Alors que les projecteurs du monde se détournent, le Moyen-Orient s’asphyxie dans le silence. Derrière les discours de stabilité et de modernisation, s’étendent des crises humaines étouffées : répression politique, effondrement social, exécutions massives et guerres sans fin.

Après avoir exploré dans un précédent article les drames qui secouent Gaza, le Yémen et l’Afghanistan, trois foyers emblématiques d’un effondrement humain et politique, il est temps de braquer la lumière sur d’autres pays au cœur du Moyen-Orient, où les droits humains s’effacent dans l’indifférence des puissances qui prétendent défendre la liberté.

Ces tragédies forment un même tableau : celui d’un ordre régional fragmenté, dominé par la violence et l’impunité. Israël, puissance militaire soutenue par les États-Unis, joue un rôle central dans nombre de ces drames – de la Palestine au Liban, en passant par la Syrie – pendant que les régimes autoritaires renforcent leur emprise au nom de la « sécurité » et du « progrès ». Dans cet entrelacs d’intérêts, d’occupations et de résistances, ce sont toujours les populations civiles qui paient le prix du silence international.

Liban : naufrage d’un pays épuisé

Le Liban s’enfonce dans une crise multiforme qui conjugue effondrement économique (un des plus graves au monde depuis les années 1850), paralysie institutionnelle, tensions géopolitiques et violations graves des droits humains. Environ 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 28 % avant la crise économique de 2019.

En 2023, 2,5 millions de personnes – dont 700 000 enfants – avaient déjà besoin d’une aide humanitaire. La même année, plus de 26 % des ménages déclaraient que leurs enfants n’étaient plus scolarisés. Plus de 16 % des familles envoient leurs enfants travailler. Au moins 250 000 libanais·es, principalement des jeunes diplômé·es, ont quitté le pays durant ces cinq dernières années. La crise économique a entraîné une augmentation des violences faites aux femmes.

Les infrastructures publiques sont à l’agonie : système de santé au bord du gouffre, pénuries massives de médicaments, écoles en sous-effectifs, coupures d’électricité récurrentes… L’explosion du port de Beyrouth en août 2020 reste un symbole puissant de cet effondrement ; cinq ans après, aucune justice véritable n’a été rendue selon Humans Right Watch.

La crise sociale se double d’un vide institutionnel, d’une corruption endémique et d’une érosion accélérée des libertés publiques. Les réfugié·es syrien·nes sont victimes de détentions arbitraires, de tortures et d’expulsions forcées.

L’armée israélienne, soutenue par les États-Unis, mène une escalade militaire au sud du Liban depuis 2023, saccageant des villages, occupant cinq positions sur les hauteurs frontalières et imposant un « zone tampon » qui empêche le retour de dizaines de milliers d’habitants. Des frappes israéliennes quasi-quotidiennes se sont poursuivies malgré un cessez-le-feu signé avec le Hezbollah en 2024.

🔴 [MAJ 19 novembre 2025 : Au moins 13 personnes sont mortes le mardi 18 novembre suite à une frappe israélienne sur un camp de réfugiés palestiniens.]

« La destruction massive et délibérée par l’armée israélienne de terres agricoles et de biens civils dans le sud du Liban doit faire l’objet d’une enquête pour crimes de guerre » – Amnesty International

Le FINUL (Force intérimaire des Nations unies au Liban), déployée depuis 1978 pour stabiliser la zone, voit son mandat prolongé pour la dernière fois avant un retrait prévu fin 2027, sous la pression combinée d’Israël et des États-Unis.

Syrie : effondrement, recomposition et fractures ouvertes

Quatorze ans après le déclenchement d’une guerre civile d’une violence inouïe, la chute du régime de Bachar al-Assad en décembre 2024 a ouvert une période de transition chaotique. Environ 16,5 millions de Syrien·nes – dont 7,4 millions d’enfants – ont encore besoin d’une aide humanitaire. Il s’agit d’une des plus grandes crises de déplacement au monde avec plus de 6 millions de réfugié·es à l’étranger et au moins 7 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays. 80 % des infrastructures du pays sont détruites.

Les minorités ethniques et religieuses (notamment les communautés kurde, alaouite, druze et chrétienne) continuent d’être persécutées. En juillet 2025, Amnesty International a documenté les enlèvements d’au moins 36 femmes et filles (âgées de 3 à 40 ans) de la communauté alaouite.

