Erika Lernot, 34 ans, chanteuse et professeur de yoga est une jeune femme en quête d’équilibre. Après avoir fait quasiment le tour du monde et surtout vécu deux ans en Inde près d’Auroville, elle s’est finalement installée sur l’île de la Réunion. Elle a connu bien des habitats participatifs… Maxime Cortella, 28 ans, est originaire du pays du Mont Blanc. Il est masseur, paysagiste, permaculteur et coach bien être. Il partage sa vie avec Erika Lernot à la Réunion où il souhaite créer un centre de bien être communautaire axé sur le yoga, la permaculture, les thérapies naturelles et la musique. Il est lui aussi allé d’écolieu en écolieu : y aurait-il dans ces cheminements une forme de « guérison du monde », telle que l’évoque le socio-philosophe Frédéric Lenoir ? Témoignages.
Erika : « Depuis de nombreuses années, comme beaucoup, je pense que « le monde va mal ». Je menais une vie parisienne dans un trente mètres carrés, et je connaissais bien la routine… Mais grâce à la musique, j’avais mes bouffées d’oxygène. Malgré cela, je trouvais fou que les gens travaillent la majeure partie de leur temps, pour pouvoir payer leur loyer, dépenser le reste dans des biens matériels et… recommencer. Je me disais à vingt ans déjà : suis-je sur Terre pour travailler sans arrêt et passer le reste de ma vie dans les transports ou les magasins ? Pour moi, le luxe, c’est le temps. Le temps de lire mon livre, de boire mon thé, de regarder un bon film, de me promener en forêt. Mon entourage me prenait pour une folle ! Quinze ans après, la moitié de mes connaissances a fait un burn-out et me parle de ralentir. J’ai eu la chance de faire un métier qui m’a permis de voyager et j’ai rapidement décidé d’être à temps partiel. Je travaillais avec les banques, et aussi avec Visa. J’ai compris comment fonctionnait le système : l’argent, le pillage organisé des petites gens (alors que le monde est dans une abondance telle que l’Histoire n’en a jamais connue). J’ai été choquée, je me suis sentie bête, en colère, j’ai voulu me battre… Mais comment ? J’ai alors entendu parler des autres façons de vivre, des habitats participatifs, des écolieux… Une de mes meilleures amies avait grandi à Auroville et Pondicherry. Ma décision était prise. En six mois j’ai préparé mon départ pour Auroville, La ville de la nouvelle Aurore. Les gens me disaient : « tu as du courage pour partir ! » et je leur répondais : « mais non, c’est vous qui avez du courage de rester ! »
Après deux ans passés à Auroville et quelques mois en France, je suis partie en ‘road trip’ en Afrique du Sud. On m’avait dit que toute la région du Western Cape avait l’esprit d’Auroville. Je ne savais pas à quoi m’attendre, et c’était bien le cas ! Là-bas, je me suis fait héberger quasiment partout. C’était la première fois que je vivais ainsi. J’ai pu expérimenter une communauté éphémère : le Learning Clan. C’est une communauté qui se forme lors d’un festival annuel complètement « hippie » et qui reste en contact toute l’année via un réseau de monnaie parallèle basée uniquement sur l’échange de talent (Talent Exchange ) par le biais d’un site internet. C’était incroyable, une véritable communauté virtuelle qui se retrouvait régulièrement dans le réel, avec des notions d’écologie, de partage, de bienveillance, de sobriété, de spiritualité ! Je me suis beaucoup intéressée aux monnaies locales avant cela et c’était la meilleure chose que j’avais jamais vue. J’espère que cette idée se propagera comme un feu de paille…
Je n’ai pas vraiment cherché à vivre en collectif, je voulais surtout une vie plus solidaire, où les gens se connaissent vraiment. Ce mode de vie s’est imposé à moi naturellement. Je suis quelqu’un qui s’écoute beaucoup, si je sens que ça ne va pas au fond de moi, alors je change. C’est d’ailleurs pour cela que je ne suis pas devenue Aurovilienne ! (Même si c’est un endroit extraordinaire). Il existe plusieurs modèles de collectifs et des communautés plus petites aux valeurs très humaines.
Je ne pense pas que nous soyons fait pour vivre dans le modèle sociétal dans lequel nous sommes actuellement. Dans un écolieu, vous êtes comme dans les villages où tout le monde sait tout sur vous, sur ce que vous faites… Chacun peut mettre son grain de sel dans votre vie, ce n’est pas toujours facile à vivre… J’ai besoin d’être entourée de nature et l’ecolieu est alors idéal. J’adore apprendre et faire de nouvelles expériences. On apprend constamment dans un collectif : c’est une école. On explore l’autre et soi-même sans arrêt, on acquiert aussi des connaissances dans des domaines très variés. Par contre, on peut se sentir parfois observé, c’est un peu lourd.
