Si vous êtes de ceux qui aiment le voyage, vous aurez probablement déjà envié la liberté et l’indépendance de ces voyageurs au long cours, travailleurs nomades, bien loin de la vie quotidienne classique. Journalistes, blogueurs, graphistes et toute une série de métiers qui ne nécessitent qu’un ordinateur ou un appareil photo, ils sont de plus en plus nombreux à choisir cette vie en perpétuel déplacement. Rencontre.
Un sac à dos, un peu de matériel, un brin de wifi et le tour est joué ! Aujourd’hui plus que jamais, le monde est à portée de main et le travail à distance de plus en plus accessible pour une part non négligeable du secteur tertiaire. Une réalité qui inspire bon nombre d’entrepreneurs-voyageurs en quête d’expériences fortes, d’autonomie et de liberté.
Des années d’études pour décrocher un précieux diplôme sans garantie de trouver un job, des années de travail pour le même employeur en mode métro-boulot-dodo… Cela a beau être un peu caricatural, mais ce modèle ne séduit plus tout le monde aujourd’hui, spécialement ceux que l’on nomme les « millennials » (en gros, les moins de 35 ans nés avec internet) plus prompts à investir leur temps dans une expérience de vie en dehors des lignes tracées, abandonnant la possibilité d’une carrière brillante ou l’achat d’une propriété, comme le révèlent les innombrables études consacrées à cette génération. Chômage, techniques managériales éprouvantes, emplois peu émancipateurs, risque de licenciement facilité par les réformes, la vie nomade tourne volontairement le dos à ces problématiques. Reste à pouvoir en assumer les risques.
Dans le quotidien suisse Le Temps, Moshmi Kamdar, une spécialiste de cette génération pour le compte d’une grande banque explique : « Pour les millennials, la technologie est la norme : ils sont connectés en permanence. Cette génération valorise davantage les expériences que la possession d’objets. Cela explique en partie que l’audience des concerts aux États-Unis ait doublé entre 2010 et 2016. L’éclosion d’une véritable économie du partage est également le résultat du peu d’importance que les millennials accordent à la propriété ». En effet, à l’image de nos ancêtres nomades, le fait d’être en déplacement constant empêche l’accumulation de biens matériels : il est par définition un rejet du consumérisme.
Et le voyage fait évidemment partie des expériences fortes que la vie peut offrir à cette génération ! Il faut avoue que parcourir le monde est de plus en plus facile (multiplication des sites de réservation et de conseils, des portails de couchsurfing, de wwoofing ou de petits boulots à l’étranger), tout au moins pour les ressortissants de pays occidentaux qui bénéficient d’un statut privilégié. Et les réseaux sociaux titillent certainement les esprits aventuriers à coup de paysages grandioses postés sur Instagram ou d’escapades inspirantes racontées sur Facebook.
Dans le Nord de l’Inde, nous rencontrons Ben au détour d’un petit chemin. Ce Britannique a choisi d’exercer autrement son métier dans l’informatique : « J’ai juste besoin d’un ordinateur et d’une connexion wifi et je peux travailler où je veux. Du coup, je partage mon temps entre le Sikkim (Nord de l’Inde) et Penang (Malaisie), mes deux endroits préférés sur terre » assume-t-il sans demander son reste à personne. Le niveau de vie étant moins élevé ici, son salaire est largement suffisant pour vivre confortablement tout en redistribuant ses richesses aux populations qu’il croise en chemin.
En Colombie, Maël est volontaire dans un projet de vie communautaire axé sur la permaculture. Ce Français de 29 ans a laissé derrière lui sa vie « normale », il a pris le chemin du voyage il y a 4 ans déjà. C’est sur la route qu’il a trouvé son projet de vie et son activité professionnelle : « J’avais un travail assez sérieux comme ingénieur commercial dans une grosse société. Je travaillais dans un bureau, c’était la machine à produire et à créer de l’argent. Pour moi, ça n’avait pas de sens. J’aimerais développer une communauté en autosuffisance quelque part dans le monde, alors je multiplie les expériences pour me former ». Partir à la rencontre des autres, dans une démarche d’échange opposée au tourisme de masse, ouvre de nouvelles perspectives personnelles.
