Divers médias l’ont claironné : depuis le 1er janvier, les restaurateurs seraient « obligés » de proposer le « doggy bag » à tout client souhaitant emporter les restes de son repas. En fait, il ne s’agit que d’une simple recommandation à ce stade. La nuance est de taille. Alors, simple effet d’annonce, ou véritable bon en avant ?
Si la pratique consistant à emporter ses restes est déjà banale dans de nombreux pays, elle n’est pas encore entrée dans les mœurs des consommateurs français. Cette mise en application de la loi sur les biodéchets, doit donc encourager les restaurateurs (sans les obliger) et leurs clients au refus du gaspillage. En effet, d’après la Commission européenne, « 14% des déchets alimentaires produits chaque année seraient générés par les restaurants, notamment à cause de l’absence de choix pour la taille des portions, des difficultés à anticiper la demande ou encore à cause de la faible possibilité pour les clients d’emporter leurs restes » (source : Le Figaro, 7 avril 2015). Par ailleurs, un résolution du Parlement européen adoptée au début de l’année 2012 signalait l’ambition de réduire de moitié le gaspillage à l’horizon 2025, encourageant les pays à passer à l’acte.
Une batterie de mesures réformistes
Si la recommandation de proposer le « doggy bag » entre en application durant la mandature du Président François Hollande, son origine remonte à la présidence de Nicolas Sarkozy. Adoptée en 2010, la loi 2010-788, dite « Grenelle 2 », prévoyait en effet diverses mesures relatives à la valorisation des « biodéchets » (ou déchets biodégradables). Un grenelle vivement critiqué par les écologistes qui avaient alors parlé de plus grand greenwashing (éco-blanchiment) politique français. Et pour cause, les mesures sont jugées moles, fondues dans le « business as usual » bien qu’elles puissent faire leur petit effet médiatique dans l’opinion.
Plus ample, le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire, du Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, adopté en 2013, proposait onze mesures pour diminuer la génération de déchets. Parmi les signataires, divers grands groupes capitalistes français, principalement des grandes surfaces : Carrefour, Auchan, Monoprix, E. Leclerc, etc. Un plan qui rejoint d’ailleurs les efforts de la Ministre de l’Écologie Ségolène Royal, qui entend lutter contre le gaspillage alimentaire, en particulier dans la grande distribution. De même, la commercialisation des « produits moches » (légumes, fruits, céréales, etc.), qui se normalise dans les grandes surfaces va dans le même sens.
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Effet d’annonce et problèmes de fond
Qu’elles viennent de l’État français ou des institutions européennes, les diverses démarches engagées vont dans le sens d’un ajustement réformiste du capitalisme. Ainsi, on observe que l’objectif de la démarche n’est pas de relocaliser l’économie ou d’encourager les circuits courts (ce qui serait vraiment une révolution d’un point de vue environnemental). Il ne s’agit pas non plus de proposer des solutions en aval des problèmes, en limitant par exemple les importations de produits, en augmentant le coût de produits exotiques importés de loin, et dont le fret occasionne des pertes importantes. Il s’agit d’une approche corrective et moralisante, au nom d’un certain principe de décence qui n’enraye en rien le mal à son origine : la mondialisation des marchandises et la généralisation de la logique de marché. Ainsi, recommander timidement le doggy bag, aussi positif soit-il, apparait plus que comme un écran de fumée vis à vis de décisions plus courageuses qui peinent à être prises.
D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, en anglais), « le volume mondial de gaspillages et pertes alimentaires est estimé à 1,6 milliard de tonnes d’équivalents produits de base. Les gaspillages totaux pour la partie comestible s’élèvent à 1,3 milliard de tonnes ». Les chiffres-clés de l’organisation sont révélateurs de l’amplitude du problème, qui excède de très loin ce que jettent les restaurants dans leurs poubelles. Le mode productiviste d’organisation de l’industrie agro-alimentaire soulève une pluralité de questions d’ordre systémique : depuis la pollution des sols par les intrants chimiques à celle causée par le fret maritime, en passant par les ravages environnementaux dus à l’élevage intensif, à la déforestation ou à la captation des eaux (un problème capital aux États-Unis, notamment dans le cas du fleuve Colorado… qui n’atteint plus l’océan). Si la mode du doggy bag est à accueillir positivement, la résolution de tels problèmes appellerait un abandon des logiques mondialistes, croissancistes et productiviste et ce n’est à ce jour dans le programme d’aucun des partis d’aucun gouvernement.
Sources : LeFigaro.fr, Les Echos.fr, FAO.org, Parlement européen / Image à la une : ricecatalyst.org