Les objectifs des écolieux ne sont pas les mêmes. Auroville se veut une ville spirituelle, le Learning Clan cherche à « rendre le monde meilleur », le petit écolieu privé tente de créer un minuscule paradis comme un premier pas posé avant sa généralisation espérée sur Terre. Cette vie d’écolieu en écolieu est si riche et jalonnée de merveilleuses rencontres que j’ai vécu comme dans un livre. On assiste simplement à un retour aux sources, mais avec cet incroyable outil qu’est internet. Les gens ont eu besoin de se regrouper dans les villes pour être plus proches les uns des autres, mais sont restés si seuls dans les faits. On en voit maintenant les limites. Je pense que les écolieux n’auraient jamais pu avoir une telle résonance sans le web. C’est la vraie ‘noosphère’… Je peux créer mon écovillage avec des amis dans un bled perdu à la campagne tout en restant en contact avec ma famille et mes amis restés à l’extérieur de ce système. La libéralisation des moyens de transport y est aussi pour quelque chose. De plus, internet donne l’exemple et éduque : permaculture, méditation, monnaies alternatives, bienveillance et compassion… Ce qui paraissait obscur il y a quelques années a été démocratisé grâce au web. Je suis sûre que ces lieux vont rendre le monde meilleur, car ils véhiculent le message d’un autre système possible, axé sur l’Amour et le partage et non pas sur la peur. »
Maxime nous éclaire à son tour sur ces écolieux : « La première fois que j’ai entendu parler d’Auroville, c’était par mon grand-père. Il faisait partie de la seconde caravane à s’y rendre par la route en 1974 ! Grande aventure de partir avec sa femme et leurs deux enfants en Inde du Sud à bord d’un bus et au sein d’une caravane de cinq véhicules (en tout 70 personnes) ! Ils ont voyagé à travers toute l’Europe de l’Est, la Turquie, l’Afghanistan, le Pakistan et toute l’Inde… C’est donc en 2017 que je me suis rendu à mon tour à Auroville, en vue de faire du volontariat dans des fermes en permaculture. Je souhaitais affiner mes connaissances en agriculture tropicale. Alors bien sûr, on y rencontre des gens ‘ultra perchés’, mais on rencontre surtout des gens géniaux. Heureusement, je me voyais mal finir dans un ashram à psalmodier des heures durant. Mon truc c’est plutôt le sport, la danse, la musique, l’Art dans tous ses états, la plage évidemment, les massages, le yoga, les bons repas arrosés… On trouve tout cela à Auroville et plus encore ! Cette communauté est une fourmilière d’inventions et de nouveautés en tout genre, c’est un véritable laboratoire humain, un lieu extraordinaire pour s’épanouir dans n’importe quelle activité disponible sur place… Et il y a vraiment l’embarras du choix. Mais ne vous attendez pas à quelque chose de ‘roots’ avec des traditions authentiques, si c’est le cas alors vous vous êtes trompés de lieux. Je vous conseille plutôt d’aller vous intégrer dans une communauté rurale au fin fond de n’importe quel pays.
Sadhana Forest est une communauté à part d’Auroville, focalisée sur la reforestation, avec son propre fonctionnement et ses règles strictes en plus des règles d’Auroville. Bref le paradis des ‘Végan’ adeptes de la non-violence. Un jour, je me suis fait sermonner parce que je jetais des boulettes de glaise vaseuse sur des copains à la ‘mud pool’ (piscine naturelle d’argile). Mon geste a été qualifié ‘d’attitude à caractère violent pouvant heurter la béatitude de mes camarades’ ! Mis à part ce petit écart, je me suis très bien intégré à tel point qu’ils ne voulaient plus que je parte. Mais bon, les règles étant ce qu’elles sont et comme je suis ce que je suis, c’est-à-dire un transgresseur de règles, mon union avec Sadhana Forest n’a pas pu se pérenniser dans la plénitude. J’en garde quand même un très bon souvenir et encourage les parents ne sachant plus comment faire avec leurs enfants à les envoyer replanter des arbres avec Sadhana ! Un lieu pour l’Utopie spécialisé dans l’accueil des personnes en situation sociale difficile, c’est aussi une résidence d’artistes et qui intègre les personnes ayant des projets altruistes à développer. Leur financement est intégralement basé sur l’activité agricole de la ferme qui est le support de l’association. Voici encore un très beau lieu avec de beaux projets et la possibilité de faire du volontariat et du woofing.
