Dans un contexte où l’UE s’apprête à poursuivre l’autorisation du glyphosate pour dix années supplémentaires, bon nombre de commentateurs salue cette décision, arguant que l’herbicide serait sans danger pour l’être humain. Pourtant, de multiples études indiquent le contraire, et les conséquences environnementales de ce produit sont sans doute largement sous-estimées.

Au fil des ans, plusieurs recherches ont été mises en avant par les industriels et les agences nationales de santé pour assurer que le glyphosate ne posait aucun problème sanitaire. Pour autant, à l’heure actuelle, de nombreux travaux plus récents semblent déjuger ces précédentes recherches. Ces dernières paraissent biaisées pour beaucoup et émanant des fabricants eux-mêmes.

Des doutes sérieux depuis 2015

En 2015, une publication du centre international de recherche sur le cancer (CIRC), organisme dépendant de l’OMS, évaluait le produit comme « probablement cancérogène ».

Cette annonce ayant fait l’effet d’une bombe, notamment dans les médias et au sein du milieu écologiste, de multiples agences nationales de santé se sont penchées sur le sujet pour mesurer le danger. À la surprise générale, l’immense majorité des pays affirment alors que la substance ne présente aucune menace pour l’être humain, assurant que le caractère « cancérogène n’est pas justifié ».

Les États inféodés aux industriels ?

Pourtant, en 2021, l’institut national de recherche médicale (INSERM) mène une grande étude sur les conséquences sur le corps d’une exposition aux produits phytosanitaires, dont le glyphosate. L’organisme reconnaît une « présomption de lien moyenne » entre l’herbicide et le cancer du système lymphatique. En 2019, une autre enquête réalisée auprès de 300 000 paysans démontrait une augmentation de ce risque de 36 %.

Comment expliquer alors l’écart de jugement entre ces différents organismes scientifiques et les conclusions des agences de santé du monde entier ? La réponse tient sans aucun doute dans la méthodologie.

Des études faites par les producteurs eux-mêmes

Et à ce petit jeu, l’INSERM et le CIRC semblent plus sérieux : leurs investigations incluent uniquement les études parues dans des revues scientifiques et relues par des pairs. À l’inverse, les agences européennes ou nationales ont intégré dans leur jugement des dossiers non publiés parfois directement commandés ou menées par les industriels eux-mêmes.

Une étude de 2019 comparait ainsi la base documentaire du CIRC à celle de l’agence américaine de protection de l’environnement. Le résultat était sans appel : dans la première, 70 % des travaux assuraient que le glyphosate avait un effet génotoxique (autrement dit, une capacité à endommager l’ADN). Dans la seconde, qui englobait énormément de recherches réalisées par les industriels, le chiffre s’effondrait à 1 %.

En 2017, quand l’UE avait décidé de prolonger l’autorisation du glyphosate, un duo de savants autrichiens avait alors démontré que sur les 53 études utilisées comme justification, seuls deux respectaient des méthodes scientifiques correctes, conformes aux critères de qualités requises dans l’OCDE. Dans la même veine, un scandale révélé par la presse indiquait que des passages entiers copiés et collés depuis des documents de Monsanto avaient été employés par l’Union européenne pour s’expliquer.

Le glyphosate n’est jamais utilisé seul

Par ailleurs, il est très peu parlé du fait que le glyphosate n’est jamais utilisé seul. Or il est couplé systématiquement à d’autres substances pour améliorer son efficacité. Ce sont bien de ces produits finis dont les agriculteurs se servent ; ceux-ci devraient être évalués dans leur globalité.

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Cet élément est aussi crucial dans la différence de jugements au sein des études. En effet, le CIRC se base uniquement sur des recherches concernant des produits contenant du glyphosate et utilisés par les paysans. À l’inverse, les agences se focalisent sur la substance pure. Or, la combinaison de plusieurs matériaux peut considérablement augmenter la dangerosité du résultat final. Dans une certaine forme, le roundup pourrait ainsi être jusqu’à 1000 fois plus toxique que la molécule de glyphosate seule.

La donne est d’autant plus compliquée que la composition précise des herbicides employés par les agriculteurs est souvent gardée secrète par les industriels. Or c’est pourtant bien sur l’intégralité de ces produits que les gouvernants devraient fonder leur décision et non sur un élément unique.