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Dans ce contexte, Israël a largement exploité la chute du régime Assad. Les forces israéliennes contrôlent depuis une zone tampon démilitarisée de 400 km² à l’intérieur de la Syrie. Tsahal a établi neuf postes militaires en territoire syrien et a mené des centaines de bombardements sur la Syrie depuis décembre 2024, notamment dans le sud du Damas cet automne. Israël occupe également toujours le plateau du Golan, annexé en violation du droit international après la guerre des Six Jours (1967).

Le territoire syrien est ainsi divisé : des zones sous contrôle du nouveau gouvernement officiel, des régions autonomes kurdes au nord-est, des espaces d’influence étrangère et des zones d’occupation étrangère.

Le 13 octobre 2025, les Kurdes syriens sont parvenus à trouver un « accord de principe » avec Damas pour intégrer leurs troupes au sein des forces de sécurité syriennes, dans un contexte sécuritaire toujours miné par les attaques des groupes islamistes armés. Si cet accord marque une tentative d’apaisement, il ne suffit pas à stabiliser un pays où la résurgence de Daech demeure une menace constante.

 

Bien que l’État islamique ait perdu son « califat » territorial, des cellules djihadistes dormantes continuent d’opérer dans plusieurs zones du nord et de l’est du pays. Les conditions de misère, l’absence d’État de droit et les tensions communautaires nourrissent ce terrain propice à la reconstitution de foyers extrémistes. Les institutions demeurent extrêmement fragiles. Selon Najat Rochdi, une des principales responsables de l’ONU sur le dossier syrien :

« La Syrie demeure au bord de l’asphyxie »

D’après elle, l’absence des femmes dans les institutions « freine la reconstruction politique », et ce malgré leurs sacrifices immenses pour maintenir la société debout. Cette marginalisation n’est pas nouvelle. L’histoire des guerres, comme celle des reconstructions, tend à effacer le rôle des femmes, réduisant à l’ombre celles qui fait tenir debout des communautés entières pendant que les bombes tombaient, puis qu’on a oubliées dès que les hommes sont revenus écrire l’histoire.

Au cœur du chaos syrien, les femmes kurdes incarnent avec force cette mémoire occultée. Elles ont été en première ligne contre les djihadistes, payant un lourd tribut dans la lutte contre l’État islamique. Leur engagement, à la fois militaire et émancipateur, a contribué à la chute du « califat », sans pour autant trouver la reconnaissance qu’il mérite. Aujourd’hui encore, leur combat rappelle une évidence trop souvent ignorée : aucune reconstruction durable ne peut se faire en effaçant la moitié du peuple.

Cisjordanie : colonisation, impunité et vie sous occupation

Occupée par Israël depuis 1967, la Cisjordanie subit une violente répression qui s’est intensifiée ces deux dernières années dans un climat d’impunité totale. Depuis le 7 octobre 2023, la violence des colons et de l’armée israélienne s’est accrue de manière spectaculaire.

Selon l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), plus de 1 000 Palestinien·nes – dont environ 200 enfants – ont été tué·es dans le territoire depuis cette date. Des dizaines de villages palestiniens ont été vidés de leurs habitants sous la menace directe des colons ou à la suite de démolitions ordonnées par l’armée.

Selon Oxfam, l’expansion des colonies israéliennes atteint aujourd’hui un niveau sans précédent : plus de 700 000 colons vivent en Cisjordanie – dans des implantations toutes illégales au regard du droit international – et se livrent quasi-quotidiennement à des exactions contre les Palestinien·nes (molition de maisons, villages brûlés, harcèlement, violences physiques, meurtres…) avec la protection de l’armée israélienne.

Le 22 octobre 2025, le Parlement israélien a approuvé en lecture préliminaire des projets de loi d’extrême droite visant à annexer purement et simplement le territoire, où vivent 3,4 millions de Palestinien·nes privé·es de tout droit politique effectif.

Iran : répression sanglante et effondrement des droits fondamentaux

L’Iran traverse une période d’autoritarisme renforcé après les grandes mobilisations de 2022 sous le slogan Femme, Vie, Liberté, suite à la mort de Mahsa Amini. Des centaines de personnes ont été exécutées cette année-là et 15 000 arrêtées. En mars 2023, Mr Mondialisation publiait un article sur le peuple iranien en quête d’une révolution inachevée.

