Cette énième COP est loin d’avoir atteint son objectif de “COP la plus inclusive jamais organisée”. C’est même tout le contraire. De nombreuses délégations, notamment celles des pays les plus vulnérables, n’ont pas pu venir ou être représentées comme elles l’auraient voulu : à titre d’exemple, étaient présents beaucoup plus de lobbyistes des énergies fossiles (500 !) que le total des délégations des huit pays les plus affectés par le changement climatique au cours des deux dernières décennies ; selon Global Witness à partir des données des Nations unies. Logements trop chers, accès aux vaccins Covid-19, liste rouge pour certains pays, entre autres, auront eu raison de l’inclusivité. Mais pas que. La “zone verte”, censée faire le pont entre la société civile et les décideurs, n’était pas à côté de la zone “officielle” (bleue) mais à 30 min à pied. Quant aux modalités d’accès aux négociations, elles ont été changées à plusieurs reprises … Bref la “logistique” a eu de réelles implications politiques et, surtout, pose question sur la manière dont sont envisagés les liens entre société civile et décideurs, et l’importance qui est accordée à ces (non) liens durant la COP26…

Alors que Jeff Bezos venait jouer le philanthrope milliardaire en annonçant qu’il allait verser 2 milliards pour le climat – 1/10 des impôts qu’il n’a pas payés -, et qu’il arrivait à bord d’un jet privé, les peuples indigènes, les femmes, la jeunesse, les minorités, en somme, celles et ceux qui sont les plus vulnérables face aux effets du changement climatique, ont été sous-représentés. 

“Les peuples indigènes sont plus visibles, mais ils ne sont pas pris plus au sérieux ; ils sont romancés et symbolisés“, a par exemple déclaré Eriel Deranger, directeur exécutif d’Indigenous Climate Action. “La COP est une grande entreprise, une continuation du colonialisme où les gens ne viennent pas pour nous écouter, mais pour faire de l’argent avec nos terres et nos ressources naturelles“, a déclaré Ita Mendoza, 46 ans, défenseur des terres indigènes de la région Mixteca de Oaxaca, dans le sud du Mexique, assistant à la COP pour la première fois.

@Indigenous Climate Action COP26/Flickr

Et pendant que le féminisme, les inégalités de genre et les enjeux sociaux n’ont pas été suffisamment abordés dans les sphères officielles, on comptait une moyenne d’âge de soixante ans chez les décideurs, rappelant que la jeunesse, directement concernée par l’avenir en jeu, était également mise de côté. Nous avons recueilli le sentiment de plusieurs d’entre elles et eux qui se sont rendus à la COP26 :

 

Julie 

La COP permet des échanges enrichissants. Une fois dedans, les gens sont relativement accessibles, ce qui nous a permis d’échanger avec des membres du GIEC, des négociateurs français, australiens … et j’en passe. 

En rencontrant d’autres jeunes, y compris vivant à l’autre bout du monde, je me rends compte que quels que soient les modes de vie, même si nos perspectives sont totalement différentes, nous partageons pour certains les mêmes inquiétudes vis-à-vis du dérèglement climatique. Nous imaginons des solutions et points de blocages communs. J’ai donc été étonnée de réaliser que le dérèglement climatique pourrait rapprocher une génération mondiale à ce point, notamment lors de la manifestation du 6 novembre qui était gigantesque.

Mais j’ai été déçue de me rendre compte de l’ampleur du greenwashing à la COP qui rend impossible toute ambition dans les négociations. En effet, la sobriété n’est même pas envisagée pour faire face au dérèglement climatique. Tout ce qui compte c’est la réduction comptable d’ici 2050 des émissions carbone, ne sont donc envisagées que la croissance dans les énergies décarbonées ou bien la croissance en compensant les émissions carbone (en plantant des arbres). Pas étonnant, quand ceux qui financent la COP sont des grandes banques ou des producteurs d’énergie, ou encore lorsqu’au pavillon des Nations unies on retrouve Facebook et Google présentant à quel point ce sont des entreprises « vertes ».

