Bien qu’il soit l’un des pays les plus diversifiés au monde sur le plan écologique, jouant ainsi un rôle central dans la préservation de la biodiversité et l’atténuation du changement climatique, le Panama n’a pas été épargné par le développement incessant des activités humaines. Afin de garantir la préservation de son environnement et assurer l’intégrité physiques et morales de sa biodiversité, le pays d’Amérique centrale vient d’adopter une nouvelle loi reconnaissant notamment à la nature les droits d’exister, d’évoluer et de se régénérer. En rejoignant la liste des pays qui reconnaissent déjà les droits de la nature dans leur jurisprudence ou droit national, le Panama signe une nouvelle victoire pour la nature et l’adoption d’une vision éco-centrée de la réalité. Explications.
Célèbre pour son canal qui sépare l’Amérique centrale de l’Amérique du Sud, le Panama abrite de vastes étendues de forêts tropicales et de mangroves dans lesquelles évoluent pas moins de dix milles espèces de plantes et d’animaux, tels que le jaguar et l’ours à lunettes. Outre sa riche biodiversité, le Panama est également habité par plusieurs communautés autochtones dont les terres ancestrales sont menacées par la déforestation et les activités extractives.
Selon la Global Forest Watch, le pays, dont la superficie équivaut à presque deux fois la taille de la Suisse, a perdu ces 20 dernières années environ 194 000 acres de forêt tropicale humide, l’un des écosystèmes les plus diversifiés sur le plan biologique[1].
Face au déclin alarmant de sa biodiversité et aux menaces qui pèsent sur les écosystèmes du pays, le président du Panama, Laurentio Cortizo, a récemment adopté une loi sur les droits de la nature, et lui reconnait désormais « le droit d’exister, de persister et de régénérer ses cycles », « le droit de conserver sa biodiversité » et « le droit d’être restauré après avoir subi directement ou indirectement des dommages causés par toute activité humaine »[2].
Après de longs débats à l’Assemblée Nationale du Panama, le texte proposé par Juan Diego Vásquez Gutiérrez en septembre 2020 reconnait le monde naturel comme étant « une communauté unique, indivisible et autorégulée d’êtres vivants, d’éléments et d’écosystèmes liés les uns aux autres, qui soutient, accueille et régénère tous les êtres vivants de la nature »[3].
Cette nouvelle loi, qui entrera en vigueur en 2023, obligera les futures politiques gouvernementales économiques et de développement à respecter les droits des écosystèmes du Panama, dont notamment sa biodiversité, ses forêts tropicales, ses rivières et ses mangroves.
Une vision éco-centrée de la réalité
Alors que les systèmes juridiques traditionnels considèrent généralement la nature comme un bien appropriable et exploitable au profit de l’homme, l’approche des droits de la nature identifie précisément cette vision anthropocentrée du monde comme étant la raison fondamentale de la crise écologique que nous traversons. Notamment parce que cette vision postule à tort que l’existence humaine serait comme indépendante de l’univers et des autres communautés de vie.
En reconnaissant les droits inhérents de la nature à exister, à persister et à évoluer, le Panama adopte une vision éco-centrée de la réalité, dans laquelle toutes les communautés de vie, humaines et non-humaines, s’articulent dans un contexte global où la survie de l’humanité dépend intrinsèquement de la survie des écosystèmes et de la biodiversité.
« Cette loi renforcera institutionnellement la lutte pour la protection de la nature au Panama et contre le réchauffement climatique en redéfinissant le lien entre les êtres humains et la nature »[4], se réjouit Vásquez.
« Cette loi vise à reconnaitre la Nature comme un sujet de droit, redéfinissant son champ de protection juridique. Elle crée également un cadre qui renforce et complète les moyens, ressources et arguments juridiques dont disposent les avocats et militants écologistes », a-t-il ajouté.
Une nouvelle victoire pour la Nature
Avec cette nouvelle loi, le Panama rejoint la liste des pays qui reconnaissent déjà les droits de la nature dans leur arsenal législatif ou leur jurisprudence, comme l’exemple Corse concernant son fleuve Tavignanu, ou celui, en cours, de la Loire.
Selon Constanza Prieto Figelist, directrice juridique au Earth Law Center pour l’Amérique latine, « l’approbation de cette loi est fondamentale car elle rejoint les efforts de la Colombie et de l’Équateur pour reconnaitre les droits de la nature, créant un corridor de conservation dans la région qui ouvre les portes à une gouvernance holistique et conjointe des forêts, des rivières et de l’océan »[5].
