Ces dernières années, le débat médiatique au sujet du réchauffement climatique est phagocyté par les vifs échanges entre le camp climato-négationniste, incarné par Trump et Bolsonaro, et le camp auto-promulgué progressiste aux prétentions climatiques déclarées dont Macron est le porte-parole. Pourtant, quels que soient leurs dirigeants et les ambitions qu’ils portent, depuis plus de deux siècles, les pays industrialisés n’ont eu de cesse d’augmenter leur consommation d’énergies fossiles sous le prisme de la croissance éternelle. Le charbon, le pétrole et le gaz constituent toujours l’apport énergétique fondamental de nos sociétés comme le sang irrigue un corps humain… Et ce sang n’est pas éternel.
Malheureusement, les atouts énergétiques incomparables des énergies fossiles ne dissimulent plus leurs revers. Parmi ceux-ci, le réchauffement climatique, déjà mesuré à +1°C par rapport à la seconde moitié du XIXème siècle, est le plus visible et celui qui génère depuis peu une mobilisation citoyenne mondiale. Alors que nous tentons d’éviter le drame en limitant ce réchauffement à +2°C, voilà que les dernières prévisions nous annoncent une augmentation de +7°C à l’horizon 2100 ! Les climatologues considèrent que plus de 70% de ce phénomène est imputable à la combustion des énergies carbonées. Il n’y a plus débat sur cette question : le modèle de société carboné est la cause de notre problème. Cette abondance énergétique soutient elle-même le mythe fondateur d’une croissance infinie de nos échanges économiques. L’illusion de contrôle est totale.
La trajectoire la plus climaticide
Malgré la signature de nombreux accords, théoriquement contraignants, engageant les États à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), la consommation combinée de charbon, de pétrole et de gaz n’a jamais été aussi importante. À l’échelle mondiale, elle ne fait qu’augmenter. Du point de vue du marché libre, aucune autre source d’énergie ne présente les avantages des énergies fossiles à ce jour : prix toujours dérisoire par rapport à l’énergie fournie, praticité à l’usage, extraction facile et globalement sûre. La combustion de ces ressources parfaitement naturelles est intimement liée au développement économique spectaculaire du siècle dernier. L’idée d’un découplage entre recours aux énergies fossiles et croissance économique, soutenue par la promotion du développement durable et des énergies prétendument vertes, se révèle être un mirage. Les choix politiques et économiques continuent d’être pris selon le paradigme croissanciste, et nécessitent donc un recours aux énergies fossiles sans cesse accentué. Les énergies « vertes » s’ajoutent donc à la production énergétique totale sans vraiment pouvoir l’assainir.
De ce fait, en dépit des discours marquants et des engagements vains, la trajectoire d’émissions de GES suivie par nos sociétés se confond ainsi avec le scénario le plus climaticide (appelé RCP8.5) envisagé par le GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Pour autant, les modélisateurs des scenarii climatiques s’appuient toujours sur les données des énergies fossiles publiées dans une étude géologique datant de 1997. Ce travail ne mesure pas seulement l’énergie fossile encore extractible (les réserves), mais l’ensemble des ressources se trouvant sous terre, y compris ce qui semble inaccessible au regard du marché actuel.
Ainsi, les trajectoires climatiques émises depuis se fondent sur l’hypothèse que nos sociétés seront capables d’extraire l’ensemble des énergies carbonées présentes dans le sol. Le scénario RCP8.5 est alimenté par une consommation globale de 2100 gigatonnes (Gt) d’énergies fossiles d’ici 2100, entraînant une hausse de la température globale spectaculaire. Dans ce bouleversement progressif de notre milieu, nos sociétés seront secouées par des événements extrêmes, certains territoires deviendront impropres à la vie humaine, et nos systèmes agricoles subiront des pressions inédites.
Une limitation involontaire de nos émissions ?
Ceci dit, plusieurs éléments font désormais douter de la soutenabilité d’un tel scénario. S’il a été fidèlement suivi jusqu’ici, le RCP8.5 est – et sera – alimenté par une augmentation de la combustion des énergies carbonées au cours du siècle. Cependant, différents éléments attestent de la difficulté croissante d’exploiter ces combustibles, ce qui pourrait avoir comme effet de limiter structurellement nos émissions de façon involontaire et incontrôlée. En d’autres termes, que les producteurs seraient dans l’incapacité à terme de pouvoir répondre à la demande énergétique tant l’extraction deviendrait difficile et énergivore.
