« Fainéants », « profiteurs », « bons à rien », « has been » … C’est ainsi que sont souvent stigmatisées les personnes en situation de chômage longue durée. « Les Parasites » est un documentaire de 26 minutes politiquement incorrect réalisé par Patrick Séverin. Il lance le débat en invitant 8 chômeurs belges à prendre la parole sans tabous suite à l’annonce par le gouvernement Di Rupo de leur exclusion et de l’arrêt du versement de leurs allocations, décision entrée en vigueur en janvier 2015.
27 000 belges exclus
La Belgique vient ainsi de renoncer à un idéal de société, puisqu’elle était le seul pays européen à octroyer les allocations chômage pratiquement à vie pour les personnes en situation particulière ne pouvant pas s’insérer en société. Celles-ci sont désormais limitées à 3 ans, exception faite pour les personnes handicapées. Une décision populiste qui plongera quelques milliers de personnes plus profondément dans l’exclusion et qui tente de camoufler les véritables causes de l’endettement du pays.
Le gouvernement Di Rupo de l’époque (socialiste) s’était engagé à sortir 380 000 personnes de la pauvreté à l’horizon 2020. Près de 27 000 belges viennent d’être exclus du chômage et jetés dans la précarité depuis le début de l’année, et des milliers d’autres sont sur le point de subir le même sort. Qui sont donc ces « parasites » sans visage dont l’État belge cherche à se débarrasser, transférant cette charge à d’autres organismes comme les CPAS ?
Un mois avant leur « suppression » , ces chômeurs, souvent contraints à l’anonymat, ont pris la parole afin d’exprimer leurs perceptions sur la société et les allocations dont ils bénéficiaient jusqu’alors. À visage caché, ils détaillent leur rapport au travail et comment ils envisagent désormais l’avenir. C’est sans détour qu’ils assument leur résistance et leur refus farouche de se soumettre à un système jugé absurde, à cette machine à broyer qu’est le marché de l’emploi.
20% de budget pour rembourser la dette
L’État espère, par cette mesure, économiser 8,7 millions d’euros. Une somme dérisoire au regard du pays puisqu’elle ne représente que 0,1% de ses dépenses, contre, par exemple, 8% d’évitement fiscal des sociétés ; sans parler de l’évasion fiscale difficile à chiffrer mais particulièrement élevée. Dans le même temps, la dette publique de la Belgique s’élève en janvier 2015 à 387 milliards d’euros. Le gouvernement consacre 20% de son budget à la rembourser. Il existe pourtant d’autres moyens de renflouer les caisses de l’État, des caisses qui furent vidées afin de venir en aide aux banques et aux investisseurs ruinés par leurs spéculations après la crise de 2008.
La Belgique s’aligne ainsi sur les directives européennes, plutôt à droite, appelant à une politique d’austérité qui affecte directement les populations les plus fragiles (jeunes, personnes âgées, femmes…) et les allocataires jugés inutiles et parasitaires. L’exclusion permet, en effet, de fausser les chiffres du chômage en créant l’illusion d’une baisse des demandeurs d’emploi alors que la crise économique met au chômage des centaines de milliers de personnes pour des dizaines de milliers d’emplois perdus chaque année. Ainsi, les statistiques sont nettoyées. Une forme de social-washing (en référence au green-washing).
Jusqu’à 36 demandeurs pour 1 travail libre
En Belgique, la réalité parle d’elle même : il y a 10 fois plus de demandeurs d’emploi que de postes à pourvoir (à Bruxelles, on compte même jusqu’à 36 demandeurs d’emploi pour une seule offre). On exige donc des chômeurs qu’ils trouvent un emploi qui n’existe pas, et on les punit de ne pas y parvenir, alors même que la responsabilité revient à ceux censés relancer l’économie. On cherche ainsi à opposer travailleurs et chômeurs qui sont en vérité victimes de la même pression du marché du travail, conditionnés à la course au CDI, compétition permettant aux employeurs de baisser les salaires et les conditions de travail. En d’autres termes, cette situation déséquilibrée est profitable aux entreprises.
De l’autre coté du miroir, la population active qui voue la majorité de leur temps de vie au travail (refus de partager oblige) stigmatise le chômeur. Colère, frustration et même jalousie sont souvent ressenties face aux chômeurs qui semblent « se la couler douce » et profiter d’une vie libre. Pourtant, le chômage à perpétuité est une condamnation plus qu’une chance. Privés d’emploi, vivant avec le minimum vital, les chômeurs belges se voient même interdit le bénévolat pour lequel ils doivent obtenir une dérogation afin de pouvoir se rendre utile à la communauté. On contraint le chômeur à l’inactivité en attendant sa soumission légalisée. Le monde à l’envers.
Du visionnage de ce documentaire s’imposent quelques questions cruciales : Les chômeurs épanouis et investis au quotidien ne peuvent-ils pas être aussi utiles et moins coûteux à la société que les salariés soumis à la pression et poussés au burn-out pour un salaire à peine plus élevé que l’allocation chômage ? Peut-on être actif et produire des richesses en-dehors de l’emploi (mamans, bénévoles, artistes,…) ? Ne pourrait-on pas imaginer une allocation universelle de base garantissant à chacun le droit fondamental à une vie décente tout en diminuant la consommation des ressources planétaires ? Pourquoi créer ses projets indépendants (lourdement taxé en Belgique) est-il toujours aussi complexe à l’heure actuelle ? Perdre sa vie à la gagner quand c’est au profit de multinationales destructrices est-il forcément une bonne chose ?
Ce reportage nous offre un point de vue inédit sur ces vies qui valent autant la peine que les autres et nous questionne : qui sont les vrais parasites du « système » ? N’est-il pas temps de remettre l’humain au cœur de l’économie ?
Sources : stop632.be / lavenir.net (2) / dhnet.be / chengetheworld.be / trends.levif.be / Photos : STOP Art. 63§2