Faire porter la responsabilité du désastre écologique aux consommateurs et aux collectivités : voici la stratégie développée par les industriels pour ne pas avoir à se confronter avec la problématique qu’est celle du plastique. L’équipe de Cash Investigation nous dévoile dans sa dernière enquête, Plastique : la grande intox, comment des entreprises comme Coca-Cola freinent voire empêchent que l’addiction au plastique soit attaquée de manière frontale.

Les chiffres percutants concernant les pollutions plastiques sont répétés d’année en année et pourtant rien ne change. Toutes les deux secondes, une tonne de plastique est déversée dans les mers. D’ici 2050, certains experts estiment qu’on trouvera plus de particules de plastique que de poisson dans l’ensemble des océans terrestres. Les faits sont connus, tous comme les effets dramatiques sur les populations humaines et l’environnement. Inévitablement, on s’interroge : comment expliquer que les pratiques ne changent pas ? Pourquoi des décisions ne sont elles pas prises pour endiguer la problématique à la source, chez le producteur ?

Réduction du plastique et intérêts économiques ne font pas bon ménage

Depuis que le plastique est devenu une préoccupation majeure qui attire l’attention des scientifiques, des politiques et d’une part grandissante de la population, les industriels ne peuvent plus se montrer indifférents à un sujet qui le met directement en cause. En effet, une bonne partie des aliments que nous consommons au quotidien sont contenus dans des emballages plastiques. La survie même d’un modèle économique dépend de ce plastique pas cher. Soucieuse de leur image, les multinationales comme Coca-Cola ou Evian multiplient les annonces depuis quelques années afin d’affirmer leur volonté d’agir, le plus souvent en affichant des objectifs ambitieux en matière de recyclage. Ces entreprises seraient, selon le discours, en première ligne pour régler le fléau qu’est devenu le plastique. Vraiment ? Ce n’est pas si simple que ça.

Au-delà de l’effet d’annonce, les objectifs exprimés ne sont pas atteints. Coca-Cola (qui produit 120 milliards de bouteilles en plastique par an) avait en 2008 pour ambition officielle que ses bouteilles vendues dans le monde contiennent en moyenne 25 % de plastique recyclé dès 2015. 10 ans plus tard, ce chiffre ne s’élève qu’à 7 % ; on est bien loin du compte. Outre le fait que le recyclage ne soit qu’une infime partie de la solution, on comprend que la société reste loin du compte, en total décalage avec la gravité et l’urgence de la situation. Plus grave : des documents internes concernant la stratégie de l’entreprise en 2016 et analysés dans l’émission montrent que la multinationale s’oppose à ce que des mesures politiques soient prises au niveau européen afin d’augmenter les taux de collecte et de recyclage. Comment l’expliquer ? La réponse est simple, selon l’équipe d’Élise Lucet : la consigne représente un sur-coût pour les industriels qui sont obligés de gérer eux-mêmes leurs déchets. N’est-il pas plus confortable, d’un point de vue purement économique, d’externaliser ces coûts ?

Face à la journaliste et dans une interview où il multiplie les contradictions embarrassantes, Michael Goltzman, vice-président de l’entreprise et chargé des questions environnementales, assure une dizaine de fois que la stratégie a désormais changé. Coca-Cola changerait d’avis comme de chemise. Ainsi, comme par magie, le déchet devient une ressource. Tout est fait pour donner le sentiment que les choses évoluent, sans que rien ne change vraiment.

La faute aux consommateurs

Ces premiers éléments en cachent d’autres, plus insidieux, rapportés par Cash investigation ainsi qu’une enquête de l’ONG Corporate Europe Observatory. Dans un dossier publié en mars dernier et traduit sur le site de l’Observatoire des Multinationales, l’ONG bruxelloise constate à propos  du secteur de l’agro-alimentaire : « Il est bien moins coûteux et bien plus commode pour ces industriels de déplacer l’attention vers les consommateurs et la responsabilité individuelle en matière de déchets que de modifier leurs pratiques de production et d’emballage. On ne s’étonnera donc pas que l’industrie des emballages et ses clients dans le secteur de l’alimentation et de la boisson soutiennent de nombreuses campagnes de sensibilisation anti-déchets partout en Europe. » Entendez : ces campagnes « cool et sympa » sont inefficaces sur le fond !

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Après avoir verdi leur image via de vastes campagnes de communication sur le recyclage, ces entreprises déplacent le débat pour ne pas être confrontées aux critiques comme à leurs responsabilités. Pour eux, le problème ne serait pas la production de plastique, mais sa bonne gestion. Le discours est toujours le même : le plastique serait une matière comme une autre qui peut être valorisée, il suffirait donc de mettre en place des systèmes de récupération adéquat pour régler la question. Pas question d’imaginer un monde sans plastique pour les industriels. Et le coût important de cette gestion revient aux collectivités et aux citoyens, pas aux industriels. On ne s’étonnera pas, alors, de voir des entreprises comme Coca-Cola, Danone ou encore Haribo financer des ONG dont l’objet est d’organiser de grands évènements de ramassage de déchets dans la nature et dont le mot d’ordre consiste à pointer « l’incivilité » individuelle. Une stratégie finement étudiée pour détourner les regards vers un cul de sac. Car pendant que nous ramassons quelques déchets – ce qui reste une très bonne chose localement – ces mêmes industriels continuent d’abreuver la planète de milliards de produits plastiques.

Que faut-il faire alors pour entamer un virage ambitieux en ce qui concerne les pollutions plastiques ? Le recyclage reste indispensable à court-terme, mais il ne peut pas être au centre d’un modèle équilibré, car le recyclage à l’infini est une fausse promesse et une part significative du plastique termine toujours sa route dans la nature. La première urgence, selon Florence Berlingen (Directrice de Zero Waste France) interrogée à la fin de l’émission, « c’est de réduire notre addiction au plastique » et donc contraindre les industriels à se passer de cette matière. Par ailleurs, de nombreuses solutions alternatives existent aujourd’hui, dont certains plastiques entièrement compostables et biodégradables. Des solutions légèrement plus couteuses qu’un plastique d’origine pétrolier, donc boudées par les industriels qui ne pensent qu’en termes de profits.

L’émission est à revoir ici.


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