Plusieurs autres facteurs de dangers sanitaires en jeu

Par ailleurs, les études concernant le glyphosate se sont souvent focalisées sur le lien avec le cancer. Mais ce n’est pourtant pas l’unique effet indésirable engendré par l’herbicide. Il jouerait aussi par exemple un rôle de perturbateur endocrinien, c’est-à-dire un dysfonctionnement hormonal, notamment sur la reproduction.

Le pire, c’est que ces données ne concernent pas seulement les agriculteurs qui utilisent ces substances, mais bien tous les individus consommant des produits en contact avec le glyphosate. Or, cette caractéristique touche la quasi-intégralité de la population française, puisque l’herbicide s’est aujourd’hui infiltré dans l’eau que nous buvons, qu’elle provienne du robinet ou d’une source. Des recherches de 2022 indiquaient d’ailleurs que la molécule avait été retrouvée dans 99,8 % des urines d’un groupe de près de 7000 personnes testées.

De quoi s’inquiéter sérieusement au regard de certaines études effectuées sur des rats et concluant que le glyphosate pourrait avoir des effets sur le long terme, y compris sur plusieurs générations. Sur les rongeurs, on a ainsi pu observer des problèmes d’obésités, de prostate, de dysfonctionnement des ovaires ou même de maladies rénales. S’il est encore trop tôt pour transposer ces résultats à l’être humain, il y a tout de même de quoi franchement s’alarmer.

Un désastre environnemental

Il existe donc de très sérieux indices pour croire en la dangerosité du glyphosate pour l’être l’humain (Bayer-Monsanto a d’ailleurs déjà été condamné par la justice à ce sujet). Mais il en va de même pour l’environnement dans lequel il est déversé. Il ne faut en effet pas oublier que cette substance a, avant tout, le rôle d’éliminer les « mauvaises herbes ». Or un produit destiné à tuer des organismes vivants a forcément un impact écologique.

La science a d’ailleurs bien confirmé à maintes reprises que les produits utilisant le glyphosate avaient des conséquences sur l’écosystème et la biodiversité. Là encore, c’est le « cocktail explosif » de la molécule et de ses adjuvants qui entraîne d’importants dégâts.

Des écosystèmes entiers en péril

Les plus gros problèmes concernent les milieux aquatiques où le produit a tendance à persister. Ainsi, les amphibiens, les poissons, le phytoplancton et bon nombre de végétaux hydrophytes sont menacés par l’herbicide.

Évidemment, ce sont aussi toutes les fleurs et plantes sauvages qui sont également éliminées par le glyphosate. Et pas seulement dans les champs où il est épandu, puisqu’il se dissémine largement dans les alentours notamment par le biais de l’eau. Le phénomène est d’ailleurs d’autant plus accentué par la dégradation des sols qui ne retiennent plus la pluie.

Par ricochet, ce sont alors des milliers d’insectes qui se retrouvent en danger, particulièrement les pollinisateurs comme les abeilles (qui sont, en outre, pareillement vulnérables face au produit). Au bout de la chaîne, d’autres animaux consommateurs d’insectes (comme les oiseaux) sont aussi victimes du processus. En fin de compte, c’est donc tout l’écosystème qui risque de s’effondrer.

Le glyphosate comme un symbole

Évidemment, il serait bien trop simpliste de mettre tous les maux environnementaux sur le dos du glyphosate. C’est bien en réalité l’intégralité de la doctrine industrielle et intensive agricole qui doit être repensée. Il n’est pas décemment possible de se reposer sur des procédés chimiques qui épuisent les sols, la santé et les écosystèmes, pas plus que sur l’élevage intensif qui dilapide les ressources et martyrisent les animaux.

Pour autant, la réautorisation à venir pour dix ans de cet herbicide incarne parfaitement les dysfonctionnements de notre époque où des lobbies industriels dictent leurs lois face à la science et le bien commun.

À l’image d’un Emmanuel Macron qui a largement trahi ses promesses, les pouvoirs publics semblent donc plutôt soumis à la puissance de l’argent. Il faut dire que le marché du glyphosate ne rapporte pas moins de 9,6 milliards par an à ses producteurs et qu’une interdiction risquerait de créer un précédent qui pourrait engendrer un effet boule de neige. De fâcheux désagréments que la machine capitaliste souhaite sans doute ardemment éviter. Et tant pis pour l’intérêt général et la sauvegarde la planète.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Manifestation contre les pesticides à Bruxelles le 18 septembre 2023. Flickr

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