Extinction Rebellion à Glasgow durant la COP26. @Felipe Werneck/Observatório do Clima/Flickr

J’ai pu découvrir la diplomatie et me rendre compte à quel point c’était très complexe et que cela n’allait sûrement pas nous sauver de si tôt. Je retiens aussi l’énergie de certains habitants de cette terre qui se sont mobilisés en nombre lors de manifestations dans l’espoir de faire réagir ces mêmes diplomates. Cette COP m’a appris à croire plus en l’humanité qu’en la politique internationale pour changer le monde, mais comme l’un ne va pas sans l’autre, alors cela reste un constat assez pessimiste.

 

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Chloé

Le militantisme, les rencontres, l’euphorie, les actions, la symbolique, le concentré d’espoir … Mais la non-conscience des gouvernants et des politiques. Être à ce point inéduqué sur un sujet que tu travailles depuis des années, c’est fou. (coucou la négociatrice de je ne sais plus quel pays qui n’avait aucune bonne réponse sur la Fresque du Climat

Le greenwashing permanent, constant, omniprésent. Il n’y avait que ça partout dans la Cop. Mes bulles d’air, c’était l’extérieur, c’en était vraiment négatif pour ma santé de rester trop longtemps à l’intérieur. Ce n’est pas par la haut que ça va changer mais bien par le bas. Il est clair que la politique serait utile, mais ça fait bien longtemps qu’elle a arrêté de suivre. Le vivre soi-même, dans son intime, ça fait mal certes, mais ça permet de se rendre compte que l’activisme, les actions du peuple, sont nos ultimes ressources.

 

Mathieu 

L’immersion et l’application du savoir académique à des fins analytiques ; la diversité des sujets abordés ; le loisir de pouvoir échanger avec un grand nombre de parties prenantes d’une manière décomplexée et critique en qualité d’observateur étaient autant de dimensions positives, mais propres à n’importe quelles conférences en réalité. Le prestige et l’ampleur de l’événement en plus.

Mais la quantité de bla-bla-bla, de déclarations d’intentions et d’annonces solennelles était aberrante. Il y avait un aspect creux (sonore et vide) de certains séminaires et de certaines conférences – le redoutable et éternel chahut.

6 novembre 2021 – Rassemblement pour la justice climatique et contre l’inaction des gouvernements – Paris @JulienGate/Flickr

La beauté et la richesse des rencontres n’aura pas eu raison du fait que les négociations soient un chaos et la diplomatie un théâtre : la déconnexion entre la tiédeur des décisions et l’urgence du problème – l’hypocrisie, la veulerie, l’incurie, le déni et le dilettantisme de nombre de Parties – ont été autant de preuves du grand cirque de la COP…

Je préfère toutefois retenir qu’il y a aussi toujours davantage de solidarités, toujours davantage de ponts jetés entre les sujets, les Conventions et combats ! Il nous faut toujours mieux comprendre pour mieux changer les choses.

 

Clarisse 

Rencontrer des représentants des zones les plus impactées par le réchauffement climatique (AOSIS, Pays du Sud), écouter leur vécu et leurs revendications, a été un privilège.

L’effervescence dans la zone bleue (civile) était impressionnante. Je ne pensais pas qu’autant de side events et de conférences seraient organisées et qu’autant de personnes seraient présentes. Mais l’accord final qui ne respecte pas les engagements de l’accord de Paris et l’importante place des lobbys – puisque de très nombreux représentants des industries des énergies fossiles étaient présents – étaient affligeants.  

Cette visite m’a donné envie de m’impliquer dans la constituante des YOUNGO, de participer à des actions de pression auprès des négociateurs. Je pense que c’est difficile de le faire la première fois qu’on participe à une COP car on ne connaît pas assez bien son fonctionnement mais j’aimerais le faire si j’y participe de nouveau.