Outre les obligations du gouvernement à respecter les droits de la nature dans ses futurs politiques économiques et de développement, devra également être assuré que les politiques énergétiques et les activités extractives garantissent le respect de l’intégrité des écosystèmes du pays. Afin de matérialiser ces nouveaux droits, la loi autorise toute personne physique ou morale à représenter les intérêts de la Nature devant les autorités et tribunaux panaméens.
Enfin, le nouveau texte reconnaît la relation étroite qui unit cette approche juridique éco-centrée aux croyances des communautés autochtones, garantissant ainsi que les connaissances ancestrales des peuples originels occupent une place fondamentale dans la future interprétation et application des droits de la nature au Panama.
Des droits spécifiques pour les tortues marines
Les tortues marines sont aujourd’hui plus que jamais menacées par le développement des activités humaines, notamment le changement climatique, les prises de pêches accessoires, le développement irresponsable des activités touristiques et maritimes qui entrainent de plus en plus de collisions avec les navires et participent à la dégradation de leur habitat.
Parmi les cinq espèces de tortues marines présentes dans les eaux panaméennes, trois sont considérées comme étant vulnérables, l’une est menacée d’extinction, et la dernière est en danger critique d’extinction.
Or, les tortues marines jouent un rôle vital dans la préservation des écosystèmes marins. Elles participent à la régulation des écosystèmes marins et côtiers, contribuent à la santé des herbiers marins et des récifs coralliens, déjà grandement mis sous pression par le changement climatique, et constituent également une valeur culturelle pour de nombreuses communautés à travers le monde[6].
En 2021, face à ce constat alarmant, le député panaméen Gabriel Silva a présenté un plan de conservation visant à préserver les tortues marine du Panama, en garantissant la restauration, la prévention de la contamination et la dégradation de leurs habitats.
Selon Silva, « en reconnaissant les droits des espèces non humaines, nous franchissons une étape cruciale pour que la conservation des espèces soit proactive plutôt que réactive. On évite ainsi que les politiques de conservation ne soit adoptée que lorsqu’une espèce est déjà en danger d’extinction ».
Il ajoute notamment qu’en « adoptant une approche éco-centrique de la conservation plutôt qu’une approche centrée sur l’homme, nous tenons compte des droits inhérents des tortues marines à exister, à prospérer et à évoluer. Cela signifie que lorsque nous prendrons des décisions qui affectent les tortues marines, leur bien-être devra également être pris en compte »[7].
Le projet de loi proposé par Silva est actuellement débattu à l’Assemblée Nationale du Panama. S’il est adopté, ce serait la première fois qu’un groupe d’espèces se verrait reconnaitre des droits spécifiques dans le cadre du développement des droits de la nature, soulignant une fois de plus l’interdépendance entre les humains et les animaux.
Enfin, il créerait un précédent historique en matière de protection et reconnaissance des droits fondamentaux des espèces non-humaines, et pourrait ainsi encourager d’autres nations à protéger de manière proactive leurs espèces vulnérables ou déjà grandement menacées.
W.D.
[1] Global Forest Watch, Panama, mars 2022, disponible sur: https://www.globalforestwatch.org/dashboards
[2] Surma, K., “Panama enacts a rights of Nature law, guaranteeing the natural world’s “Right to exist, Persist and Regenerate”, in Inside Climate News, 25 février 2022, disponible sur: https://insideclimatenews.org/news/25022022/panama-rights-of-nature/
[3] Daunton, N., “Panama brings in new law granting nature the “right to exist” in Euronews, 8 mars 2022, disponible sur: https://www.euronews.com/green/2022/03/08/panama-brings-in-new-law-granting-nature-the-right-to-exist
[4] Rajesh, S., “Panama enacts national law recognizing rights of nature” in The frontier Manipur, 3 mars 2022, disponible sur: https://thefrontiermanipur.com/panama-enacts-national-law-recognizing-rights-of-nature/
[5] Ibid., https://insideclimatenews.org/news/25022022/panama-rights-of-nature/
[6] WWF, 4 raisons pour se prêter au jeu de la conservation des tortues marines au Gabon, 12 juin 2017, disponible sur : https://www.wwf-congobasin.org/?302370/4%2Draisons%2Dpour%2Dse%2Dprter%2Dau%2Djeu%2Dde%2Dla%2Dconservation%2Ddes%2Dtortues%2Dmarines
[7] Hynek, E., “Panama introduces new conservation law to protect endangered sea turtles” in Earth Law Center, 2 mars 2022, disponible sur: https://www.earthlawcenter.org/blog-entries
Photo de couverture @monicaiglesias / Pixabay Panama city