C’est un projet d’urbanisation hors-la-loi qui risque de bientôt voir le jour sur la petite station balnéaire de Brétignolles-sur-Mer en Vendée. Du moins c’est ce qu’avertissent haut et fort les opposants à ce projet de port de plaisance défendu par le maire de la commune sur le site de la Normandelière. Pourtant les impacts environnementaux sont bel et bien reconnus sur ce milieu naturel qui abrite une zone humide rare ainsi qu’une dune littorale classée. Sur le terrain, la mobilisation a redoublé depuis que les pelleteuses ont commencé à défricher la zone naturelle. Émues par ce spectacle de destruction, près de 2500 personnes ont manifesté dimanche dernier, tandis que certains ont commencé à implanter une ZAD (Zone à Défendre) avec l’appui d’une partie de la population locale qui ne souhaite pas voir son patrimoine défiguré. Un nouveau rassemblement aura lieu le 19 octobre. Brétignolles-sur-Mer, le nouveau Notre-Dame-des-Landes ? Retour sur une contestation qui remonte à près de 20 ans.
“Cela fait 16 ans qu’on débat, qu’on fournit les arguments sur tout ce qui ne va pas ! Le projet est hors-la-loi !”. La décision du préfet de Vendée cet été d’autoriser la construction d’un port de plaisance sur le site préservé de la Normandelière a laissé Jean-Baptiste Durand écœuré. Il est le président du collectif la Vigie, fer de lance de la contestation du port de Brétignolles depuis que son porteur, Christophe Chabot, l’a proposé il y a de cela une vingtaine d’années. Pour Jean-Baptiste Durand comme pour la plupart des personnes opposées au projet, le choc a redoublé d’intensité depuis que des travaux préparatoires ont démarré fin septembre sur la dune qui surplombe cette plage familiale. Ce site classé pour son intérêt écologique et paysager pourrait bientôt être éventré pour la réalisation des bassins portuaires. L’aménagement d’une emprise totale de 40 hectares ( 10 ha pour le port ) doit aboutir à la création de deux bassins ( l’un réservé aux voiliers et l’autre aux bateaux à moteur ) d’une capacité de 915 anneaux ainsi que d’une zone de loisirs dédiée à la baignade et à l’apprentissage de la voile.
Alors que le chantier devait être lancé en janvier 2020, une partie de la population a perçu comme une provocation l’abattage des arbres et le dégarnissage de l’arrière de la dune entamés par les pelleteuses et bulldozers comme pour signifier que les jeux sont faits : port il y aura ! Toutefois depuis le 6 octobre l’espoir a refait surface pour les opposants historiques. Jusqu’ici confinée à un cadre local, la contestation a pris une toute autre ampleur avec le rassemblement sur site de 2000 à 3000 personnes selon ses organisateurs derrière le slogan “#balancetonport”. “C’est un succès retentissant” nous affirme le président de la Vigie.
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Déterminés à ne pas se laisser faire, les contestataires ont réussi ces derniers jours à arrêter les machines à l’aide de chaînes humaines et de sit-in pacifiques malgré la présence de la gendarmerie. Estimant que la sécurité n’était plus garantie, les responsables de chantiers ont interrompu les travaux. Victoire pour celles et ceux qui n’y croyaient plus et se sentaient seuls dans ce ce combat : « En deux jours, on a obtenu plus qu’en 15 ans », se réjouit un homme interviewé sur France 3. “Avant, il ne se passait rien” affirme quant à elle une opposante historique qui se félicite du blocage réussi par “les jeunes”.
La dune de la Normandelière, la nouvelle Zone à défendre ?
Les « jeunes » ce sont les zadistes. Ils s’installent progressivement sur une parcelle privée à proximité du site avec l’aide et l’aval d’une partie des habitants. Contrairement à ce qu’affirme le maire de Brétignolles-sur-Mer, la plupart sont issus du coin, comme nous le confirme Alexandre Gaborieau, membre de Surfrider Vendée, association active sur le dossier. “Christophe Chabot les décrit comme des étrangers qui ne connaissent rien et il tente de diaboliser la Zad en effrayant les gens. Mais sur place les jeunes sont calmes, on les connaît pour la plupart, ce ne sont pas des extrémistes” poursuit le jeune associatif qui confirme que des militants issus des alentours de Nantes ayant pris part à la contestation du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes auraient pu rejoindre le mouvement..
