Une nouvelle étude sur le glyphosate offre un regard inédit, à contre-courant de la littérature scientifique actuelle, sur le pesticide polémique. La recherche indique que le glyphosate peut provoquer des maladies au niveau des deuxièmes et troisièmes générations de rats exposés. Publiée dans Scientific Reports, l’étude est un nouveau revers pour la molécule de synthèse.
Les études actuelles à propos de l’herbicide le plus controversé au monde ne cherchaient peut-être pas les effets du glyphosate là où il le faut. C’est ce que suggère l’étude publiée la semaine passée par la revue à comité de lecture Scientific Reports, elle-même appartenant au prestigieux groupe Nature Publishing Group (Assessment of Glyphosate Induced Epigenetic Transgenerational Inheritance of Pathologies and Sperm Epimutations: Generational Toxicology. Deepika Kubsad, Eric E. Nilsson, Stephanie E. King, Ingrid Sadler-Riggleman, Daniel Beck & Michael K. Skinner. Scientific Reports, volume 9, Article number: 6372 – 2019).
Selon les conclusions des chercheurs, avec à leur tête Deepika Kubsad de l’Université de l’État de Washington, se nourrir d’aliments traités à partir du défoliant pourrait avoir des incidences sur les générations suivantes en perturbant notamment le fonctionnement normal des gènes par épimutation du sperme. En d’autres termes, ce sont des populations qui ne sont pas directement exposées au glyphosate qui pourraient en porter les pires conséquences à long terme. À l’image de l’économie elle-même et de nos décisions politiques en matière de sécurité alimentaire ou de climat, les logiques de court-terme triomphent. Les générations suivantes sont invitées à en payer le prix.
De l’urgence d’observer le glyphosate sur le long terme
Ces conclusions ont été obtenues en exposant des rates en gestation au glyphosate à des doses considérées comme sans effet néfaste, mais certains critiques estiment que les doses testées sont encore trop élevées pour être représentatives. Dans l’expérience menée sur 450 rates (x4), cette exposition n’a eu que des effets « négligeables » sur les individus concernés ainsi que leur progéniture (F0 et F1). À court terme, l’effet du glyphosate sur la santé n’est donc effectivement clairement pas démontré. C’est le plus souvent à ce stade où s’arrêtent la plupart des études sur lesquelles se basent les agences pour fonder les réglementations sanitaires. Les chercheurs de l’Université de l’État de Washington ont été plus loin.
Dès la deuxième et la troisième génération (F2 et F3), les chercheurs observent une augmentation très significative de nombreuses maladies : obésité, problèmes de prostate, dysfonctionnement des ovaires, etc. Les femelles de la génération F3 présentaient par exemple un taux de maladies rénales en progression de 40% par rapport à la génération F3 du groupe témoin non exposé. Une augmentation importante du nombre de maladies résultant de modifications épigénétiques observables en laboratoire.
Les analyses épigénétiques du sperme de la deuxième génération et de la suivante mettent ainsi en lumière l’existence de modifications aberrantes au niveau de l’ADN qui sont associées à ces pathologies. Les scientifiques à l’origine de l’étude en déduisent que le glyphosate peut induire l’apparition de maladies en lien avec ces épimutations. Une conclusion importante qui suggère que l’herbicide le plus largement utilisé dans le monde pourrait jouer un rôle de bombe à retardement sur la santé humaine et devrait être étudié comme facteur de maladies pour les générations qui suivent la génération exposée, non pas comme danger immédiat sur la santé des individus.
Cité par « Le Monde », John McCarrey, chercheur en génétique à l’Université du Texas et sans lien avec cette publication explique : « Cette étude est importante, car elle prouve que, une fois un individu exposé à certains produits chimiques perturbateurs tels que celui testé dans cette étude, les défauts qui en résultent peuvent être transmis aux enfants ou petits-enfants, même en l’absence de toute exposition ultérieure. Cela montre que les gens doivent faire plus attention aux produits chimiques auxquels ils sont exposés qu’on ne le pensait auparavant. En effet, ces conclusions indiquent à quel point les recherches antérieures font fausse route en étudiant les effets du glyphosate sur le temps court.
La saga du glyphosate
Rares sont les sujets liés à l’environnement et à l’alimentation qui auront autant fait parler d’eux, et de manière aussi acharnée. Le glyphosate, substance active du RoundUp de Monsanto, est sous le feu des critiques depuis quelques années et ne cesse de défrayer la chronique, à tort ou à raison. L’herbicide est classé comme « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRD), mais ses partisans rappellent volontiers que ce n’est pas l’avis de nombreuses agences de sécurité sanitaire dans le monde, notamment l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Et s’il est vrai que plusieurs études démontrent l’innocuité du glyphosate – en temps que molécule isolée – sur la santé humaine à court terme, le débat est nécessairement entaché par le pouvoir d’influence avéré que Monsanto a pu avoir sur plusieurs rapports et études scientifiques, notamment en faisant signer par des scientifiques des papiers rédigés par ses propres employés. Cette fois, celle nouvelle étude remet en cause les fondamentaux des études portées jusqu’ici sur cet intrant.
Notons que ce n’est pas la première fois qu’une étude expose les effets que peuvent avoir des substances chimiques sur les générations qui suivent les individus exposés. Mais ce champ de recherche a largement progressé ces dernières années, tant il est plus proche de l’utilisation réelle du pesticide dans la consommation humaine. En 2017, la Public Library of Science (PLOS) publiait ainsi le résultat d’une étude qui montrait les effets intergénérationnels de l’atrazine, pesticide interdit au sein de l’Union européenne depuis 2003, mais qui continue à être utilisé aux États-Unis en toute insouciance. Pas certain donc que les institutions changent leur fusil d’épaule d’aussi tôt face à cette nouvelle étude.
Pour accéder à l’intégralité de l’étude : nature.com
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