« Il s’agit avant tout de s’émanciper. Nous voulons contrôler ce que nous faisons. Nous ne voulons pas être seulement des consommateurs passifs. » (Justyna Ausareny). Toute une génération aspire à reprendre un certain contrôle sur la société. L’atelier coopératif fait partie de ces alternatives en marge, promotrices d’une économie collaborative et citoyenne qui se faufile partout dans le monde. La ville de Montréal ne fait pas exception…
Rue St Ferdinand, à St Henri. L’une des dernières rues de Montréal où les maisons ont conservé leur architecture du temps où tout le quartier était habité par des ouvriers. Avec ses cours où les gamins couraient après les poules, ses vieux portails en bois par où rentraient les chevaux, ses portes plus basses que la norme. Juste avant la rue St Ambroise, un immense bâtiment de briques, comme on en trouve beaucoup dans le quartier, où des artisans et artistes en tout genre louent des locaux et créent leurs ateliers. Samedi 9 mai, Helios Makerspace, un atelier coopératif, a organisé sa première rencontre d’artisans. Ce cas concret, situé à Montréal, offre une vision claire des potentialités du coopératif.
En Europe, en Asie, aux USA, en Afrique, le mouvement des ateliers coopératifs (appelé en anglais hackerspace, medialab ou makerspace) est bien implanté : de Boston à Toulouse, de Yogyakarta à Rio en passant par Lomé au Togo, des espaces communautaires s’ouvrent, dans des bâtiments high-tech ou des hangars, dans les métropoles comme dans des villages ou des petites villes. L’histoire est souvent la même : « Au début on n’avait qu’une table, deux chaises, un tournevis et un marteau… ». Quelques mois plus tard, le virus prend : les gens intéressés par l’électronique, l’art manuel ou digital, amènent leur matériel et viennent profiter de l’espace commun, la ville ou/et l’État offrent des aides. Au Canada on les trouve à Vancouver, Winnipeg, Ottawa, Toronto entre autres. À Montréal, le mouvement est tout jeune, et n’a pas encore capté l’attention des médias.
La réponse d’une génération
À l’image d’Helios, ces espaces coopératifs où professionnels et amateurs viennent partager savoir et invention, est la réponse de toute une génération fatiguée d’un capitalisme individualiste et de la surconsommation. Là où tout est fait pour isoler les individus et les mettre en compétition, ils créent des espaces communautaires d’entraide. Là où les gens sont poussés à être des consommateurs passifs, ils se réapproprient la fabrication : ils bidouillent, ils assemblent, ils jardinent, ils cuisinent.
Comme les universités populaires, les jardins communautaires, les éco-villages ou les concerts de salon, les ateliers coopératifs sortent le savoir des institutions et des spécialistes pour le mettre à la disposition de tous. Ici pas de CV, pas de dossier, pas même besoin d’expérience : c’est l’envie et l’implication qui comptent. Le savoir ne passe que par le partage, par l’action, par l’expérimentation. C’est aussi le DIY (Do it yourself ) et le DIWO (do it with others).
De la réparation d’un monde à la préparation d’un autre
Cette nouvelle génération cherche à rétablir les équilibres que nous avons perdus : entre l’individualisme et la communauté, entre le virtuel et le manuel, entre la science et l’art, et brise les frontières entre amateurs et professionnels. Dans un atelier coopératif, tout part des rêves d’un individu. C’est le groupe qui l’aide à les réaliser. Le virtuel n’isole pas les individus, il leur permet de se rassembler. L’électronique et le manuel font bon ménage : ainsi Anthony Lapointe, membre de iMuFab, atelier de fabrication numérique de l’iMusée, a présenté aux journées portes ouvertes d’Helios son projet de créer une serre où les besoins des plantes en eau, en soleil et en air, seraient automatiquement détectés par un programme numérique.
Les ateliers coopératifs deviennent ainsi les laboratoires de projets de développement durable, attirant les créateurs du futur. Ainsi, Isabel Casares, une jeune chef-cuisinière mexicaine, a présenté cette même journée son projet de produits faits à partir de fruits et de légumes jetés par les supermarchés montréalais. Elle crée des confitures et des conserves et les revend dans les mêmes supermarchés, qui deviennent ses fournisseurs et ses clients. Les gaspilleurs deviennent les récupérateurs créant une boucle positive.