L’avenir étant, par définition, inconnu et incertain pour nous tous, est-ce à ce point insensé de miser sur l’intensité d’une vie au présent en phase avec ses rêves et ses idéaux ? En tout cas, ces choix de vie illustrent le nouveau rapport de la jeunesse avec le monde du travail et la carrière. Sur son blog, le sociologue belge Yves Patte parle de « Backpack entrepreneur » pour définir cette tendance : « Backpack Entrepreneur : celle ou celui qui entreprend des activités, sans plan de carrière défini, tel un promeneur, avec sur son dos, un sac de compétences qu’il/elle a pu acquérir dans ses activités précédentes. Synonymes : travailleur freelance nomade, chasseur-cueilleur d’activités. »
À peine 30 ans et ce Belge est devenu un grand nom parmi les influenceurs sur internet, Johan Lolos vit de ses clichés de voyage, des photos partagées sur ses réseaux sociaux à plus d’un demi-million de followers. En plus de son talent certain, son audace pour quitter les sentiers battus est aujourd’hui récompensée. « Le déclic est arrivé à Paris, je détestais l’ambiance d’agence et je n’imaginais pas bosser toute ma vie dans un bureau pour un patron. Je ne voulais pas vivre dans cette routine que la société nous impose, je suis donc parti en Australie pour un tour du monde en autostop. C’est là-bas que j’ai construit mon métier. »
En 2017, une étude marketing française révélait que 19% des millennials envisageaient un travail freelance, bien plus que leurs parents. Comme le précise le sociologue Yves Patte dans son travail, cette génération recherche avant tout la liberté de travailler quand elle le souhaite et où elle le souhaite : « C’est une même volonté de rester maître de son parcours qui anime les backpack entrepreneurs et les travelers backpack : la possibilité de changer de plan, de sauter sur une belle opportunité, etc. Avoir une carrière toute tracée dans l’administration ou une grande entreprise, c’est un peu comme un voyage organisé. On a peu de liberté et s’il s’avère qu’il y a une petite plage magnifique mais qui n’est pas dans le programme des visites, on ne peut pas y aller. Bref, c’est la volonté de pouvoir décider pour soi, de tracer son propre chemin, et de se réorienter constamment qui anime les uns comme les autres. » Des valeurs applicables au nomade comme au sédentaire.
Naturellement, les mauvaises langues diront qu’un tel mode de vie est un « caprice bourgeois » réservé à des « gosses de riches ». S’il n’est pas faux d’admettre que le voyage libre fut longtemps réservé à des classes privilégiées, le travailleur nomade est à distinguer du touriste. Celui-ci doit perpétuellement créer de la richesse pour assumer ses déplacements et sa survie, donc réaliser une activité professionnelle indépendante, avec toutes les complications légales connues, qu’il devrait quoi qu’il arrive prester s’il vivait dans un même lieu. Le nomadisme représente donc ici une complication supplémentaire pour le travailleur.
Vient enfin la question de l’écologie. Pourrait-on généraliser ce mode de vie sans précipiter la planète dans une nouvelle crise écologique ? L’impact de ces nomades est-il plus important qu’une famille moyenne occidentale ? La question est délicate car elle touche de nombreux domaines d’activité. Pour l’Humanité, la fin du nomadisme a marqué le développement fulgurant de la civilisation et du développement. Rester en un même lieu plusieurs années permet l’accumulation matérielle. Nos sociétés industrielles sont fondées sur notre sédentarisation. L’industrialisation, les importations de biens, la consommation de masse, l’élevage de masse et l’habitation classique sont les principaux piliers de la crise écologique.
Ainsi, l’impact du nomade dépendra du comportement de l’individu concerné mais nécessairement inférieur au consommateur occidental moyen dès lors qu’il n’accumule aucun bien, assume un mode de consommation équilibré (faible en viande) et ne réalise pas ses déplacements systématiquement par avion. À ce titre, un backpacker qui fait des allers-retours entre Paris et un quelconque pays du Sud cinq fois par an n’est pas un nomade. Un nomade, comme son nom l’indique, est voué entièrement à vivre en déplacement d’une localité à l’autre sur une période longue, en utilisant les transports de manière raisonnée. Il n’est donc pas impossible d’être un travailleur nomade et respectueux de l’environnement. Ainsi, où que l’on soit, comme le veut l’adage, la vie elle-même devient un voyage.
https://www.instagram.com/p/BftnRq4BN0I/
– Pascale Sury & Mr Mondialisation
Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Soutenez-nous aujourd’hui en nous offrant un thé ? ☕