Le vendredi 8 décembre, Futur Asso publiait le témoignage glaçant de deux anciens employés d’un élevage de truies à Mant, dans le Sud-Ouest de la France. Les images laissent sans mots : amoncellements de cadavres en décomposition de porcelets à peine nés, fuites d’eau dans la toiture et température inadaptée, fosses à liser pleines à craquer dans lesquels pataugent certains animaux… La liste des horreur est longue. Attention, images et propos pouvant heurter la sensibilité. 

À Mant, dans les Landes, l’entreprise agricole Novoporc se consacre à l’élevage de truies reproductrices depuis 2004. Abritant environ un millier d’animaux selon l’organisation Futur Asso, ses pratiques sont aujourd’hui dénoncées par deux de ses anciens employés. Alors qu’une procédure de suspension d’activité a été engagée le 5 décembre dernier, l’association appelle à la fermeture pure et simple de « l’élevage de l’enfer ».

Des images insoutenables

Dans une vidéo publiée par l’association et Libération Le vendredi 8 décembre, les anciens travailleurs témoignent de l’horreur des lieux. Les images frappent et émeuvent. Les porcelets sont castrés à vif. Des dizaines d’entre eux restent inertes, contre le sol.

Et pour cause : les plus faibles ou les plus chétifs sont obligatoirement « claqués » au sol par les employés, avant de se retrouver mourants dans les couloirs, les cases ou les brouettes.

Un des deux travailleur témoigne : « Moi je ne voulais pas faire ça, mais après on m’a dit que je n’avais pas le choix. Qui fait ça ? Ils les éclatent par terre… »

Les cadavres de porcelets s’amoncèlent ensuite les uns sur les autres et demeurent ainsi plusieurs jours dans l’élevage, sans qu’aucune mesure d’hygiène ne soit prise.

La liste des horreurs est longue

Quant aux truies, condamnées à être inséminées, en gestation puis à mettre bas inlassablement, elles vivent dans une promiscuité déconcertante. Certaines d’entre elles sont extrêmement maigres, témoignant des pannes régulières du système d’approvisionnement alimentaire. D’autres basculent sur les caillebotis et atterrissent dans la fosse de lisier, incapables de remonter à la surface. Les employés sont alors obligés de s’insérer dans la fosse afin de trainer l’animal vers la sortie.

Quand celui-ci est trop lourd et que l’extraction n’est pas évidente, les employés sont contraints d’abattre l’animal dans des conditions dangereuses pour eux-mêmes et les truies. « Certains caillebotis sont instables. (…) Deux cochons sont tombés de deux mètres. Pour tuer les cochons, il m’a donné un pistolet (…). J’aurais pu mourir là-bas », relate l’ex-employé, qui a ensuite été admis à l’hôpital pour problèmes respiratoires, probablement entrainés par la forte concentration de sulfure d’hydrogène (H2S), d’ammoniaque (NH3) et de méthane (CH4).

Par ailleurs, d’autres truies décèdent dans les enclos et restent parfois plusieurs jours sans être évacuées. Sur les images d’enquête, l’une d’entre elles se décompose au milieu de ses congénères, le teint gris et le corps gonflé. Un peu plus loin dans la vidéo, les ouvriers, n’ayant pas de matériel adéquat à disposition, sont contraints de traîner à la corde le cadavre d’une truie d’une demi-tonne dans le couloir afin de l’amener au bac d’équarrissage.

Les cadavres de truies sont laissés en décomposition à même les enclos ou évacués avec une corde, faute de matériel. – Source : images extraites de la vidéo publiée par Futur Asso.

Un élevage « pourri »

De manière générale, les deux employés dénoncent un élevage « pourri », dont les bâtiments n’ont jamais été rénovés. Les toitures laissent s’infiltrer la pluie à l’intérieur, les systèmes d’aération sont défaillants et la température ne peut être maitrisée.

Au-delà des maltraitances infâmes infligées aux animaux, les ouvriers font état de conditions de travail indignes et illégales : heures supplémentaires non rémunérées, licenciement abusif, absence d’équipement de sécurité, sous-effectif… L’un des anciens salariés, embauché au poste de « porcher », témoigne à visage découvert du manque de moyens et de matériel ainsi que de l’absence d’écoute de la part de la direction.

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Promesses vs réalité

Pourtant, l’entreprise agricole s’est récemment inscrite dans la démarche RSE des Jambon de Bayonne IGP, censée assurer de nombreuses mesures en matière de gouvernance, d’environnement, de bien-être animal (prévention de la santé des animaux, bien-être et prise en compte du comportement des animaux dans les pratiques d’élevage) de conditions de travail.