À Helios, les enfants sont tout autant bienvenus. Les ateliers coopératifs recréent le lien mutilé entre les générations. En présentant leur console de jeu maison, les frères Lamontagne ont raconté avoir voulu recréer pour leurs enfants ce que leur grand-père avait bidouillé pour eux. Retrouver le plaisir de fabriquer ses propres jeux… comme avant, avec les outils d’aujourd’hui.
« Chacun devient le déclencheur du rêve de l’autre. Créer un espace d’entraide qui permette à chacun de devenir un faiseur qui apprend, qui s’amuse, qui partage, cela fait des gens plus heureux. » Justyna Ausareny
Helios, un futur pionnier
Qu’on se le dise : dans quelques années, on parlera de l’espace Helios comme l’un des pionniers du mouvement des ateliers coopératifs à Montréal. À l’origine de ce projet, Le Lambert et quelques amis. Étudiants en génie à Concordia, ils exploitaient les laboratoires mis à disposition par l’université. À la sortie, le diplôme en poche, des rêves plein la tête, du savoir-faire dans les mains, ils perdent soudainement tout accès au matériel professionnel. C’est ainsi que les étudiants en arts et en sciences humaines quittent le cocon universitaire et se retrouvent sur un marché du travail impitoyable où les règles ne sont plus les mêmes, où il ne suffit pas d’être doué et de travailler fort pour réussir. Les ateliers coopératifs apparaissent alors comme les traits d’union essentiels entre la formation des écoles et l’offre du marché du travail.
Image : MakerSpace Urbana
Le jeune Lambert voyage à Boston et au Japon, et y découvre des ateliers coopératifs. De retour à Montréal, il crée avec ses amis l’espace Helios. Pendant ce temps-là, Justyna Ausareny, récemment élue codirectrice, découvrait ces mêmes espaces à Singapour, en Indonésie, au Népal et en Chine. De retour à Montréal, elle cherche… et trouve Helios. Elle rejoint les bénévoles puis l’équipe permanente dont les membres viennent du génie électronique, de la programmation informatique, des arts manuels, de la biologie, de la communication. Un terreau cosmopolite se met alors en place.
Lors des journées portes ouvertes, les questions nombreuses après chaque présentation témoignaient de la curiosité de chacun pour le travail de tous. Certains présentaient des prototypes pour changer un bout du monde, d’autres s’étaient donné le challenge de fabriquer eux-mêmes quelque chose d’original. Pour Lambert, c’est la rencontre entre des gens venant de milieux totalement différents qui crée des étincelles : « Quand des gens qui viennent de différentes disciplines se rencontrent, c’est là que les idées les plus incroyables, les plus folles et les plus intéressantes émergent. » Depuis, ce sont aussi des neuroscientifiques, des artistes, des médecins, des philosophes, qui sont passés par Helios pour relier leur expertise à la technologie.
Cet été, tout au long des mois de mai et de juin 2015, l’espace coopératif proposera des ateliers d’introduction et de perfectionnement en microsoudure électronique, ébénisterie, couture, design sur imprimante 3D, et bien d’autres choses.
Un autre monde se prépare ici et maintenant
Concrètement, à Helios, vous pouvez par exemple apprendre en moins d’une heure à changer votre écran de téléphone brisé. Vous pouvez aussi imprimer en 3D cet objet impossible à trouver dans le commerce. Vous pouvez vous former à une multitude de domaines professionnels des plus basiques au plus complexes. Si l’on peut appliquer une seule idéologie aux ateliers coopératifs, c’est celle-ci : seul possède celui qui sait réparer… nous voici à l’opposé de la notion de propriété comme exploitation de la ressource.
Les ateliers coopératifs comme Helios travaillent avant tout pour les générations futures. Ils contribuent à créer des individus plus autonomes et plus conscients de ce qu’ils consomment. Ils témoignent d’une génération qui décide de changer les règles et la manière de fonctionner pour se donner une chance, dans un monde qui l’a déjà condamnée. Les hacker-makers sont-ils les derniers résistants au rouleau compresseur de la société individualiste de consommation ou les pionniers du monde de demain ? Tout dépend du soutien que nous leur apporterons.
« Tout le monde est invité à nous rejoindre : des femmes au foyer, des enfants, des artistes, des ingénieurs, des personnes âgées, n’importe qui avec des mains et un esprit curieux ! » L’équipe d’Helios.
Article coopératif signé Sarah Roubato.
Des sites sur le mouvement des ateliers créatifs :
http://www.startupcommunities.ca/communities/
Les sites de quelques ateliers :
Helios : http://heliosmakerspace.ca/
Imufab : http://www.imufab.org/