Alors que l’Antarctique est déjà grandement menacé par le changement climatique et l’accélération de la hausse des températures, une nouvelle étude révèle que les activités humaines pourraient exercer une pression supplémentaire sur cet écosystème fragile en y introduisant des espèces invasives. En effet, l’augmentation des activités touristiques et de recherches scientifiques en Antarctique pourraient accroitre les risques d’introduction d’espèces non indigènes dans les eaux polaires australes et sur le continent, déstabilisant davantage l’intégrité de cette région jusque-là protégée par son isolement et ses conditions climatiques extrêmes. Explications.

Recouvert à 98% de glace, la faune et la flore terrestres sont presque totalement absentes de l’Antarctique. Pourtant, des mousses, lichens, herbes, petits insectes et micro-organismes évoluent depuis des millions d’années sur les petites parties du continent polaire où la neige fond au printemps.

« La densité de ces organismes est égale à, ou dépasse, ce que l’on trouve dans des régions tempérées voire tropicales. Par endroits vivent de microscopiques arthropodes, les collemboles. Il peut y en avoir un million par mètre carré »[1], explique Peter Convey, spécialiste de l’écologie terrestre de l’Antarctique.

Cette riche biodiversité est actuellement préservée par les conditions climatiques extrêmes et l’isolement de l’Antarctique. Hélas, le réchauffement climatique et l’augmentation des activités humaines dans la région polaire australe pourraient prochainement exercer une nouvelle pression sur cet écosystème fragile en favorisant l’introduction d’espèces invasives.

 

La menace du réchauffement climatique

Outre l’accélération de la fonte des glaces, des chercheurs de la British Antarctic Survey révèlent que le réchauffement climatique pourrait faciliter l’implantation des espèces invasives sur le continent de glace.

« Le changement climatique réduit les barrières à l’entrée, ce qui facilite l’entrée des espèces invasives et réduit les problèmes empêchant leur établissement. Avec plus de terres et plus d’eau liquide en raison de la fonte, la vie va exploser, et probablement intensifier la concurrence entre espèces. Des herbes l’emporteront sur des mousses. Les mouches locales rivaliseront avec les étrangères »[2], averti Convey.

Plus alarmant, les scientifiques préviennent que si l’augmentation des températures se poursuit au rythme actuel, la superficie de terre sans glace permanente dans la péninsule ouest de l’Antarctique augmentera de 300% d’ici le siècle prochain.

Face à ce scénario, l’avenir des manchots empereurs est plus que jamais incertain – Flickr

Actuellement, l’augmentation des températures entraîne déjà la prolifération de deux espèces végétales indigènes sur le continent polaire, la Deschampsia Antarctica et le Colobanthus quitensis. En effet, entre 2009 et 2019, la couverture végétale en Antarctique a augmenté plus que durant les 50 dernières années. Or, une augmentation des espèces végétales indigènes peut modifier la composition chimique des sols, et la manière dont la matière organique se décompose, fragilisant davantage le permafrost [3].

« On peut s’attendre à de nouvelles augmentations des populations de ces espèces végétales à mesure que l’Antarctique se réchauffe dans les décennies à venir, ce qui conduira à un verdissement de la région. Cependant, ce phénomène peut également entrainer des risques accrus pour les écosystèmes associés à l’établissement d’espèces végétales exotiques »[4], explique Kevin Newsham, expert en écologie terrestre de l’Antarctique.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

En effet, le verdissement et la plus grande accessibilité du continent de glace pourraient faciliter l’introduction d’espèces invasives et exercer une nouvelle pression sur cet écosystème fragile et déjà grandement menacé.

 

Risque d’invasion biologique accru

Une étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences[5] suggèrent que l’intensification des activités maritimes en Antarctique augmenterait les risques d’introduction d’espèces invasives au sein des écosystèmes et biotopes fragiles du continent de glace. En effet, le tourisme est aujourd’hui responsable de pas moins de 67% du trafic maritime en Antarctique. La recherche scientifique et les activités liées à la pêche représentent, quant à elles, respectivement 21 et 7% du trafic en zone polaire australe.

Actuellement plus de 1500 ports à travers le monde sont connectés à l’Antarctique, exerçant une pression grandissante sur ses écosystèmes. En effet, les espèces non endémiques peuvent y être transportées de multiples façons. Les visiteurs peuvent transporter des graines de la terre non stérile via leurs vêtements et chaussures. La coque des navires, les cargaisons importées et les véhicules peuvent également transporter des espèces invasives, telles que des insectes, plantes, petits mammifères et espèces aquatiques.

@Derek Oyen/Unsplash

Or, comme l’explique McCarthy, co-auteure de l’étude, « ces espèces invasives peuvent complètement changer les écosystèmes de l’Antarctique, dont les espèces natives y sont isolées depuis 15 à 30 millions d’années. Elles peuvent créer des habitats entièrement nouveaux qui peuvent accroître les difficultés des animaux antarctiques à trouver leur propre place pour vivre. Ainsi, le risque de la disparition d’espèce unique est donc bien plus élevé en Antarctique »[6].

Par exemple, les moules peuvent survire et proliférer aisément dans des eaux polaires très froides. Seulement, leur système de filtration d’eau peut altérer la chaine alimentaire sous-marine et la chimie de l’eau qui les entoure, menaçant de déstabiliser les écosystèmes et la biodiversité endémique de l’Antarctique.

Afin de ne pas fragiliser les écosystèmes de l’Antarctique qui sont déjà grandement menacés par le changement climatique, il est donc essentiel de promouvoir et améliorer les contrôles de biosécurités pour éviter que des espèces invasives atteignent le continent de glace.

W.D.

 

[1] X., « Les espèces invasives apportées par l’Homme, l’autre menace pour l’Antarctique » in GEO, 27 novembre 2019, disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/les-especes-invasives-apportees-par-lhomme-lautre-menace-pour-lantarctique-198798

[2] Ibid., https://www.geo.fr/environnement/les-especes-invasives-apportees-par-lhomme-lautre-menace-pour-lantarctique-198798

[3] Wilkins, A., “Flower growth in Antarctica Is accelerating due to warming climate” in NewScientist, 14 février 2022, disponible sur: https://www.newscientist.com/article/2308214-flower-growth-in-antarctica-is-accelerating-due-to-warming-climate/

[4] Gamillo, E., “Warming temperatures are turning antarctica green” in Smithsonian, 18 février 2022, disponible sur: https://www.smithsonianmag.com/smart-news/warming-temperatures-are-turning-antarctica-green-180979599/

[5] McCarthy, A., Ship traffic connects Antarctica’s fragile coasts to worldwide ecosystems, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 18 janvier 2022, disponible sur: https://www.pnas.org/content/119/3/e2110303118

[6] Frérad, E., « Les navires, un vecteur qui accroit le risque d’espèces invasives en Antarctique » in GEO, 11 janvier 2022, disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/les-navires-un-vecteur-qui-accroit-le-risque-despeces-invasives-en-antarctique-207848

Photo de couverture @Unsplash/henrique setim

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation