Pourtant indispensables à la sauvegarde et à la pollinisation de plus de trois quarts des cultures vivrières et des plantes à fleurs, l’effondrement des populations d’abeilles ne cesse de s’accélérer à travers le monde. Le petit village marocain d’Inzerki n’y fait pas exception. Abritant le plus vieux rucher collectif du monde, ce dernier a récemment connu un effondrement sans précédent de ses colonies des suites de la pire sècheresse que le pays ait connu ces 40 dernières années. Ce nouveau désastre écologique rappelle une fois de plus l’urgence d’agir immédiatement pour ralentir les effets du changement climatique.
En proie à des vagues de chaleur extrême et des sècheresses répétitives, le Maroc a observé cette année un déclin majeur de ses populations d’abeilles, accélérant les dégradations environnementales et les risques pour la sécurité alimentaire. Bien que l’ensemble du Royaume soit sujet à l’effondrement de ses colonies, le phénomène est particulièrement inquiétant dans le petit village d’Inzerki. Situé dans une province du Sud du Maroc, ce village abrite le plus ancien rucher collectif du monde.
Alors qu’à cette époque de l’année, la région devrait être bercée par le bourdonnement des abeilles, elles meurent aujourd’hui à un rythme effréné. Chatoui, apiculteur de la région, a déclaré avoir perdu 40 de ses 90 colonies en l’espace d’un épisode de chaleur extrême. Il ajoute que :
« De nombreuses familles n’ont désormais plus les moyens de poursuivre leurs activités apicoles et ont décidé d’abandonner complètement l’apiculture »
Cette nouvelle catastrophe écologique annonce désormais les prémisses de la perte d’un héritage culturel unique, récemment inscrit au patrimoine national du Maroc, qui participait directement à la sécurité économique et alimentaire de ses villageois.
Un trésor berbère menacé
Fondé en 1850, ce majestueux rucher, situé en plein cœur de la Réserve de Biosphère Arganeraie protégée par l’UNESCO, bourdonnait autrefois de vie, et faisait la fierté des habitants d’Inzerki. Véritable prouesse architecturale dont la structure est établie à partir de bois et de boue sèche, le rucher ne compte pas moins de cinq niveaux compartimentés, dans lesquels sont disposés plus de 4000 ruches en roseaux tressés enveloppées de terres et de bouse de vache.
Longtemps occupé et supervisé par plus de 80 familles, il en reste désormais moins d’une vingtaine. Selon le géographe Hassan Benalayat, qui appelle à la protection de ce patrimoine exceptionnel, ce désintérêt s’explique principalement par l’essor de l’agriculture moderne, l’exode rural et les impacts du changement climatique sur la résilience du rucher et des activités apicoles.
Pour faire face à cette hausse de mortalité inédite des populations d’abeilles, et assurer la sauvegarde de ce patrimoine, des villageois ont récemment crée un collectif chargé de restaurer la structure du rucher, gravement fragilisée par les catastrophes climatiques, et de cultiver de nouvelles herbes et fleurs capables de supporter les conditions climatiques de plus en plus arides dans la région.
« Aujourd’hui, l’objectif n’est plus de produire du miel, mais de protéger les ruches et de faire en sorte que les abeilles survivent jusqu’à des jours meilleurs. En effet, la situation est critique mais ce n’est pas pour autant que je vais baisser les bras », a déclaré Chatoui.
Plus alarmant, le village d’Inzerki n’est pas la seule région à connaître un effondrement de ses populations d’abeilles. L’ensemble du secteur est menacé. À titre d’exemple, la province de Kenifra-Beni Mellal, située dans le centre nord du Maroc, a perdu pas moins de 100 000 ruches en l’espace d’une année seulement.
Une sécheresse historique
Plusieurs facteurs sont à l’origine de la disparition des abeilles. Le premier est incontestablement l’exacerbation des effets du changement climatique qui a entrainé la plus grande sécheresse enregistrée au Maroc au cours de ces 40 dernières années.
Par ailleurs, selon Antonin Adam, entomologiste et expert apicole, « les conséquences de la sécheresse sont aujourd’hui amplifiées par la vulnérabilité des abeilles aux maladies, à la transhumance, aux pratiques agricoles intensives mais également à la volonté du pays d’augmenter sa production de miel ».
En effet, en dix années seulement, la production de miel du pays a augmenté de 69%, passant de 4,7 tonnes en 2009 à près de 8 tonnes en 2019, avec plus de 101 millions d’euros de chiffre d’affaires selon le ministère de l’agriculture. Or pour augmenter à ce point la production de miel, il faut évidemment augmenter le nombre de colonies, mais également les surfaces « pollinisables ». Conséquence, l’intensification de l’agriculture et le recourt abondant aux pesticides ont conduit à la baisse significative des populations d’abeilles dans la région.
Le gouvernement tire la sonnette d’alarme
Face à l’effondrement des colonies et aux menaces pour la survie du secteur, le gouvernement a débloqué 130 millions de dirhams, soit un peu plus de 12 millions d’euro, afin de soutenir les apiculteurs du pays et financer des projets de sauvegarde des abeilles. « Cette désertion des ruches est un phénomène sans précédent au Maroc », s’est notamment inquiété l’Office national de sécurité sanitaire des aliments.
Les apiculteurs déplorent toutefois ne pas encore avoir vu la couleur de cette aide financière, tenant en haleine l’ensemble du secteur qui redoute la mort des activités apicoles au Maroc et une exacerbation des dommages environnementaux d’une tel résultat.
De manière générale, il est important de rappeler le rôle essentiel que jouent les abeilles en tant que pollinisateurs. En effet, celles-ci sont fondamentales dans le maintien de la biodiversité et des écosystèmes, et contribuent directement à la sécurité alimentaire en soutenant la production agricole de nombreuses cultures vivrières.