Le coronavirus nous a soudainement exposé bon nombre des erreurs que nous avons commises dans la construction de nos sociétés modernes, mais il nous donne également l’occasion de réfléchir : quelle direction voulons-nous prendre à partir de maintenant ? Cette question est particulièrement cruciale dans le secteur de l’informatique devenu omniprésent dans nos vies au point où ne n’en voyons plus les conséquences…

Dans de nombreux pays, les gens entrevoient doucement la lumière au bout du tunnel alors que la gravité de la pandémie de COVID-19 commence à s’atténuer et que les mesures d’urgence se relâchent. Mais les mouvements « post-corona » apparaissent et se multiplient dans le monde entier. Ceux-ci examinent les problèmes du passé et cherchent à fournir des solutions pour une société meilleure dans une mondialisation qui a révélé ses faiblesses au grand jour. Ces mouvements incarnent globalement une revendication mondiale d’équité sociale et de justice environnementale.

Ils communiquent en interne et en externe via des appareils numériques. De tels outils nous ont montré leur véritable potentiel dans notre vie quotidienne pendant le confinement, notamment en nous donnant la possibilité de communiquer en toutes circonstances – que nous soyons en bonne santé ou malades – avec nos proches et nos êtres chers. Aujourd’hui, plus que jamais, nous constatons à quel point les smartphones, ordinateurs portables et autres appareils électroniques sont devenus des outils quotidiens essentiels. Un paradoxe plein de compromis alors qu’ils sont eux aussi les fruits de la mondialisation et d’une exploitation majeure des ressources.

Au fil des ans, les marques des TIC (technologies de l’information et de la communication) ont réussi à créer de nouveaux besoins et à promouvoir la course au dernier modèle – pensez aux longues files d’attente devant les magasins du monde entier en attente du dernier iPhone. Heureusement pour les entreprises, ces stratégies de marketing nous ont distraits des implications liées à leurs chaînes d’approvisionnement mondiales, à partir de la toute première étape : l’extraction des métaux.

Statue de mineurs au camp minier de San José (Oruro, Bolivie) Silke Ronsse

À l’échelle mondiale, au cours des cinq dernières années, environ 1,4 milliard de smartphones ont été vendus chaque année dans un secteur en croissance constante. Afin de produire un seul smartphone, environ 60 éléments différents – principalement des métaux plus ou moins rares – sont utilisés. L’étain, le plomb et l’argent sont, entre autres, requis par l’industrie électronique pour ses appareils. Ces métaux doivent être extraits en grande quantité des sols, en particulier dans les pays en développement où l’industrie minière opère sans véritable régulation environnementale.

Dans la seule phase d’extraction, les impacts de l’exploitation minière sont particulièrement remarquables. L’industrie extractive cause un préjudice important aux écosystèmes – et donc aux moyens de subsistance des générations futures –  pourtant, il représente également une importante source de revenus pour les communautés vivant dans les zones minières. Triste paradoxe du développement, ces communautés sont exposées à des risques de sécurité et sanitaires continus, dus à l’utilisation de produits chimiques liée à l’extraction des métaux dont sont constitués les appareils TIC.

Sortie d’eau acide à la surface des galeries de Japo (Oruro, Bolivie). © Silke Ronsse

Un cas emblématique s’observe dans le département d’Oruro, dans le centre-ouest de la Bolivie. Comme le révèle la mission d’étude « Vers une chaîne d’approvisionnement en TIC plus équitable » par l’organisme à but non lucratif CATAPA, les impacts environnementaux des activités minières forcent les agriculteurs d’Oruro à devenir mineurs ou à migrer car leurs terres sont devenues trop polluées et arides pour y vivre. Dans un tel cas, il est difficile de calculer l’ensemble des conséquences négatives d’une telle industrie et il est pratiquement impossible de les corriger. Le rapport de la CATAPA met notamment en évidence les conditions de travail précaires des mineurs coopératifs, avec des conséquences sociales et sanitaires à long terme – dans de nombreux cas couplés d’une violation des droits humains et des droits du travail.

L’un des aspects clés que le rapport décompose est le manque de mesures de santé, de sécurité et les salaires injustes perçus par les coopératives, car ceux-ci dépendent de la quantité de minéraux qu’ils trouvent. Par exemple, les femmes travaillent le plus souvent à l’extérieur de la mine où elles brisent manuellement les roches sans savoir si celle-ci contiennent même suffisamment de minéraux pour assurer leur subsistance. Les prix des minéraux, tirés vers le bas, sont décidés par les commerçants internationaux et leurs coûts de fusion sont actualisés sur le revenu des travailleurs afin de les maintenir au strict minimum. C’est une industrie dans laquelle les travailleurs primaires jouent le rôle le plus essentiel mais le moins rémunéré de la chaîne de production.

Femme lixiviant l’étain des stériles à Machacamarca (Oruro, Bolivie) © Isabella Szukits Südwind

La Bolivie, l’un des principaux exportateurs mondiaux d’étain et d’argent, fait ainsi face à différentes implications de l’extractivisme aux niveaux social et environnemental. Les recherches menées à Oruro exposent un manque de sensibilisation et de responsabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement, en particulier en ce qui concerne les entreprises qui bénéficient du commerce des métaux de cette région. Une telle surveillance de la responsabilité de ces acheteurs internationaux de métaux ne peut être ignorée au prétexte qu’ils ne seraient que des acheteurs, car ils sont eux aussi tenus de respecter les « Lignes directrices de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. »

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Ce « devoir de diligence » est un processus continu, proactif et réactif grâce auquel les entreprises peuvent garantir le respect des Droits de l’Homme et les aider à respecter le droit international, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Également intégré dans le cadre juridique de l’UE, ce principe est un processus fondamental qui devrait être respecté à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Pourtant, ce rapport démontre qu’il n’est pas respecté par les plus gros acheteurs de zinc, de plomb et d’argent extraits du département d’Oruro : Korea Zinc (Corée du Sud), Glencore (enregistré en Suisse) et Trafigura (enregistré en Suisse; principal actionnaire de Nyrstar, Belgique). Les fonderies évitent de prendre leurs responsabilités en conservant leurs pratiques actuelles.

Fonderie d’étain Empresa Metalúrgica Vinto (Oruro, Bolivie). © Silke Ronsse

Aujourd’hui, nous sommes encore loin d’avoir une chaîne d’approvisionnement des TIC équitable et durable. Mais nous avons maintenant une chance inédite de reconstruire notre économie. Pourquoi ne pas commencer par ces produits quotidiens dont nous sommes devenus dépendants ? Osons le dire, les minéraux ne doivent plus être extraits dans des conditions qui ne respectent pas les Droits de l’Homme et du Travail ainsi que les législations environnementales, ni être commercialisés sur le marché international sans contrôle. De même, les entreprises et les marques devraient être tenues de s’engager dans des programmes internationaux pour garantir une vie décente aux communautés locales dont dépend leur profit. Mettons en œuvre et intégrons des structures de surveillance internationales au sein des Nations Unies et de l’OIT qui supervisent la responsabilité de nos entreprises et réalisent la transparence, afin que des choix conscients puissent être faits en vue d’un changement positif mondial.

Article d’opinion de l’asbl CATAPA, un mouvement social et environnemental qui travaille sur l’impact de l’exploitation minière sur les personnes et les communautés en Amérique latine et en Europe, basé sur son récent rapport: « Vers une chaîne d’approvisionnement des TIC plus équitable ». Source.


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