Pointer du doigt la prétendue faible émission de gaz à effet de serre de la France par rapport aux pays les plus pollueurs au monde est l’une des rhétoriques préférées des partisans de l’inaction environnementale. Pourtant, elle ne repose pourtant pas sur grand-chose de solide. Décryptage.
Si un précédent article publié sur Mr Mondialisation avait déjà mis à mal la plupart des arguments des climato-sceptiques, il ne s’était pas attaqué à ce grand classique des climato-rassuristes ou des techno-solutionnistes (c’est-à-dire ceux qui ne nient pas le dérèglement climatique, mais qui pensent que la situation n’est pas si grave et que l’on finira bien par s’adapter, notamment grâce à la technologie).
"La France ne représente qu’1 % des émissions mondiales" ou "C’est pas à nous de faire des efforts, demandez aux Chinois et aux Indiens !"
Un (énième) fil pour mettre les choses au clair. Et montrer que Gaspard Proust ne fait que propager des propos climatosceptiques 🧶⬇️ pic.twitter.com/dgxkhSDjQP
— Mickaël Correia (@MickaCorreia) June 4, 2023
Whataboutisme encore et toujours
Évidemment, il s’agit ici d’un bel exemple de whataboutisme. Ce sophisme permet de détourner l’attention d’un problème en pointant du doigt un second. Or, même si nos émissions sont moins importantes que celles d’autres pays, elles n’en restent pas moins une question non négligeable.
Dire que l’on ne devrait rien faire parce que d’autres font pire que nous relève d’un relativisme puéril et déresponsabilisant. Cela reviendrait à affirmer que parce qu’un industriel a rasé trente forêts, cela nous donnerait le droit d’en abattre dix. C’est d’ailleurs par ce même relativisme mortifère que les libéraux nous imposent sans cesse des réformes délétères en nous expliquant qu’« ailleurs c’est pire ».
Récemment encore, sur ce sujet du climat, on avait aussi assisté à festival de whataboutisme à propos de la possible interdiction des jets privés. En minimisant leur empreinte carbone par rapport à celle du monde, les plus riches essayaient une nouvelle fois de détourner l’attention de leur immense poids dans la situation au niveau individuel.
Chaque tonne compte
On pourrait d’ailleurs appliquer ce même raisonnement à la France. Certes, elle ne représente que 1 % des gaz à effet de serre, mais c’est aussi le cas de la plupart des États riches du globe. Si l’on additionne les émissions de tous les pays représentant moins de 2 % dans le monde, alors on arrive à plus de 37 % de ce qui est produit sur Terre.
Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré maximum, comme le recommande le GIEC, il faudra atteindre la neutralité carbone en 2050. Expliqué autrement, l’humanité ne devra pas engendrer plus de CO2 que la nature ne peut en absorber.
Or, pour arriver à cet exploit, il est nécessaire de réduire par deux nos émissions mondiales. Autant dire que dans un calendrier aussi serré, chaque tonne compte. Et l’heure n’est définitivement pas à attendre que les autres fassent leur part pour agir.
La France a une responsabilité colossale
D’autant que malgré son bilan plus modéré que certains autres États, la France a une responsabilité énorme dans la situation présente. On peut d’ailleurs noter qu’en délocalisant massivement son industrie, elle a aussi déménagé une bonne partie de sa pollution. Si l’on prend en compte son empreinte carbone, incluant les importations, on peut augmenter notre résultat de 70 %.
Pire, si l’on s’intéresse aux émissions historiques depuis 1750, alors la France trône au huitième rang mondial avec 2,34 %. Sur la production actuelle, elle n’occupe plus que la 21e place.
Il est, de plus, nécessaire de noter que nous sommes loin d’être parfaits à l’heure actuelle. En effet, si chaque être humain vivait comme un Français, la planète serait plus que jamais condamnée. En 2017, le taux d’émission de CO2 par habitant de l’hexagone lié à la consommation énergétique était de 4,7 tonnes en 2021. Si l’on multiplie ce chiffre par les huit milliards d’habitants du globe, on atteint alors un total de 37,6 milliards de tonnes (et ce juste pour nos consommations énergétiques), soit légèrement moins que ce que la Terre a effectivement produit la même année.
On constate donc rapidement que la France est loin de pouvoir se reposer sur ses lauriers. En outre, si l’on voulait s’adonner au petit jeu du « ne faisons rien tant que la Chine et les États-Unis ne font rien », qu’est-ce qui empêcherait les deux cents pays qui polluent moins que la France d’en dire autant ?
Un devoir d’exemplarité
En tant que pays riche, l’hexagone dispose de moyens beaucoup plus grands que la plupart de ses homologues pour organiser un changement de système. À ce titre, il doit donc montrer l’exemple et même aider les populations moins bien loties à prendre une voie plus vertueuse.
Le poids sur nos épaules est d’autant plus important que la France est historiquement très observée à travers le globe. Si notre peuple démontre au reste de l’humanité qu’il est parfaitement possible d’atteindre la neutralité carbone sans pour autant vivre moins bien, voire mieux, alors beaucoup d’autres nations voudront en faire autant.
L’ADEME a d’ailleurs déjà brossé des scénarios envisageables pour aboutir à cet objectif. Pour autant, pour en arriver là, il sera d’abord nécessaire de balayer les gouvernements libéraux promoteurs du capitalisme sauvage. Et encore une fois, si la France y parvenait, elle pourrait une nouvelle fois servir de modèle à travers le monde.
Il n’est enfin pas inutile de rappeler que la question des émissions de gaz à effet de serre (et par extension celle du climat) est loin d’être la seule à prendre en compte au niveau environnemental. Des problèmes comme l’effondrement de la biodiversité ou la dégradation des sols sont, par exemple des sujets tout aussi importants. Mais pour le savoir, encore faut-il s’intéresser sincèrement à l’enjeu écologique, ce qui est rarement le cas de ceux qui avancent l’argument de « la France et son 1% ».
– Simon Verdière
Photo de couverture : Chris LeBoutillier sur Unsplash