 

Camille 

Ce que j’ai préféré : rencontrer et échanger des personnalités extrêmement diverses (scientifiques du GIEC, politiques, militants, autres jeunes français.e.s se rendant à la COP26 au nom de leur école etc) mais aussi apprendre toujours plus, notamment via des conférences et événements annexes portant sur l’impact du changement climatique dans les pays plus vulnérables. Plus largement, voir la force de la société civile mondiale qui, même au sein de la zone “bleue” officielle ne cessait d’interpeller les décideur.se.s.

Ce qui m’a étonné, en revanche, c’est l’omniprésence du technicisme. C’est comme si les entreprises et pays étaient passés du discours climatoseceptique à celui de “on va sauver la planète grâce aux technologies”, sans aucune préoccupation de l’impact que cela peut avoir sur certaines populations et remise en question du mode de vie capitaliste qui sous-tend nos sociétés. Au lieu d’une vision systémique qui inviterait à la sobriété et au respect des droits humains, il semble que les discours technicistes et le greenwashing ont été préférés. 

La notion de “pays en développement” qui est sans cesse utilisée, cantonne aussi la définition du “développement” à une acception restrictive, occidentalo-centrée et capitaliste. Les pays dits du Sud sont aussi “développés”, mais de manière différente. Tout dépend où on place le curseur et comment on définit ce mot. 

Je pensais sincèrement que le fait que les pays “riches” aient été touchés récemment par les effets du CC (Belgique, Allemagne, Canada, entre autres) allait influencer les négociations et que ces derniers, s’ils n’étaient pas solidaires avec les pays les plus vulnérables, tenteraient au moins de sauver les pots cassés chez eux. Raté. Le Pacte de Glasgow est largement insuffisant pour faire face aux enjeux écologiques et sociaux actuels. 

Se rendre à une COP est une expérience à la fois intense et enrichissante. Il faut être bien entouré.e et prendre soin de soi au maximum en parallèle, sinon ça en devient dangereux pour sa santé tant physique que mentale. Car si vous ne vous arrêtez pas, personne ne le fera pour vous : les sollicitations sont perpétuelles, ça grouille de monde, d’événements … En définitive, j’ai dû garder en tête trois choses avant de m’y rendre et pendant : ne pas s’éparpiller, rester dans le moment présent et ne pas forger trop d’attentes sous peine d’être (très) déçu.e.

Sinon, je suis reconnaissante d’avoir pu partir grâce à Sciences Po Toulouse mais je trouve vraiment dommage que l’on ait dû prendre l’avion alors que d’autres options étaient possibles. Certes, une compensation carbone a été payée, mais nous savons bien que cela n’est pas suffisant. 

 

Amélie 

Plusieurs dimensions m’ont parues positives : les rencontres que j’y ai faites, l’énergie de la jeunesse qui donne de l’espoir, la possibilité de dialoguer et poser des questions à des acteurs et actrices concrètes de l’écologie et du climat. J’en ressors grandie avec de nombreuses nouvelles connaissances et l’envie de découvrir toujours plus de personnes engagées pour notre avenir.

Les premiers jours j’étais déboussolée de l’immensité des lieux, du nombre d’événements de conférences, de personnes de milieux si différents… C’est très impressionnant pour une jeune de 22 ans comme moi qui se retrouve à évoluer avec des gens aux positions importantes dans leur pays et parfois dans le monde.

Mais que penser de l’écart entre la justesse des paroles et des témoignages de la société civile et les actes et plaidoyers des Etats, négociateurs et entreprises qui ne semblent pas prendre la pleine mesure de l’urgence climatique déjà présente ? J’ai le cœur brisé de voir des populations indigènes raconter comment les firmes les chassent de leurs terres avec la complicité des gouvernements, alors que les témoignages sont là. Ce que je retiens, finalement, c’est que l’union fait la force et le réseautage à la COP26 est puissant (pour le pire mais surtout pour le meilleur). Il y a beaucoup de négatif et de déceptions dans cette COP mais j’en retiens surtout le positif car des avancées il y en a eu aussi et on doit continuer à faire pression sur les Etats et les entreprises pour faire bouger les choses. Je vais continuer à m’engager avec une ferveur renouvelée aux côtés de personnes qui m’inspirent tout en prenant soin de moi-même.

