À Katmandou, au Népal, la municipalité a lancé main dans la main avec quelques acteurs locaux et associations un projet de « rooftop gardening » (jardinage de toit). Cette entreprise ambitieuse se donne pour but de répondre au besoin avéré des habitants de faire face à une certaine insécurité alimentaire. Lancée en 2014, l’initiative a bénéficié dès sa première année à plus de 500 foyers au sein de la capitale népalaise. Aujourd’hui, le gouvernement local continue sa sensibilisation et l’effort de formation des populations à la mise en place de jardins sur les toits de la ville. Témoignage de notre correspondante à Katmandou, Elina Fronty.
Répondre à l’enclavement d’une ville marquée par l’urbanisation sauvage
Du Népal, on retient souvent les paysages à couper le souffle de la chaîne des Himalayas, rendez-vous des trekkeurs du monde entier, ou encore ses festivals et une richesse culturelle qui ne peut laisser indifférent. En revanche, on évoque moins souvent l’extrême pollution de la vallée de Katmandou, sujette à une urbanisation rapide et incontrôlée. La capitale en concentre les conséquences : il s’en dégage une très forte pollution, les routes y sont saturées et les pénuries en eau potable y sont de plus en plus fréquentes. De même, la gestion des eaux usées et des déchets est une problématique réelle dont les conséquences touchent la population.
Les besoins alimentaires, quant à eux, augmentent à mesure que le nombre d’habitants augmente dans la vallée. S’en découle une forte dépendance envers les terres agricoles, mais surtout envers les importations en provenance d’Inde et de Chine. Le cercle vicieux est lancé : l’engorgement des principaux axes qui mènent au centre-ville, parfois sujets à des glissements de terrains et sur lesquels les moteurs tournent fréquemment à l’arrêt, renforce la pollution de la vallée et ralentit les livraisons d’eau et de nourriture. On imagine difficilement comment la zone pourrait survivre à une pénurie possible de pétrole. Les citadins, dont l’alimentation dépend de ces importations, sont déjà particulièrement vulnérables à ces blocages. Les fluctuations des prix s’inscrivent en deuxième facteur de cette précarité alimentaire.
Si l’on ajoute à cela les séquelles du séisme de 2015, dont les dégâts sont encore loin d’être résorbés, on comprend encore un peu mieux les défis majeurs auxquels le pays fait face aujourd’hui. Dans un contexte où la sécurité alimentaire est clairement mise à mal, promouvoir l’agriculture biologique et la consommation de produits plus riches et variés peut sembler être une lubie d’occidental en vacances, c’est pourtant une piste de transition vitale à activer d’urgence. D’où le choix de développer, au cœur de la ville aux nombreux toits, une intéressante forme d’agriculture vivrière au travers du « rooftop gardening ».
Garantir l’autonomie alimentaire de la population de façon verte et économique
La municipalité de Katmandou, avec différentes associations et organisations locales et internationales, a lancé ce projet de promotion et de mise en place de « jardins sur les toits » il y a bientôt trois ans. Afin d’aider les familles à gagner en indépendance, en diversité et en qualité alimentaire, il s’agit de les encourager à faire pousser leurs propres végétaux et herbes sur leur toit, le tout selon des techniques à la fois très économiques, rudimentaires et naturelles.
Il s’agit dans un premier temps d’informer les habitants de la ville, parfois peu informés, sur les problématiques du développement durable et sur les bénéfices de l’agriculture biologique. Ensuite, on donne aux individus les moyens de réaliser leur propre jardin : à savoir leur offrir des ateliers d’apprentissage pour partager les savoirs techniques, mais aussi mettre à disposition de ceux qui le souhaitent des outils et des graines. La prochaine étape de la réflexion sera l’institution d’une aide complémentaire à chaque nouvelle saison pour accompagner ceux qui le souhaitent dans l’entretien du jardin.