Le maire a lui saisi l’occasion pour agiter le spectre de la division et des affrontements entre anti et pro zadistes, demandant également aux promeneurs d’éviter de se rendre à la plage de la Normandelière. L’élu ne serait-il pas en train de lui-même mettre de l’huile sur le feu ? Alors qu’une nouvelle manifestation doit avoir lieu le 19 octobre devant la préfecture de Vendée pour contester son feu vert accordé au projet, Christophe Chabot, également président de la communauté de communes du Pays de Saint-Gilles-Croix-de-Vie propriétaire du terrain qui devrait abriter l’infrastructure, a appelé à un rassemblement sous la bannière “#balancetazad”. “Certains veulent balancer la République, nous voulons balancer les Zad” a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse. L’élu soutenu par ses confrères vendéens en appelle “solennellement à l’Etat” pour gérer ce qu’il décrit comme une “catastrophe” insoutenable pour Brétignolles et ses alentours. La contre-manifestation a toutefois été annulée sur ordre du préfet pour éviter d’éventuels affrontements.
L’implantation de la Zad, une catastrophe ? Pour les associations locales elle est plutôt vue comme une opportunité de bloquer le projet. “Nous ne sommes pas impliqués dans cette initiative de Zad mais il faut dire que ça nous arrange car cela nous permet de gagner du temps” nous confie Surfrider Vendée qui a déposé six recours en justice aux côtés de la Vigie, France Nature Environnement et d’autres organisations. Mais ces recours ne sont pas suspensifs des travaux et entre temps la voie est libre pour les promoteurs. “Il faut voir à quel point la mobilisation va renverser la donne, c’est là-dessus que tout va se jouer” nous dit Benjamin Hogommat juriste chez FNE.
Port de Brétignolles : l’histoire d’un passage en force
Cela fait depuis 2001 que Christophe Chabot, maire de Brétignolles-sur-Mer, commune de 4232 habitants, défend coûte que coûte la construction d’un port de plaisance à la Normandelière. “On retrouve ici toutes les caractéristiques de ce genre de situation, à savoir une collectivité qui veut faire absolument aboutir le projet pour que les élus ne soient pas désavoués. C’est une affaire personnelle !” juge pour sa part Yves le Quellec, président de FNE Vendée. Soumis à enquête publique en 2011 avec un record de participations ( près de 5500 observations ), le projet avait reçu d’abord un avis défavorable principalement pour son impact écologique. Quelques années plus tard, et grâce à l’ouverture laissée par le préfet pour une nouvelle enquête publique, la communauté de communes décide d’acquérir le terrain en son nom et de retoquer le projet. Examiné une nouvelle fois en novembre 2018, il reçoit alors un avis favorable.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=308&v=vwIKA9hYvB4
Toutefois, les associations dénoncent une tentative de dissimulations et de contournements qui rend le projet illégal. En effet le Plan local d’urbanisme ( PLU ) fraîchement élaboré par la commune est évalué parallèlement par une autre commission d’enquête. Celle-ci accepte de le valider sous réserve que soit réintroduite la mention “en coupure d’urbanisation” qui préserve historiquement le site de la Normandelière de tout aménagement. Mais la municipalité décide de passer en force et de voter son PLU sans inclure cette recommandation au risque de devoir renoncer à son projet de port. Estimant alors que toutes les cases administratives étaient cochées, le préfet de Vendée a déclaré d’utilité publique le projet cet été ouvrant ainsi la voie à sa réalisation.
Le principal argument avancé par ses promoteurs est de répondre à la saturation des ports vendéens. La mairie affirme avoir déjà reçu 1400 demandes de places à satisfaire. Les retombées économiques et touristiques sont également – et comme très souvent – mises en avant pour gagner l’adhésion de la population. L’intérêt économique est important. Une centaine d’emplois créés et des recettes annuelles de 2,2 millions d’euros pour le département. Le coût du projet est évalué à 42 millions d’euros sans qu’aucun centime ne soit prélevé de la poche du contribuable selon les dires de Christophe Chabot.
