Alors que les émissions de CO2 augmentent toujours dans bon nombre de pays, tranchant avec l’engagement des discours politiques, d’autres prennent au sérieux la problématique du réchauffement climatique. La Finlande veut surpasser ainsi le reste du monde en fixant un objectif à court très court terme par rapport aux autres pays : une neutralité en carbone pour 2035. Même si elle participe déjà peu au volume total des émissions de dioxyde de carbone, elle n’en reste pas moins un des pays développés qui consomment le plus d’énergie primaire par habitant, et son nouveau virage énergétique ne semble pas tourné uniquement vers des solutions responsables…
Le défis finlandais
Le nouveau gouvernement de coalition l’a annoncé le 4 juin dernier, la Finlande sera une société durable sur le plan social, économique et écologique. Dans cet objectif, ils s’engagent dans leur rapport « Une Finlande inclusive et compétente » dans une mesure qui dépasse les objectifs de tous les pays développés : être neutre en émission carbone en 2035. Passé cette date, le pays devra présenter des émissions négatives. Le plan prévoit de mettre en place un groupe de travail ministériel pour préparer la nouvelle politique climatique et atteindre cet objectif. Elle veut aussi renforcer sa collaboration avec ses voisins scandinaves. Les 1,23 milliard d’euros que cette transition écologique va nécessiter sont prévus d’être financés par une augmentation des taxes, principalement sur les combustibles fossiles soit le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Problème qui ne manquera pas de diviser les écologistes : cette transition ne repose pas nécessairement sur une sobriété collective ou la décroissance, mais sur le développement du nucléaire.
Au aujourd’hui, contrairement à l’image qu’on s’en fait volontiers à l’étranger, le pays d’Europe du Nord n’est pas un des meilleurs élèves de l’Europe en matière d’écologie. Sa consommation d’énergie par personne est supérieure de 44 % à la moyenne des pays développés. Même si sa production est en grande partie décarbonée, elle ne couvre que la moitié des besoins du territoire. De plus, ses émissions de gaz à effet de serre liées à l’énergie sont de 20 % supérieur à la moyenne des pays de l’Union européenne. Cela est dû principalement à l’utilisation encore répandue en Finlande de la tourbe et du charbon. Le pays scandinave veut donc réduire et même supprimer la part de ce dernier dans la production d’électricité d’ici 2029.
I have to admire #Finnish government's #PR today: taking the tram to the press conference, organised in a public library and open for everyone : a great sign of openness and transparency. Content counts most, but image helps #media #politics #pr https://t.co/sRQvcyoFHh
— Heli Suominen 🇫🇮 (@helisuominen) June 3, 2019
Le piège de la neutralité en carbone
Pour qu’un pays soit neutre en carbone, il faut que la quantité de CO2 qui y est produite soit égale à celle qui y est absorbée. Ceci ne veut donc pas dire que les émissions de CO2 sont totalement inexistantes. Dans cette vision, il s’agit surtout de compenser les émissions existantes, notamment par le prisme technologique. Ce procédé de compensation peut être fait naturellement, par les sols ou les forêts, mais aussi par des processus industriels, comme la capture ou le stockage. Ensuite, pour pouvoir être négatif en bilan carbone, il faut que le pays en absorbe finalement plus de polluants qu’il n’en émet, ce qui représente un véritable défi de civilisation.
On remarquera que le rapport du GIEC de 2018 a décrété, sur base des données scientifiques, que cet objectif devrait être atteint à l’échelle planétaire en 2050 afin de pouvoir limiter le réchauffement climatique à 1,5 C. Les experts assurent que c’est encore de l’ordre du possible, mais uniquement à travers des changements radicaux. Une telle perspective appliquée devrait obligatoirement modifier la façon dont nous voyageons, les espaces dans lesquels nous vivons, la nourriture que nous consommons, etc., le tout, de manière radicale. Aujourd’hui, on peine de plus en plus à penser qu’une nouvelle fuite en avant technologique, sans changement politique structurel, puisse en venir à bout dans le cadre du libre marché. En effet, cette notion de neutralité carbone instaure un jeu ambigu entre les pays. Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement, prévient que cette notion permet aux grandes puissances de continuer de produire du carbone en masse.
