Municipales 2020. Les candidats s’organisent à Preuilly-sur-Claise, un petit village de 1 004 habitants en Indre-et-Loire. Trois listes s’affrontent pour les fauteuils de maire et de conseillers municipaux. Dans ce village cher à son cœur, le réalisateur Sylvain Desclous a filmé leur campagne jusqu’au résultat de l’élection et en a fait un documentaire intitulé « La Campagne de France », qui sort le 9 mars au cinéma.

Sur la ligne de départ, ils sont trois concurrents à briguer la succession du maire Gilles Bertucelli. Et trois profils bien distincts entre le vétéran, l’outsider et la jeune relève.

Jean-Paul Charrier, 71 ans, se présente avec sa liste « Unis pour Preuilly ». Il peut compter sur ses expériences de conseiller municipal sortant et de six années de présence dans quasi toutes les commissions de la commune et dans toutes les commissions de la communauté de communes. Le challenger, Patrick Cron, dirige la liste liste de « Partageons un nouvel horizon ». Et surtout Mathieu Barthélemy, le plus jeune candidat à 38 ans, chercheur-entrepreneur dans le domaine de l’intelligence artificielle, fils du photographe du village. Plein d’ambition mais débutant en politique, il est épaulé par Guy Buret, ancien conseiller municipal par deux fois candidats qui lui fait bénéficier de sa longue expérience en politique. Ils portent la liste « Vivre et agir pour Preuilly ».

« La campagne de France » suit les pérégrinations des candidats dans leur campagne, et plus particulièrement celle de Mathieu Barthélémy, novice en politique. Son inexpérience permet au spectateur de s’immerger dans le documentaire et de s’initier tout comme lui aux dessous d’une campagne : préparation longue et minutieuse, imprévus, interview pour la presse locale, collage des affiches, stratégie pour se faire connaître des habitants avec distribution de tracts, présence au salon d’artisanat local, porte à porte, réunion de participation citoyenne pour répondre aux questions des habitants et récolter leurs avis…

Pris de photo des colistiers pour illustrer l’article d’un journal local.

En filigrane de la campagne, le documentaire ne manque pas de souligner la baisse du pouvoir des maires : les communautés de communes se voient déléguer de plus en plus de compétences au détriment des maires dont les dotations sont en baisse. Une délocalisation de la vie politique locale dont les habitants ont d’ailleurs conscience de l’impact sur leur vie.

Mais cela n’arrête pas les candidats et chacun a ses idées pour améliorer la vie des habitants de Preuilly et développer le village. Parmi leurs projets : une structure d’aide aux entreprises, une déviation pour les poids lourds qui traversent Preuilly, la limitation de la vitesse dans le centre, l’embellissement du village, de l’aide aux associations, la valorisation du tourisme, la redynamisation des commerces…

Quel candidat saura convaincre ce Prulliacien ?

Outre les candidats, le réalisateur va également à la rencontre de quelques habitants pour recueillir leur opinion quant à la campagne en cours, mais aussi leurs préoccupations concernant l’évolution de la vie en général. La caméra de Sylvain Desclos capture tous ces instants sans porter de jugement ou se moquer. Son but n’est pas de porter un message politique en particulier.

Si parfois les protagonistes s’adressent directement à la caméra, celle-ci reste en retrait dans la plus grande partie du documentaire.  Une discrétion nécessaire pour ne pas influencer leur comportement (quand bien même l’équipe de tournage était connue) et retranscrire les moments de la manière la plus authentique et intimiste possible. D’où le fait que les scènes où candidats et habitants échangent sont majoritairement filmées à distance et sans ajout de musique superflu. Sylvain Desclous, le réalisateur, a accepté de se confier sur les coulisses de ce tournage particulier.

Mathieu Barthélémy se porte volontiers à la rencontre des Prulliaciens & Prulliaciennes

Mr Mondialisation : D’où vous est venue l’envie de consacrer un documentaire à la campagne municipale de Preuilly-sur-Claise ?

Sylvain Desclous : Avant de répondre à votre question, je dois d’abord préciser que le village en question est celui de mes grand-parents (ils y sont nés, y ont vécu et y sont enterrés) ainsi que d’une partie de ma famille côté paternel. C’est un village dans lequel j’ai passé toutes mes vacances d’été étant gamin et dans lequel je continue d’aller plusieurs fois par an depuis. Donc c’est un village que je connais bien, voire très bien. Et auquel je suis viscéralement et sentimentalement attaché.

