Lampiris, distributeur d’énergie belge fondé en 2003 avec comme objectif de produire et délivrer une énergie « verte », « belge » (donc locale) et « moins chère » vient d’être racheté par Total. Un véritable choc pour les clients et internautes, surtout quand on connait les déboires fiscaux, environnementaux et judiciaires du géant pétrolier français. Entre greenwashing et stratégie de diversification, la partie de Monopoly continue sans manquer d’inquiéter les citoyens belges.

Lampiris, fournisseur (jusqu’ici) indépendant de gaz, d’électricité verte et de services énergétiques (isolation, entretien de chaudières, bois de chauffage et pellets, thermostats intelligents…), était actif sur le marché belge de l’énergie depuis 2005. Il fournit aujourd’hui plus d’un million de compteurs, ce qui est loin d’être négligeable pour le petit pays. En quelques années à peine, Lampiris était devenu le troisième fournisseur du marché résidentiel de gaz naturel et d’électricité verte en Belgique. De quoi attirer les regards des grands frères des énergies fossiles.

Un choix risqué pour l’image de Lampiris

Officialisé ce mardi 14 juin, le rachat de la société liégeoise Lampiris par Total (entre 150 et 200 millions d’euros) fait déjà beaucoup de bruit. En effet, si en juin 2013, les fondateurs de Lampiris affirmaient dans un article que « Notre structure 100% belge doit nous permettre d’opérer des choix selon une perspective locale et de nous approprier réellement notre énergie. », le choix d’un rachat par le mastodonte du pétrole Total peut sembler controversé. Ne serait-ce que symboliquement, on imagine mal TF1 ou BFMTV racheter un média indépendant comme Médiapart qui prendrait trop d’ampleur… Ainsi en va-t-il pour ce rachat de Lampiris.

Les responsables actuels de Lampiris tentent de tempérer : « Nous nous inscrivons dans le Total de demain, pas dans celui d’hier. Tous les nouveaux investissements de Total se font dans l’énergie verte. De notre côté, nous continuerons à fournir de l’électricité verte à nos clients. Total permettra à Lampiris d’augmenter le nombre de contrats passés avec des producteurs indépendants. En revanche, nous devons oublier la partie belge de notre slogan. » a confié Tom Van de Cruys, CEO de Lampiris à la presse belge.

L’intérêt pour Lampiris et Total ? Bruno Venanzi et Bruno Vanderschueren, les deux fondateurs de l’entreprise, vont chacun toucher entre 45 et 60 millions d’euros grâce à la vente de Lampiris. De plus, « Le marché de la fourniture d’énergie est très international, c’est presque intenable pour un fournisseur local. Grâce à Total, on va pouvoir investir, ils ont un projet de croissance pour la Belgique. » insiste le CEO. Pour Total, l’intérêt est bien évidemment de se développer dans les énergies vertes de la plus simple des manières. Après ses investissements dans le photovoltaïque et le stockage d’électricité, le géant pétrolier essaie de diversifier ses activités. « La plateforme de Lampiris pourra nous aider à nous implanter sur le marché résidentiel. Nous sommes intéressés par plusieurs pays. » précise John Shead, vice-président gaz et électricité chez Total.

https://twitter.com/sebahstien/status/742705499871793153

Une véritable trahison pour nombre de clients

Beaucoup d’internautes expriment ouvertement leur désaccord sur les réseaux sociaux (comme ce témoignage d’un client sur Facebook) depuis l’annonce de ce rachat. Certains vont même jusqu’à exprimer leur souhait de changer de distributeur d’énergie avec le hashtag #ByeByeLampiris, ayant l’impression de s’être fait trahir par l’entreprise. Sur leur page Facebook, Lampiris doit faire face à une vague de critiques. « Quand Lampiris devient Vampiris » exprime un internaute. « J’ai été une cliente constante depuis que suis installée à Bruxelles, mais voir Lampiris devenir l’outil du greenwashing de Total, c’est juste pas possible. Au revoir, je vous aimais bien. » affirme un autre. Plusieurs centaines de messages vont dans le même sens. Un responsable de Lampiris, dont la semaine doit être particulièrement pénible, tente de rassurer un à un les consommateurs.