Mais ces jardins sur les toits ne bénéficient pas qu’à leurs propriétaires, ils répondent également à des problèmes plus larges et notamment à celui de la gestion des déchets et eaux usées. En effet, l’entretien du jardin est d’autant plus intéressant qu’il réside dans la réutilisation des déchets organiques, des eaux de pluie et eaux usées. Il faut également voir les bienfaits d’un tel projet à long terme : en plus de « verdir » visuellement la ville, il constitue une alternative viable afin de réduire la dépendance aux importations extérieures, et participe en prime à l’assainissement de l’environnement et air urbain.
Un jardin économique et écologique pour des bienfaits multiples
Shekha Narayan Maharjan, jardinier affilié au projet, nous a présenté avec enthousiasme le jardin « 100% bio » qu’il a fait sur son toit. Lorsqu’il a perçu notre étonnement face à la diversité des plantes qu’il y cultive, il nous a expliqué que plus de deux-cent variétés comestibles sont aptes à pousser sur un seul toit d’une maison moyenne… de quoi satisfaire tous les goûts de la famille ou communauté !
Son jardin a été pensé de manière à tendre vers un coût zéro, tant en termes financiers qu’environnementaux. Ainsi, pour les pots, l’idée est de donner une seconde vie aux déchets et emballages : des bouteilles et sacs en plastique, une boite en carton, des bacs de polystyrène, ou même un casque de moto ou une demi noix de coco font de parfaits contenants pour les plantes. Pour l’entretien du jardin, pas de dépenses en produits chimiques polluants : un compost de déchets organiques permet de générer un engrais naturel particulièrement efficace lorsque les vers de terre prennent part au travail. Le marc de café fait quant à lui un excellent pesticide, les graines de neem, ou graines de margousier, agissent comme fertilisant et protègent naturellement les plantations, tandis que des micro-organismes concentrés jouent le triple rôle de fertilisants, fongicides et nutriments. Pour l’arrosage, on recycle à nouveau : Shekha nous explique comment récupérer dans un bac les eaux usées de l’habitation et l’eau de pluie.
À coût dérisoire, il devient donc possible de transformer son toit en potager bio. Et le concept a porté ses fruits : il suffit de lever la tête pour voir les plantes qui dépassent de plusieurs toits de la ville. “Quand mes voisins ont vu les résultats sur mon toit, ils m’ont demandé des conseils pour réaliser le leur. C’est l’avantage d’un tel projet : vous étendez votre linge ou regardez par la fenêtre, et vous voyez le jardin du voisin, vous décidez de faire le vôtre et c’est comme ça que ça se propage” nous explique Shekha.
Un concept qui s’étend et se perfectionne
Après le tremblement de terre de 2015 et l’effondrement de nombreuses habitations, beaucoup d’individus sont devenus réticents à ajouter du poids sur leur toit. Pour autant, cela n’a pas constitué un frein au développement du rooftop gardening : il a seulement fallu repenser certaines installations et apaiser les craintes.
Durant les ateliers d’apprentissage, il est expliqué comment organiser les plantations le long des murs porteurs de la maison et comment minimiser leur poids. Plusieurs organismes travaillent d’ailleurs actuellement à réduire de façon optimale le poids des pots. On pense par exemple à la technique du « jardin à l’envers » qui consiste à faire pousser deux plantes dans un seul pot en suspension percé, l’une vers le haut et l’autre vers le bas. Des structures légères en bambou permettent également de multiplier les plantations sur un même espace à plusieurs niveaux. Aujourd’hui, l’initiative atteint un tel succès que beaucoup de constructions et de reconstructions d’habitations sont désormais pensées afin de permettre la mise en place d’un jardin sur le toit, avec une inclination réfléchie en fonction de l’ensoleillement.
Loin d’être un privilège de riches au Népal, l’agriculture biologique, telle que pratiquée sur les toits de Katmandou, constitue une réponse efficace aux problèmes récurrents d’insécurité alimentaire dont souffre le Népal. Reste à la rendre plus inclusive pour qu’elle bénéficie à toutes les catégories de population : un premier pas pourrait être son introduction au sein des écoles, pour l’effet prolifère qu’elle induit.
Merci à Elina Fronty pour son témoignage et son retour d’expérience.