Depuis plusieurs mois, la macronie et une bonne partie des médias s’amusent à mettre sur un même plan l’extrême droite et l’extrême gauche. Ils jouent ainsi avec le feu en créant ce confusionnisme entre deux tendances politiques qui n’ont historiquement et idéologiquement rien en commun.
Comme expliqué dans un précédent article, qualifier d’extrémistes toutes les oppositions au gouvernement est bien commode pour tenter de faire croire à tout le monde que seul leur projet serait « raisonnable ». Bien souvent, les libéraux ne s’encombrent même plus à traiter des deux courants séparément, mais se contentent de les regrouper sous une désignation unique.
Extrême par rapport à quoi ?
Il convient d’abord de rappeler que les termes « gauche » et « droite » renvoient à l’origine au placement des représentants du peuple dans l’Assemblée nationale ; les premiers étant opposés à la monarchie et les seconds favorables. Lorsque l’on parle d’extrême gauche ou d’extrême droite, on évoquait donc, à la base, les individus ayant les avis les plus tranchés à ce sujet. Évidemment, avec le temps, il n’a plus simplement été question de royalisme et de nombreuses problématiques socio-économiques se sont invitées dans le débat.
On a ensuite fait comme si naturellement, les idées situées à mi-chemin entre ces deux courants étaient nécessairement les plus raisonnables et les plus modérées. Cette logique est cependant fallacieuse puisqu’elle place les avis les plus éloignés comme étant aussi mauvais l’un que l’autre.
Or, ce n’est absolument pas une fatalité. Si l’on confronte par exemple le racisme à l’antiracisme, ce que l’on trouvera à équidistance entre les deux, c’est une tendance molle, complaisante avec des opinions dangereuses. Dans cet exemple, on constate pourtant bien que le point de vue le plus moralement acceptable est de se positionner radicalement d’un unique côté. Se revendiquer systématiquement d’un « entre-deux » centriste n’est donc pas forcément le plus pertinent dans chaque situation.
C’est d’autant plus vrai que ce que l’on définit comme « le centre » dépend totalement de l’époque, du pays ou de la culture. Il y a plusieurs siècles, s’opposer à la monarchie en France était, par exemple, une pensée extrémiste, aujourd’hui c’est l’inverse.
Qu’est-ce que l’extrême gauche ?
S’intéresser de plus près à ce que l’on qualifie « d’extrême gauche » permet rapidement de constater qu’il existe une multitude de courants et de mouvements avec des méthodes et des idées divergentes. Mais que l’on parle de marxisme, de léninisme, de communisme ou d’anarchisme, on peut tout de même établir un socle commun.
Ainsi l’extrême gauche se caractérise en premier lieu par son rejet du capitalisme et de l’économie de marché. Elle aspire, de plus à l’égalité entre les individus. Enfin, elle prône l’abolition du salariat et de la propriété privée lucrative et souhaite une socialisation des moyens de production. Même si certains de ses mouvements comme le NPA ou Lutte Ouvrière participent à des scrutins, ils n’y voient là qu’une façon d’obtenir une tribune médiatique.
À la lumière de ces définitions, on peut écarter du champ de l’extrême gauche : le stalinisme, ou d’autres États se réclamant aujourd’hui du communisme, comme la Chine ou la Corée du Nord, souvent brandis comme arguments massue par la droite. On peut voir, au contraire, dans ces États, une instrumentalisation et un détournement complet des idées d’extrême gauche pour créer des régimes autoritaires à l’exact opposé des théories d’origine.
Il n’est, par ailleurs, pas anodin de noter que l’on peut donc sans aucun doute exclure de l’extrême gauche : la France Insoumise, le Parti communiste français et l’ensemble de la NUPES. Ces partis ne proposent en effet rien de tout ce qui est énoncé plus haut et s’inscrivent, à l’inverse, dans la frange historique d’une gauche traditionnelle et réformiste que l’on appelait jadis la social-démocratie (terme qui est aujourd’hui devenu plus péjoratif et que l’on associe communément au social-libéralisme).