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A tel point que lorsque j’y ai réalisé mon premier long-métrage, « Vendeur », en 2015, j’y ai tourné quelques séquences. Puis j’ai fait un moyen-métrage documentaire, « La Peau dure », qui s’y déroule entièrement. Pendant six mois qu’a duré le tournage, j’ai filmé l’amitié cabossée, éthylique, tabagique et poétique de Gérard (75 ans) et Jacky (66 ans). Et quand j’ai terminé ce film, je n’avais qu’une seule envie : refaire un film au village. Non pas un film sur le village mais dans le village. Et je tiens à cette précision car ma démarche est cinématographique et pas anthropologique.

A ce moment-là se profilaient les élections municipales de 2020 et j’ai eu l’intuition qu’en posant ma caméra à Preuilly, pendant cette période, il allait forcément se passer des choses. Quoi : je n’en savais rien, mais disons pour reprendre une citation d’Agnès Varda, que j’ai choisi de prendre le hasard comme assistant.

La « bataille » commence avec le collage des affiches.

Mr M : Vous avez choisi le titre « Campagne de France » pour illustrer les municipales dans un petit village de seulement 1000 habitants. Est-ce une manière de montrer une autre réalité -qui concerne une part importante de la population- en opposition aux grandes villes où les élus sont fréquemment des politiciens connus (voire cadres de parti etc.) et dont les campagnes sont des machines bien rodées ?

Sylvain Desclous : Non. Si j’ai choisi ce titre c’est parce qu’il recouvrait, avec le mot « campagne » aussi bien les aspects rural, électoral que militaire. Après il est bien évident que le film – tout en suivant plus particulièrement Mathieu, l’un des trois candidats – montre une facette de la vie politique qu’on n’a pas l’habitude de voir. La réalité et le quotidien d’une campagne municipale dans un petit village de 1000 habitants n’a en effet rien à voir avec celle d’une grande ville.

Mr M : Combien de membres comptait votre équipe ?

Sylvain Desclous : Nous étions trois. Jean-Christophe Beauvallet, le chef opérateur, Alexis Farou, l’ingénieur du son, et moi-même. C’est avec eux que j’avais tourné également « La Peau dure », dont je parlais plus haut. De ce fait, ils connaissaient bien le village et surtout, ils étaient assez identifiés. Ce qui a permis d’établir une confiance et une proximité avec les personnes que nous filmions. Après j’ai travaillé avec la même équipe de post-production que sur tous mes films : Isabelle Poudevigne au montage, Amélie Canini au montage son et Christophe Vingtrinier au mixage. Et je voudrais également saluer le travail de Bertrand Belin, qui m’a fait le plaisir (et l’honneur) d’écrire la musique du film.

Mr M : Lors du tournage, avez-vous été confronté à des situations incongrues/inattendues ?

Sylvain Desclous : Disons que le plus inattendu a été quand même la candidature de Mathieu et le binôme qu’il a formé avec Guy. Sur le papier on ne pouvait pas imaginer une seule seconde qu’un tel attelage puisse fonctionner. Et pourtant si ! Je dois avouer que quand ils ont débarqué dans la campagne électorale, je me suis frotté les mains car ce fameux hasard dont je parlais plus haut, venait de se manifester. Le hasard ou la chance d’ailleurs. Car j’ai compris instantanément que Mathieu allait devenir le personnage principal du film et que mon travail allait désormais d’être à ses basques.

Mathieu et Guy en train de trinquer. A la victoire ?

Quant à la situation la plus incongrue, cela a quand même été – et de très loin – l’arrivée du Covid quelques jours avant l’élection. Très honnêtement, nous regardions ça – et moi le premier – d’un œil un peu incrédule et sans se douter une seconde de l’ampleur à venir de la pandémie. Et c’est vrai que quand j’ai vu Mathieu se pointer le jour du vote avec son masque, ma première réaction a quand même été de me dire que c’était vraiment un drôle de type !

Mr M : Fusse facile d’obtenir l’accord des candidats pour les filmer au cœur de leur campagne ? Avez-vous essuyé des refus ?

Sylvain Desclous : Oui plutôt. J’ai pris le temps, avant de filmer quoi que ce soit, d’aller voir les différentes personnes dont je savais que j’allais les filmer. Je leur ai expliqué ce qu’allait être le processus de fabrication du film, je me suis engagé à rester impartial et neutre, à ne pas divulguer d’informations aux adversaires et surtout à ne pas garder au montage des séquences ou des paroles qui pourraient leur porter préjudice.