Ah Rainbow Gathering, les communautés éphémères ! Le nec plus ultra du communautarisme, les avantages sans les inconvénients : entraide, partage, convivialité, jeux collectif, chants, musique, cuisine partagée… Je ne sais pas si vous avez lu Les enfants de la terre de Jean M. Auel, mais ce type de projet me rappelle les rassemblement annuels des clans de la préhistoire décrits dans cette saga. Danse tribale, chamanisme, substances hallucinogènes, Amour libre, bref le rêve du hippie moderne… L’esprit d’un lieu ou l’âme d’un lieu font toute la différence et donc par corrélation l’état d’esprit des résidents permanents joue beaucoup. Ces écolieux sont tous uniques par définition, mais je pense qu’il y a des courants de pensée que l’on retrouve un peu partout comme l’écologie, le recyclage, l’amour de l’art, la permaculture, le vivre ensemble, le développement personnel, les thérapies naturelles, la recherche. Leurs plus grandes différences reposent sur les activités qui les soutiennent financièrement et l’idéal commun prôné par les fondateurs.
Je pense que notre système sociétal nous individualise et nous renferme dans notre coquille en nous rendant méfiant de notre voisin. La solution est donc d’apprendre à vivre ensemble à nouveau en partageant des lieux de vie, des activités, des repas, des jeux, des ‘séva’ (terme sanskrit qui signifie : service désintéressé indispensable au bon fonctionnement de la communauté, c’est en somme du travail bénévole).
Je suis allé d’un habitat participatif à l’autre pour chercher le modèle qui me convenait le mieux. Hippie, anarchiste, spirituel ? Il y a pléthore de styles de vie alternatif. Il faut chercher celui qui nous correspond. J’ai pu me faire des contacts partout dans le monde et j’ai désormais des amis au Guatemala, au Sénégal, en Inde, en Afrique du sud et dans toute la France. Les avantages de mon cheminement et de ce choix sont faciles à deviner : évolution personnelle, partage de connaissances, émulation de groupe, fraternité, entraide, liens qui se tissent grâce aux affinités. Les inconvénients se résument par le besoin de solitude à certains moments et qui est difficile à combler ainsi que les interactions indispensables et régulières avec des personnes que l’on apprécie peu (mais ça, c’est comme avec les collègues de travail !). Quant au mode de vie, c’est vrai, il est parfois spartiate. La vie en collectivité est fondamentale. Les lois qui protègent les peuples sont indispensables. Le problème aujourd’hui est que les pays qui protègent véritablement leur peuple se comptent sur les doigts d’une main. La plupart des gouvernements ne cherchent qu’à être réélus et à satisfaire les lobbys au détriment du bonheur des citoyens et de la santé des écosystèmes. C’est pour cela que beaucoup de gens ne croient plus en la collectivité et se réfugient dans le communautarisme. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Je n’en sais rien. Le plus important est de ne pas nuire à autrui et de suivre ce que notre cœur nous murmure.
Ce que je voudrais que les gens fassent, c’est qu’ils écoutent leur enfant intérieur. Pourquoi abandonne-t-on nos rêves d’enfant ? À cause du formatage de l’éducation nationale ? Du quand dira-t-on, de nos amis, nos parents ? Pourquoi ne pas nous souvenir de la période où nous étions encore insouciants et purs ? Que voulions nous vraiment lorsque nous étions enfants ? Nous voulions être heureux, que les gens soient heureux, nous voulions que les animaux, les poissons et les oiseaux soient libres, nous voulions que les forêts continuent de croître. Nous étions tous des écologistes, des humanistes, des défenseurs des droits des animaux, des arbres, des océans et des plus démunis. Mais nous l’avons oublié. Parfois cela nous arrive d’y penser avec nostalgie mais on se dit que ce n’était qu’un rêve d’enfant. Moi je pense que c’est notre mission, c’est la raison de notre présence sur Terre. Nombreux sont ceux qui se demandent quelle est la place de l’Homme dans l’Univers. En mon fort intérieur et pour moi-même j’ai trouvé une réponse qui me va : nous sommes ici pour préserver la VIE et la perpétuer. C’est aussi simple que cela ! Peut-être que cette simplicité enfantine est la raison qui pousse les hommes à faire tout le contraire… »
Aurélie Olivier
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