On l’aura bien compris, si certains médias ou politiciens classent ces mouvements à l’extrême gauche, c’est uniquement dans le but d’écorner leur image en se fondant sur l’idée que tout ce qui est « extrême » est excessif et insensé. Et pourtant, on pourrait tout aussi bien s’interroger sur le caractère déraisonnable du capitalisme et du néolibéralisme…
Qu’est-ce que l’extrême droite
Comme son antagoniste de gauche, l’extrême droite comporte une multitude de mouvements qui ont parfois des stratégies bien différentes. L’Histoire a certes surtout retenu le nazisme et le fascisme, mais il en existe beaucoup d’autres. On peut citer par exemple le suprématisme, l’intégrisme, le royalisme ou encore toutes les formes de nationalisme.
Naturellement, ces mouvements partagent de nombreuses valeurs communes. La première d’entre elles est bien sûr l’exacerbation du sentiment national et la xénophobie. Mais ils se fondent également sur le racisme, le passéisme, le refus du changement, le complotisme et la restriction des libertés individuelles.
Si certains réclament tout simplement le retour de la monarchie, d’autres comme le Rassemblement National ou Reconquête participent au jeu électoral. Sur le plan économique, certains peuvent user d’un vernis social pour attirer les votants ; il s’agit d’ailleurs d’une vieille stratégie déjà utilisée par les fascistes en Italie.
Des buts et des modes d’action bien différents
Le rapprochement opéré par les libéraux entre ces deux pôles opposés se fonde essentiellement sur une thématique majeure, celle de la violence. Dans les deux camps, on trouverait donc des éléments qui mettraient en danger la République et qui menaceraient l’intégrité des personnes.
Et c’est vrai, on a pu assister à des coups de force à l’extrême gauche comme à l’extrême droite. Mais là encore, elles sont de nature totalement différente. Dans le premier cas, on parle d’une révolte contre l’ordre établi et les violences ont souvent été menées en réponse à celle de l’État que l’on qualifie de « légitimes », notamment par le biais de la police. On songe particulièrement aux anarchistes qui ont été persécutés pendant des décennies. Ils ont ensuite choisi de répondre à cette persécution par le terrorisme.
Le but de l’extrême gauche est donc de faire advenir un monde plus égalitaire et plus démocratique, débarrassé du capitalisme. Elle pense profondément qu’on ne peut pas combattre le système en respectant ses règles (les élections). Il n’y a alors pas de brutalité contre les individus en tant que tels, mais contre l’oppression du capitalisme et de ses représentants.
En réalité, les médias parlent d’ailleurs souvent de violences alors qu’il est seulement question de dégradations ou de destructions de biens. On ne peut décemment pas comparer des feux de poubelles ou des vitrines de banques cassées à un passage un tabac d’une personne pour sa couleur de peau ou son orientation sexuelle.
Car il s’agit bien là du genre de violences que commet l’extrême droite. Au contraire de l’extrême gauche, elle ne combat ni le capitalisme ni l’ordre établi. Les sévices qu’elle perpétue sont dirigés contre des individus en raison de ce qu’ils sont ou de ce qu’ils pensent, et ce par pure intolérance idéologique.
Un rapport de force complètement déséquilibré
Maintenant que les contours de ces courants sont définis plus précisément, il est impossible de ne pas noter que l’un d’entre eux émerge très nettement en France et dans le monde, tandis que l’autre existe de façon très confidentielle.
Avec le Rassemblement National, l’extrême droite a en effet pignon sur rue et mobilise aujourd’hui des millions d’électeurs et de sympathisants. La situation est d’autant plus inquiétante qu’on peut y ajouter des mouvements comme Reconquête, l’Action Française, Debout la France, Les Patriotes et même une bonne partie des Républicains incarnée par le très droitier Éric Ciotti. Ces idées rejaillissent d’ailleurs jusqu’au sein du gouvernement, en particulier par le biais du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
À l’inverse, l’extrême gauche semble, quant à elle, dans une position de grande faiblesse. Bien qu’elle ne soit pas électoraliste, elle n’a même pas réussi à réunir 2 % de votants lors des dernières présidentielles. Quoi que l’on pense des théories qu’elle porte, elle n’est donc pas en mesure de peser de façon significative sur le débat public. Mais on l’avait compris, le but du gouvernement était surtout d’y associer improprement l’intégralité de la gauche afin de la décrédibiliser. Et pour certains, cette vieille technique semble encore fonctionner.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Philippe Poutou. Flickr