Distribution des tracts dans les boites aux lettres

Au final, je n’ai essuyé quasiment aucun refus et tout le monde s’est prêté de (plus ou moins) bonne grâce au tournage. Que tous ceux qui figurent dans le film en soient une fois de plus sincèrement remerciés. Je mesure à quel point cela ne va pas de soi de se laisser filmer et de voir projeter ensuite son image sur un grand écran, devant des gens.

Mr M : Que retirez-vous personnellement de cette expérience ?

Sylvain Desclous : Outre le bonheur de fabriquer le film jour après jour dans ce village que j’aime et avec une équipe que j’aime, j’ai surtout eu le sentiment de capturer à la fois un bout de campagne dans la campagne et un petit moment d’histoire. Nous filmions sans le savoir les derniers jours du monde d’avant. Je me rappellerai toujours que dès le lendemain matin du tournage, nous sommes rentrés en voiture à Paris et que nous avons mis de longues minutes à comprendre que les files ininterrompues de voitures que nous croisions étaient celles des parisiens qui quittaient la ville à la veille du confinement. Immergés à Preuilly, nous n’avions rien vu venir.

Le Covid s’invite dans la campagne de Preuilly et dans la vie des Français pour de longs mois

Je tiens cependant à préciser qu’au moment où nous parlons, la guerre en Ukraine fait rage et que ce petit bout d’histoire dont je parle m’apparait aujourd’hui tragiquement dérisoire.

Mr M : Qu’avez-vous voulu faire passer comme message à travers ce documentaire ? Ciblez-vous un public en particulier ?

Sylvain Desclous : Je n’ai pas de message à faire passer, ni de thèse à illustrer. C’est un objectif qui ne m’intéresse pas, en documentaire comme en fiction. Ce qui m’intéresse au contraire, c’est de filmer des hommes et des femmes, de découvrir la matière dont ils sont faits, d’essayer atteindre le « cœur du coeur » dont parlait Robert Bresson. Dans « La Campagne de France », c’est au final la quête un peu folle de Matthieu que l’on retient. Un peu folle au sens de « pas gagné ». Et de voir émerger une figure de cinéma. Un authentique personnage.

Mr M : Pensez-vous couvrir de nouveau une élection ou d’autres évènements politiques dans un prochain film ou documentaire ?

Sylvain Desclous : Il est évident que j’ai très envie de filmer le match retour à Preuilly, car il y en aura un. D’abord parce que j’ai envie de continuer ce compagnonnage avec Jacky, Mathieu, Guy et tous les autres. Ensuite parce que l’idée de retourner au village et d’y faire un film à nouveau me plaît. Inscrire quelque part – en l’occurrence dans un film – des morceaux de réel et de vie arrachés au temps, c’est quelque chose qui me touche.

Mathieu peut compter sur le soutien de son père

Quant à filmer la politique à nouveau, il se trouve que c’est le sujet de mon prochain long-métrage, de fiction celui-là, dont je suis en train de finir le montage.

Merci pour vos réponses

La caméra de Sylvain Desclous donne un visage et une échelle plus humains à cette course électorale. Nous sommes loin des grands raouts pour les municipales des grandes villes avec leurs candidats prestigieux qui peuvent être députés, cadres de grand parti, rodés à l’exercice et à l’équipe bien entraînée. Un contraste entre une France « d’en-haut » et une autre plus proche du quotidien de millions de Français.

Le jour du verdict est arrivé.

Ce regard tendre et assaisonné d’une touche d’humour sur une élection locale désacralise la politique dans le sens où il nous rappelle que ces « petits » élus -de loin les plus nombreux- sont plus proches de nous que les grands noms de la politique qui trustent les médias nationaux et accumulent les mandats. Car ces derniers, en gravissant les échelons, finissent trop souvent par s’éloigner des préoccupations quotidiennes des citoyens à moins qu’elles ne servent leurs ambitions carriéristes.

« La Campagne de France » montre qu’il existe encore des personnes de conviction pour qui la politique n’est pas une fin mais un moyen afin d’améliorer les conditions de vie des ses administrés et co-citoyens.

Pour savoir qui sortira vainqueur des municipales de Preuilly (ce serait dommage de consulter les résultats sur internet…), rendez-vous dans les salles dès le 9 mars !

S. Barret

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