ne perde pas de poids, considérant que la perte des graisses met le corps en danger).
« L’industrie agroalimentaire a bel et bien une responsabilité dans l’épidémie de maladies chroniques comme le diabète et l’obésité »
Pour l’ONG foodwatch, la campagne manque donc inévitablement sa cible en faisant culpabiliser les personnes. Selon elle, il faudrait encadrer les industriels de l’agro-alimentaire, dont l’objectif est précisément de rendre les consommateurs dépendant de leur nourriture. « L’industrie agroalimentaire a bel et bien une responsabilité dans l’épidémie de maladies chroniques comme le diabète et l’obésité. Il est urgent de leur fixer des règles, notamment en encadrant la publicité ciblant les enfants, sur tous les supports, pour les produits trop sucrés, trop gras, trop salés. Au lieu de culpabiliser les gens sur leur manque d’exercice, l’État et les responsables politiques devraient plutôt les protéger des excès des industriels de la malbouffe », réclame Mégane Ghorbani, responsable de campagnes chez foodwatch. Mais on comprend bien que sous le diktat d’un libéralisme outrancier, il n’est pas au programme du gouvernement de confronter les choix des industriels.
Tout comme Greenpeace, qui lance une campagne pour sensibiliser à la surconsommation de viande dans les cantines françaises (selon l’ONG, 70 % des écoliers doivent manger de la viande ou du poisson tous les jours à la cantine), foodwatch entend s’appuyer sur l’examen par les députés à partir de ce 22 mai du projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable » pour obliger à mieux encadrer la publicité et ainsi réduire l’impact des industriels sur les consommateurs. Et il conviendra certainement d’aller plus loin qu’une citation en petit caractère sous une publicité pour des bonbons…
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