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Même si Total indique dans un communiqué sur son site internet que « Cette acquisition sera sans incidence sur les clients et les fournisseurs des deux entreprises. Leurs contrats demeureront inchangés. Elle n’entraînera par ailleurs aucune suppression d’emploi. », cela a tout de même eu un impact immédiat sur Lampiris. L’image d’un distributeur indépendant, local et écologique semble définitivement détruite dans les esprits.

Sûrement pas une surprise pour le distributeur belge qui devait s’attendre à ces réactions. Sur son site internet, il met fortement l’accent sur le côté « vert » de Total dans un communiqué en expliquant qu’il est « un des leaders mondiaux dans le photovoltaïque » (Total a en effet racheté SunPower en avril 2011) et qu’il a en outre annoncé récemment son projet d’acquisition de Saft, un des principaux acteurs dans le secteur du stockage d’électricité (batteries industrielles de haute technologie). Il précise également que « Total est aussi un acteur engagé dans les accords de la COP 21, avec pour objectif la limitation du réchauffement climatique à 2° C ».

Total s’est en effet donné pour ambition de devenir à terme un acteur majeur de la production et de la distribution d’électricité. Il a créé une nouvelle division pour y regrouper ses activités dans l’électricité, le gaz et les énergies nouvelles. Mais racheter des entreprises « vertes » est-il bien suffisant pour prétendre s’approprier les lauriers d’un développement plus durable ? Quid des logiques de croissance de l’industrie fossile, dont la demande ne cesse de croître, qui réduisent à néant les efforts réalisés en amont ?

b978947753z.1_20160615082847_000gm37128q4.1-0Dessin de P. Kroll, paru dans Le Soir, Belgique.

Greenwashing ou réelle volonté de diversification ?

À tort ou à raison, ces différents rachats sont nécessairement perçus comme du marketing plutôt que comme une véritable stratégie de diversification par une bonne partie du public. Beaucoup, notamment sur les réseaux sociaux, pensent que la stratégie de l’entreprise française consiste à se donner une image « verte » et non de réellement vouloir développer les énergies renouvelables. Ce qu’on peut tout à fait comprendre, notamment quand on connait les casseroles qu’accumule l’entreprise pétrolière depuis de nombreuses décennies (naufrage de l’Erika en décembre 1999, implantation controversée en Birmanie depuis le milieu des années 1990, corruption en Libye en avril 2012, consultation sénatoriale sur le Diesel en avril 2016, catastrophe du delta du Niger, etc.).

De plus, un reportage Cash Investigation (« Climat : le grand bluff des multinationales ») diffusé en mai dernier, épingle l’entreprise sur ses fameuses intentions écologiques, ainsi que ses concurrents. Lors d’une récente conférence, on y découvre Patrick Pouyanné, le PDG de Total, affirmer que l’industriel tablerait plutôt sur un réchauffement climatique plus proche des 3 ou 3,5 degrés. S’il est tout à fait noble pour un mastodonte de l’énergie comme Total de souhaiter effectuer une transition vers les énergies vertes (bien que tardive), il faut garder conscience que ce type de multinationale réponde avant tout aux souhaits des actionnaires d’augmenter leurs profits par tous les moyens nécessaires. Compte tenu du passif de Total, mixer une offre majoritairement fossile, toujours en croissance, parsemée de quelques sources durables, crée un tableau confus pour le consommateur. On comprend donc les suspicions et les doutes qui émanent de la part du public quant aux réelles intentions de l’entreprise. On notera que trois fournisseurs proposent de l’électricité 100% renouvelable en Belgique et obtiennent la note maximale de 20/20 selon le classement Greenpeace : Ecopower, Energie 2030 et Wase Wind. Peut-être que ce rachat fera des heureux…

https://www.youtube.com/watch?v=JsaCGs3IKvk


Sources : La Libre, Lampiris, Total

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