Une réalité bien loin des promesses commerciales qui a également été constatée par la Préfecture des Landes. À la fin de l’été, les services de Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités, et de la protection des populations (DDETSPP) avaient mené plusieurs inspections sur les lieux. Le 19 octobre dernier, la Préfecture met en demeure l’entreprise agricole de se conformer à des travaux d’amélioration d’urgence sous peine de suspendre ses activités.

Une procédure de suspension des activités en cours

Le document révèle la présence de rats, pointe le manque d’hygiène à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment, appelle à une meilleure gestion des cadavres d’animaux et à une réparation urgente de « l’ensemble des installations », compte tenu des fuites constatées dans les silos, les fosses à lisier et le système de ventilation hors-service.

Le service public exhorte aussi l’élevage à mettre « ad libitum de l’eau à disposition des animaux ». Malgré l’importance des manquements constatés, les dirigeants de l’élevage restent de marbre. « À l’occasion d’une nouvelle inspection conduite sur site le 27 novembre 2023, les services [de la préfecture] ont constaté que les corrections demandées n’avaient pas été mises en œuvre », explique un communiqué. À la suite de ce constat, « une procédure de suspension d’activité a été engagée le 5 décembre 2023 ».

« Comment est-ce possible, en 2023, de laisser des animaux et des humains être traités  de cette manière ? », s’insurge Futur Asso. Le 7 décembre dernier, l’organisation a écrit à la préfecture des Landes pour lui demander la fermeture immédiate de cet « enfer sur terre », comme elle le qualifie sur sa page Facebook.

L’illusion du bien-être animal

Un communiqué nous a été transmis par Futur Asso suite à la suspension temporaire de l’élevage Novoporc que l’association qualifie de « douce illusion » :

« Suite à la vidéo d’enquête publiée le 8 décembre 2023, par Futur Asso et Libération, dans laquelle deux anciens employés de l’élevage Novoporc témoignent, images à l’appui, de l’horreur vécue sur place. La Préfecture des Landes a imposé à l’exploitant une série de mesures. Interdiction de l’introduction de nouvelles truies, suspension de toutes les activités d’insémination, aménagement et travaux de mise aux normes sous un mois. Un soulagement pour Futur asso qui précise toutefois que cette décision d’urgence ne doit pas masquer la gravité structurelle de la situation endurée par les animaux présents sur le site. 

Un pansement sur une jambe de bois : Dans cet élevage de plus de 1 000 truies reproductrices, les animaux vivent un calvaire. Il pleut dans les bâtiments et la ventilation est régulièrement en panne. D’après le témoignage d’anciens employés, en août 2023, 80 truies seraient mortes en une seule nuit, asphyxiées à cause des remontées et émanations de lisier dans les stalles. Le caillebotis s’affaisse sous le poids des animaux et des ouvriers, qui tombent dans la fosse à lisier. N’ayant pas de matériel, les employés sont contraints de traîner à la corde des cadavres de truie de 500 kg. Les porcelets morts jonchent les couloirs et s’entassent dans les congélateurs. Aux vues de la situation dramatique sur place, Futur asso doute fort que des travaux – aussi importants soient-ils – soient suffisants pour rendre cet élevage un tant soit peu salubre.

L’illusion du bien-être animal : Afin de tenter de redresser la barre, le géant agro-industriel Lur Berri, qui détenait 18% de Novoporc début 2023, est, depuis le 29 novembre, son actionnaire majoritaire. Or, sur son site, le géant agro-industriel se targue d’avoir 100% de sa production porcine sous signe de qualité (IGP Jambon de Bayonne, Label Rouge, Porc du Sud Ouest…). Une situation qui interroge : aux vues des vidéos d’enquête et des témoignages des anciens employés, il est légitime de se demander si un tel élevage peut sérieusement prétendre à un label !

Une méga ferme usine qui le restera : Comment envisager qu’un élevage de milliers d’animaux puisse répondre au bien-être animal ? Quelque soient les travaux effectués dans cette ferme usine, les truies y resteront enfermées à vie, inséminées à tour de bras ; les porcelets chétifs continueront d’être claqués au sol, les survivants seront castrés, on leur coupera la queue sans anesthésie… C’est la raison pour laquelle Futur Asso réitère sa demande auprès de la préfecture des Landes de fermer immédiatement cet élevage. »

– L.A.


Photo de couverture : Futur Asso

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