Mais le prix à payer par la nature est lui très élevé. En effet les travaux sont lourds sur cette zone composée d’un milieu dunaire, d’une zone humide et de terres agricoles dont l’écosystème risque d’être bouleversé. La dune bordière de la plage va être brisé sur 150 mètres pour faire entrer la mer sur 1 km de bassins ce qui va nécessiter de creuser un grand chenal et construire un pont levant qui reliera les deux rives. Deux gros massifs rocheux artificiels de 350 mètres seront créés de part et d’autre du chenal d’entrée pour le protéger de la houle. Du point de vue de ses promoteurs, le projet est exemplaire au niveau environnemental. Reconnaissant la destruction de plus de 5000 m2 de dune ainsi que de la biodiversité qui s’y trouve, la communauté de communes se réfugie derrière l’argument de la compensation. Des prélèvements d’espèces sont prévus pour être réimplantés un peu plus loin dans les terres. Elle défend aussi un projet faisant théoriquement bouclier à l’étalement urbain grâce à la sanctuarisation des alentours du port empêchant d’y développer tout projet immobilier.
Un désastre environnemental pour un projet digne d’un autre temps
Selon les associations rien n’a changé dans la nouvelle mouture du projet. Déplacement d’espèces protégées, modification de la façade maritime dans un contexte de réchauffement climatique et de montée des eaux, artificialisation de terres agricoles, les conséquences sont toujours aussi désastreuses du point de vue écologique et social. La plage historiquement fréquentée par les familles deviendrait réservée à une certaine catégorie sociale : “place maintenant à ceux qui font du bateau et qui ne s’en servent qu’une fois par an !” nous dit dépité le président de la Vigie qui pointe également du doigt l’incompatibilité entre une activité de baignade et l’usage du port du fait des pollutions et de la piètre qualité des eaux que celui-ci risque de générer.
Dans les recours qu’elles ont déposés par l’intermédiaire du cabinet Huglot-Lepage, les associations se sont concentrées sur la contestation des autorisations environnementales du projet. Bien que la mairie ne l’a pas identifié comme tel, le site est bel et bien un espace remarquable du point de vue de la loi littoral. “Il suffit de voir la liste d’espèces visée par la demande de dérogations des promoteurs pour conclure qu’on est sur un espace remarquable du littoral” nous précise le juriste de FNE selon qui il s’agit d’un des points soulevé dans le recours en justice. Par ailleurs, les travaux de compensation sont loin de convaincre. “Ils ont raclé les 1ers centimètres de la dune qu’ils ont mis dans un local de la mairie et ils pensent les replanter sur le versant qu’ils vont recréer un peu plus loin. C’est très simpliste ! ” décrie Surfrider Vendée tandis que FNE évoque un montage abominable qui aboutit à une sorte de remembrement du site.
Ici vidéo réalisée en octobre sur le réel impact du port :
En outre, la communauté de communes devra prouver que le projet est motivé par une raison impérative d’intérêt public majeur, c’est à dire par un intérêt public qui soit supérieur à celui de la protection des espèces. “De notre point de vue, la démonstration n’est pas faite” nous dit le juriste Benjamin Hogommat. Il y a en effet de fortes raisons de douter de la nécessité de répondre au déficit de places au sein des ports de Vendée. D’abord, parce que les ports du Pays de la Loire comptent le nombre non négligeable de 10 mille places avec tout récemment la construction d’un port à la Rochelle de 5000 anneaux.
Ensuite, parce que la tendance est à l’économie d’usage avec une nouvelle génération qui privilégie le partage et la location au détriment de l’acquisition de bateaux. Ces facteurs combinés jettent de l’ombre sur la capacité de la communauté de communes du Pays de Saint-Gilles-Croix-de-Vie de remplir son futur port comme elle en a l’air d’être sûre. Les projections de la commune sont par ailleurs basées sur un formulaire de pré-réservations en ligne non vérifiées. “C’est une liste d’attente virtuelle ! 40 % des inscrits n’ont même pas de bateau !” nous dit Yves le Quellec, “ce sont des inscriptions fictives de gens qui se disent sans doute que la création d’un port de plaisance va valoriser leur bien immobilier”. Alors quel intérêt pour cette communauté de communes de construire une infrastructure aussi lourde, coûteuse et digne “d’un autre âge” pour reprendre le terme du député du Morbihan Jimmy Pahun qui a publiquement pris position contre le projet ? Difficile à dire.
Tout repose dorénavant sur la mobilisation sur place à condition que les forces de l’ordre ne délogent violemment les militants comme cela a été le cas à plusieurs reprises récemment en France. “On appelle l’Etat à ne pas se ranger du côté d’une collectivité qui a failli dans la conduite de ce projet” nous déclare FNE qui espère que le nombre important de contestataires sur place suffira à tirer un trait définitif sur ce projet.
PAN