Pour le moment, le seul pays à avoir atteint voire dépasser la neutralité en carbone est le Bhoutan. Recouvert de forêts à 70 %, il est capable d’absorber trois fois plus de carbone qu’il n’en émet. Une des raisons de cette singularité, c’est une sobriété culturelle – qui peut-être perçue comme de la pauvreté selon les regards des uns et des autres – génère un mode de vie faiblement carboné. Le Bhoutan n’est toutefois pas non plus érigé en modèle, car ce territoire d’Himalaya a aussi massivement investi dans des centrales hydroélectriques. Les barrages, en inondant les vallées, génèrent des atteintes à la biodiversité et l’esthétique du paysage. Inévitablement, toute action de l’Homme sur son environnement entraîne certains dégâts.
Baisser les émissions de carbone pour investir dans le nucléaire
Pour atteindre ce but louable, la Finlande investit des sommes colossales dans l’industrie nucléaire. Ses quatre réacteurs nucléaires répartis sur deux sites, Loviisa et Olkiluoto, seront bientôt rejoints par un cinquième, Olkiluoto 3. Ce parc nucléaire sera complémenté en 2028 par un réacteur à eau sous pression, le VVER-1200. Le pays veut ainsi être capable d’électrifier toute la société, des transports au chauffage.
Même si l’énergie nucléaire n’émet pas de dioxyde de carbone à la production (excepté l’énergie grise de l’extraction minière de l’uranium), les mouvements écologistes rappellent que le risque zéro n’existe pas et que les conséquences d’un accident nucléaire sont désastreuses pour la population, l’environnement et l’économie, et cela pour des dizaines voire des centaines d’années. Par ailleurs l’industrie nucléaire produits aussi une certaine quantité de déchets radioactifs, dont le stockage pose toujours question et nécessite de grands investissements, souvent controversés. Paradoxe des temps modernes : tout le monde veut bénéficier d’un grand confort de vie mais personne ne veut supporter les conséquences de ce mode de vie. Un mode de vie, donc de consommation et de vision politique, qui n’est évidemment jamais questionné. L’idée même d’une sobriété institutionnelle ne semble pas véritablement débattue, tant notre confort moderne, autant que l’esprit du marché, dictant nos choix de consommation, sont profondément gravés dans nos esprits.
À ce titre, c’est peut-être le plan du Costa Rica pour atteindre la neutralité carbone qui est le plus concret et le plus durable à l’échelle internationale. L’objectif de la neutralité en carbone doit être atteint pour 2050, mais déjà aujourd’hui, 98 % de l’électricité du pays provient d’énergie renouvelable, et ce depuis plus de 4 ans déjà. Certes, tout comme le nucléaire, ces énergies « vertes » supposent une certaine extraction minière, donc une énergie grise dont l’empreinte écologique diffère selon les méthodes et pays d’extraction. Celle-ci peut-elle être totalement compensée par les avancées en matière de durabilité dans d’autres secteurs de la société ? C’est ce qu’il conviendra d’assurer dans les années à venir.
La France, quant à elle, se rêve également à devenir un exemple en matière de transition, mais à plus long terme. Dans le projet de loi sur l’énergie et le climat, il est prévu que le pays sera neutre en carbone à partir de 2050. Ici aussi, le choix de la fuite en avant technologique a été acté par les décideurs. La remise en question de la mondialisation des échanges commerciaux ou de nos modes de vie consumériste ne font pas l’objet d’un débat. Bien au contraire, les récents accords internationaux, signés en grande pompe par nos gouvernants, donnant plus de pouvoir aux multinationales, signent une volonté manifeste de perpétuer la marche d’un modèle qui est la cause de nos maux, tout en prétendant par ailleurs qu’il nous sauvera du désastre. Qui ose encore y croire lève la main.