Applicable à de très nombreuses ressources naturelles, la théorie du pic identifie, selon le géochimiste Bernard Durand, “le point critique à partir duquel un champ de pétrole [valable pour le charbon ou le gaz également, NDLR] , ayant épuisé à peu près la moitié de ses réserves exploitables, est voué à terme à un déclin irrémédiable”. Au milieu des années 2000, alors que certains, dont l’ancien ministre Yves Cochet, envisageaient dès 2008 une pétrole-apocalypse, les travaux scientifiques traitant du pic pétrolier ont été décrédibilisés et mis au ban des sciences environnementales. La raison ? Le spectaculaire et non-anticipé essor du pétrole de roche-mère (appelé injustement “pétrole de schiste”) produit par les États-Unis ayant relancé le mythe d’une source espérée infinie contre tout bon sens scientifique. Rarement rentable, ce pétrole non conventionnel a permis, jusqu’à présent, la croissance de la production mondiale de l’or noir. Plutôt que la solution de l’approvisionnement pétrolier de demain, l’agitation que suscite son exploitation ressemble davantage à une “fête de départ à la retraite” selon le géologue pétrolier Arthur Berman. En effet, des éléments laissent penser que la fête touche peut-être bientôt à sa fin.
Depuis 2015, plusieurs études (1, 2, 3, 4) ont tenté d’envisager de façon plus fine les réserves effectivement exploitables de l’ensemble des énergies fossiles. Ces chercheurs en géologie pétrolière et charbonnière projettent une diminution drastique de la production au cours du siècle en cours, contrairement à ce qu’envisagent les scenarii climatiques du GIEC. Ces différentes équipes arrivent à un résultat équivalent : il resterait, selon leurs estimations, environ 1000Gt d’énergies fossiles exploitables. Dans de telles conditions, non seulement le scénario RCP8.5 semblerait dès lors impossible à alimenter, mais le scénario RCP6.0 équivalent à un réchauffement de l’ordre de 3 à 4°C, ne serait pas, lui non plus, soutenable. Une limite physique théorique qui ne nous sauvera pas du réchauffement pour autant…
Des impacts qui resteront considérables
Une thèse, menée par Yann Quilcaille et soutenue en 2018, a permis le croisement d’un modèle climatique conventionnel avec les données de la géologie pétrolière et charbonnière issues de l’une des études précédemment citée. Les résultats indiquent qu’un déclin de l’exploitation des énergies fossiles conduirait malgré tout à un réchauffement de 2 à 3°C. Le dernier rapport du GIEC a montré les différences importantes qu’implique un demi-degré de différence à l’échelle globale. Des évolutions de +2,5°C ou de +4,5°C (de moyenne mondiale) n’auront pas la même incidence sur la récurrence et l’intensité des événements extrêmes : canicules, sécheresses, désertification et migrations forcées, ou encore cyclones. Chaque degré de moyenne en plus décuple les effets possibles. Par ailleurs, d’autres éléments que la disponibilité des énergies fossiles sont à prendre en compte dans les trajectoires climatiques, comme l’usage du sol symbolisé par le sort de l’Amazonie, ou encore la fonte du pergélisol arctique.
Le débat passionné, sur lequel s’enflamme l’écologie conventionnelle, entre le soutien aux énergies renouvelables ou au nucléaire, ne concerne que la production électrique qui représente moins de 19% de l’énergie consommée à l’échelle globale. Le feu est ailleurs. Il faut oser le dire : les énergies carbonées sont à la fois le pire ennemi d’un environnement durable, et la condition sine qua none du fonctionnement des sociétés industrialisées. Une baisse progressive ou soudaine de l’extraction ferait subir des contraintes très fortes sur l’immense majorité des pays, dont des crises sociales profondes, un endettement des États accéléré avec une incapacité structurelle au remboursement, donc une accélération de la prise de pouvoir du privé grâce aux institutions actuelles qui valident toujours le mythe « croissanciste » dans leur modèle de fonctionnement. À l’échelle nationale, des pays comme le Yémen, le Vénézuela ou la Syrie ont connu leurs pics de production pétrolière dans les années 2000, et leurs situations, bien que liées également à d’autres facteurs, ne laissent pas présager d’un futur stable et serein pour un monde soumis à la déplétion énergétique.
La menace d’une planète soumise à des conditions climatiques défavorables à la perpétuation de l’espèce est suffisante pour que le sujet entre pleinement dans un calendrier politique d’urgence. La déplétion pétrolière ne semble pas inquiéter autant. Pourtant, le déclin probable de nos sociétés fossiles sera causé tant par la dégradation des conditions environnementales que par la baisse de l’exploitation des énergies fossiles à moyen terme. Avec ou sans notre volonté, il faudra y faire face l’esprit serein afin de limiter les dégâts humains. Paradoxalement, ce déclin constituera à la fois notre meilleur allié pour atténuer le réchauffement climatique, et le pire ennemi de la stabilité socio-économique des pays industrialisés. Face à ces enjeux qui détermineront demain la survie d’un grand nombre d’humains, les élucubrations et autres tweets inconsistants de nos dirigeants semblent aujourd’hui bien dérisoires…
Olivier Raguenes & Mr Mondialisation
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