 

Conclusion

Le retour et l’appréciation de l’expérience de chacun.e à la COP dépend de la raison qui les a poussé à s’y rendre à l’origine. En réalité, si nous critiquons toustes cette forme de nébuleuse qu’est la COP, peu d’entre nous connaissent vraiment son fonctionnement. Et pour cause : peu d’efforts sont faits pour rendre tant l’événement que les processus de négociations transparents.

Comprendre comment fonctionne la COP, se tenir informé.e tous les jours des avancées des négociations, assister à différents événements et rencontrer diverses personnes pour pouvoir le partager par la suite sont autant de manières de se réapproprier l’événement pour ce qu’il est, à savoir un rassemblement. En somme, avoir un esprit critique affiné sur la COP, en connaissance de cause. 

Quel rôle doit jouer la jeunesse dans ces négociations et, plus largement, dans le combat écologiste ? D’autres jeunes présent.e.s ont partagé leurs frustrations de ne pas avoir pu peser comme iels l’auraient souhaité sur les négociations et regretter un certain manque d’organisation et de coordination parmi les jeunes accrédités. Notre époque et ses enjeux font peser une pression énorme sur les jeunes, à un tel point que eux-mêmes se perdent dans les revendications que iels souhaitent porter et défendre.

Iels veulent à la fois interpeller les négociateur.rice.s sur l’importance de prendre en compte les voix des peuples autochtones, sur la transparence, sur les derniers rapports scientifiques, sur les inégalités de genre face au changement climatique … Mais n’est-ce pas aux négociateur.rice.s eux-même de s’éduquer sur ces sujets-là ?

Comment en arrive-t-on à un point où les jeunes s’en veulent de ne pas avoir pu peser sur telle ou telle négociation ? Comme si les négociateur.rice.s étaient des enfants à qui l’on devait sans cesse rappeler ce qui est important. Or ce n’est pas leur rôle.

« Les jeunes devraient prendre leurs responsabilités”. Oui, les jeunes sont de plus en plus engagés, iels redoublent d’énergie et d’imagination face aux défis sociaux et écologiques auxquels ils sont confrontés. Oui, iels sont de plus en plus nombreux.ses. Oui, iels représentent les prochaines générations, et iels doivent agir en conséquence pour les générations présentes et futures. 

Mais où est passée l’insouciance de leur jeunesse ? Des dizaines et dizaines de jeunes s’engagent jour après jour. Mais à quel prix ? Quand ce n’est pas la dépression, c’est le burn-out. Ou les deux. 

Surtout, s’engager c’est prendre soin. De soi. Mais aussi des autres, humains comme non humains. On ne peut critiquer des structures et logiques de domination et d’oppression si nous les reproduisons nous même à notre  échelle dans nos combats respectifs. Alors oui, les jeunes peuvent et doivent s’engager, mais ils ne sont pas les seuls à devoir le faire et, surtout, pas au détriment de leur santé mentale et physique. Un dialogue entre générations, une prise de responsabilités et une action collective doivent être engagés.

Extinction Rebellion à Glasgow durant la COP26. @Felipe Werneck/Observatório do Clima/Flickr

En somme, toutes et tous nous font part d’un sentiment relativement similaire. Ont été retenus : les rencontres, la possibilité d’affiner son esprit critique sur ces organisations internationales, la présence enthousiasmante d’activistes déterminés dans la zone civile, la dimension intersectionnelle, à nouveau côté civil uniquement, la stimulation intellectuelle et militante… Mais également : le manque de lien avec les enjeux de biodiversité, l’anthropocentrisme ambiant, le greenwashing énergivore, la présence et médiatisation révoltante des lobbies, la distance entretenue entre la société civile et les décideurs, le manque de transparence et le manque terrible de considération des observateur.rice.s, c’est-à-dire des citoyennes et citoyens, bien plus conscients pourtant. Autant de paramètres qui font de ces conférences internationales un grand cirque à la prétention surévaluée.

– Camille Bouko-Levy

 

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