Fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique Ouest, disparition des récifs coralliens tropicaux ou encore dégel du pergélisol, plusieurs écosystèmes sont aujourd’hui en phase d’atteindre un point de non-retour (ou tipping point en anglais) susceptible d’avoir des conséquences terriblement néfastes pour le climat, la biodiversité et les sociétés humaines. Si le sujet fait l’objet d’une préoccupation grandissante du corps scientifique et du grand public depuis 2008, une nouvelle étude parue ce vendredi 9 septembre dans la revue Science fait état de nouvelles mises à jour. Et les nouvelles ne sont pas bonnes.

Selon le Groupe international d’experts pour le climat (GIEC), le tipping point ou point de bascule en français correspond au « degré de changement des propriétés d’un système au-delà duquel le système en question se réorganise, souvent de façon abrupte, et ne retrouve pas son état initial même si les facteurs du changement sont éliminés ». Il s’agit autrement dit du pire cauchemar des climatologues et autres défenseurs de l’environnement. Pourtant, ces prévisions ne sont pas si lointaines qu’elles peuvent paraitre.

La fonte des glaces est un phénomène déjà observé depuis des dizaines d’années. – Pixabay

Des écosystèmes au bord du basculement

À ce jour, le GIEC reconnait neuf basculements probables : l’arrêt de la circulation méridionale de retournement de l’Atlantique, la désintégration de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental et de celle du Groenland, le dépérissement de la forêt tropicale amazonienne, le déplacement de la mousson ouest-africaine, la fonte du pergélisol et la fuite des hydrates de méthane, la mort des récifs coralliens, le déplacement de la mousson indienne, et le déplacement de la forêt boréale. 

Si le sujet fait l’objet de nombreux articles et de discussions dans la sphère scientifique depuis 2008, année à laquelle le chercheur Timothy Lenton publia un premier état des lieux, les prédictions des scientifiques n’ont cessé de s’affiner depuis lors. Ce vendredi 9 septembre, une équipe de chercheurs internationale composée notamment de David Armstrong McKaye et du même Timothy Lenton de l’Université d’Exeter (Royaume-Uni) a publié l’évaluation la plus à jour sur le sujet. 

Une menace très actuelle

Alors que les chercheurs identifient seize points de basculement susceptibles d’avoir des impacts majeurs pour le climat, la société humaine et les écosystèmes, ils estiment que cinq d’entre eux pourraient être atteints très prochainement. Les autres prendraient effet sur des échelles de temps variant de quelques années à plusieurs siècles en fonction des températures atteintes à l’avenir.

« L’emplacement des éléments de basculement climatique dans la cryosphère (bleu), la biosphère (vert) et l’océan/l’atmosphère (orange), et les niveaux de réchauffement climatique auxquels leurs points de basculement seront probablement déclenchés » – Un réchauffement climatique supérieur à 1,5 °C pourrait déclencher points de basculement climatiques multiples – DAVID I. ARMSTRONG MCKAY et al.

Pour arriver à ces conclusions, les scientifiques se sont basés sur plus de 200 publications ainsi que sur des modèles climatiques, des observations et des données paléoclimatiques actualisées, de quoi présenter aujourd’hui un état des lieux convaincant et fiable, mais aussi plus alarmant. « Depuis que j’ai évalué pour la première fois des points de basculement en 2008, la liste a augmenté et notre évaluation du risque est dramatique », explique le professeur T. Lenton, co-auteur de l’analyse, au Guardian.

Rester sous la barre des +1,5°C est primordial

Et pour cause, l’équipe de chercheurs expliquent qu’un risque de basculement existe déjà au delà d’un réchauffement de 1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, contredisant ainsi les prévisions du GIEC qui estimait en 2021 que le risque courrait surtout à partir de 2°C de réchauffement et plus encore entre +2,5°C et +4°C. 

Pire encore, même aux niveaux actuels des températures, soit +1,1°C, cinq des seize seuils identifiés par les scientifiques sont susceptibles de basculer, entrainant la disparition des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest, le dégel abrupt du pergélisol dans les régions boréales, l’extinction des coraux tropicaux et subtropicaux et l’arrêt d’un élément important de la circulation océanique dans l’Atlantique Nord.

« Armstrong McKay et son équipe présentent une évaluation mise à jour des éléments de basculement climatique les plus importants et de leurs points de basculement potentiels, y compris leurs seuils de température, leurs échelles de temps et leurs impacts. Leur analyse indique que même un réchauffement climatique de 1°C, un seuil que nous avons déjà dépassé, nous met en danger en déclenchant des points de basculement », déclare Hans Joachim Schellnhuber, physicien allemand et fondateur de l‘Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique.

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« Cette découverte fournit une raison impérieuse de limiter autant que possible le réchauffement supplémentaire », poursuit-il.

Un effet domino probable

Au delà de ces observations, un autre phénomène est à craindre. Certains points de bascule pourraient en effet en entraîner d’autres, provoquant ainsi une sorte d’effet domino« L’effondrement du Groenland rend par exemple l’effondrement de l’AMOC (Atlantic Meridional Overturning Circulation) plus probable, car l’eau de fonte fraîche accélère la perturbation de la convection [mélange en profondeur de masses d’eau] en eau profonde. La fin de l’AMOC perturberait à son tour les précipitations en Afrique de l’Ouest et en Amazonie, entraînant d’autres ruptures », explique David Armstrong McKay dans les colonnes du Monde.

En fin de compte, une issue favorable se dessine seulement à condition de baisser drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre au moins de moitié avant 2030 avant d’atteindre la neutralité carbone en 2050, soit l’équilibre entre les émissions de CO2 et leur absorption dans l’atmosphère par les puits de carbone. 

Les puits de carbone, comme la forêt amazonienne, sont eux aussi menacé par les activités anthropiques. – Pixabay

Mais les États sont loin d’être sur la bonne trajectoire, les politiques actuelles menant plutôt la planète vers un réchauffement de 2,6 °C d’ici à 2100, selon les Nations unies (ONU). Pour les chercheurs, cette étude renforce la base de preuves appelant à une action urgente pour atténuer le changement climatique et permet une évaluation améliorée des risques de point de basculement, une capacité d’alerte précoce et des stratégies d’adaptation nécessaires au maintien de l’humanité. Cette avancée scientifique doit maintenant être suivie d’action de la part des politiques et de la société civile pour espérer relever le défi climatique actuel.

– L.A

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