Et la situation n’a cessé d’empirer depuis. L’espace civique est pratiquement inexistant : la liberté d’expression, les médias, les organisations de la société civile et les mouvements de femmes sont étroitement surveillés et réprimés. Depuis début 2025, la répression contre les femmes et les filles, mais aussi les défenseur·es des droits des femmes s’est globalement intensifiée : arrestations arbitraires, violences physiques, poursuites judiciaires iniques, exécutions…

Selon Amnesty International, plus de 1 000 personnes ont été exécutées depuis le début de l’année, taux le plus élevé depuis au moins 15 ans. La peine de mort comme instrument de répression pour écraser tout potentielle contestation est devenue systématique depuis 2022. Les minorités religieuses et ethniques sont aussi lourdement ciblées, en particulier les minorités kurdes et baloutches, dans une indifférence internationale grandissante.

Le 3 avril 2025, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a prolongé et élargi le mandat de la mission d’enquête internationale sur l’Iran pour documenter et conserver des preuves des violations des droits humains en vue de poursuites futures.

L’escalade militaire entre l’Iran et Israël a contribué à cette nouvelle phase d’instabilité. En juin 2025, des frappes israéliennes massives ont visé notamment des sites militaires et nucléaires iraniens, mais aussi des infrastructures civiles (causant 224 morts et plus de 2 500 blessés, dont 90 % de civils). L’Iran a répliqué, frappant à son tour des infrastructures civiles en Israël. Cette confrontation, l’une des plus graves entre les deux pays, a aggravé la crise humanitaire et renforcé le discours sécuritaire du régime, qui instrumentalise la guerre pour justifier la répression intérieure et resserrer son contrôle sur la population.

Irak : stabilité trompeuse, oppression persistante et marges laissées à l’effondrement

Vingt ans après l’invasion américaine de 2003, l’Irak peine encore à se relever des conséquences d’une guerre qui a désintégré ses institutions et fracturé sa société. La chute du régime de Saddam Hussein, l’occupation militaire et la politique de débasification ont plongé le pays dans un vide politique – une cause majeure de l’émergence de l’État islamique.

L’Irak affiche une apparente stabilité après la lutte contre Daech, mais les défis restent massifs : un appareil d’État affaibli, des milices omniprésentes, une justice paralysée et une crise humanitaire persistante avec plus d’un million de personnes toujours déplacées (dont près de 150 000 vivent dans des camps ouverts). Les besoins humanitaires demeurent élevés. Selon Amnesty International, l’impunité demeure la règle pour les violations commises pendant et après les opérations militaires contre l’État islamique : des milliers de disparitions forcées restent non élucidées.

La liberté d’expression et les activités de la société civile sont de plus en plus encadrées : les autorités ont multiplié les arrestations pour « contenu indécent », ont harcelé et menacé des journalistes au Kurdistan irakien et restent d’une rare lenteur dans les réparations des victimes de violences d’État.

Arabie saoudite : modernisation de façade, autoritarisme consolidé

Derrière l’image de modernisation véhiculée par le régime de Mohammed ben Salmane (MBS), l’Arabie saoudite reste l’un des États les plus autoritaires du monde. Sous couvert de réformes économiques et sociales, le pouvoir a renforcé la surveillance, la censure et la répression politique. Selon un rapport d’Amnesty International, le royaume a procédé à au moins 345 exécutions en 2024, le double par rapport à l’année précédente. Plus de cent étrangers ont aussi été exécutés depuis le début de cette année 2025. À ce propos, Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International, explique :

« L’Arabie saoudite fait partie des pays qui ont le plus recours à la peine de mort au monde. Ceux et celles qui osent défier les autorités se retrouvent face au châtiment le plus cruel qui soit, en particulier en Iran et en Arabie saoudite, où la peine de mort est utilisée pour faire taire les personnes assez courageuses pour s’exprimer. » 

Sur le plan des libertés, le système judiciaire saoudien continue de se servir de la loi antiterroriste pour museler la dissidence, tandis que les femmes, les migrant·es et les membres de la minorité chiite sont soumis à des discriminations structurelles. L’Arabie saoudite n’a aucune loi contre les discriminations. La loi maintient au contraire les femmes sous la tutelle des hommes, et inclut des dispositions qui facilitent les violences domestiques et les abus sexuels dans le cadre du mariage.

Derrière les gratte-ciels de Riyad et les promesses de « Vision 2030 », le pays repose sur un système d’exploitation extrême des travailleurs migrant·es soumis·es à des conditions proches de l’esclavage.

Elena Meilune


Photographie d’en-tête : Des femmes et des enfants parmi les réfugié·es syrien·nes en grève sur le quai de la gare de Budapest-Keleti, Hongrie. 4 septembre 2015 @ Wikimedia Commons

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