À l’ombre de la covid-19, d’autres maladies dont on parle moins se répandent en France, menaçant les animaux d’élevage notamment. Si l’épidémie de grippe aviaire connaît un recul, c’est la tuberculose bovine qui s’est propagée dans plusieurs élevages français. Outre l’abattage de plusieurs centaines de vaches, cette épidémie peu médiatique fait craindre des dégâts importants parmi la faune sauvage. Avec la bénédiction des autorités sanitaires, de nombreux sangliers, blaireaux et renards sont abattus chaque année par les chasseurs dans le but officiel de contrer les épidémies de tuberculose bovine. Les rapports scientifiques remettent pourtant en question le rôle de ces animaux dans la propagation de la maladie…

La pandémie de la covid-19 aura permis d’établir une certitude : pour prévenir les prochaines épidémies, la sortie de l’élevage industriel intensif est indispensable. Le nombre énorme d’animaux élevés en ultra-confinement, leur variabilité génétique très pauvre et leur croissance rapide sont en effet les conditions idéales pour l’émergence et la propagation de nouveaux pathogènes. L’élevage intensif et la déforestation, directement liée à la production de viande, constituent ainsi deux causes clairement identifiées de la propagation des zoonoses. Ces maladies infectieuses des animaux vertébrés transmissibles à l’être humain sont aujourd’hui l’une des principales sources de maladies émergentes, avec 75 % des nouveaux agents pathogènes provenant des animaux ou des produits animaux.

Les abattages préventifs, une pratique largement répandue

Plusieurs zoonoses font chaque année leur apparition dans les élevages de France. C’est notamment le cas de la grippe aviaire, qui sévit dans le Sud-Ouest depuis novembre 2020. Si l’épidémie est aujourd’hui maîtrisée, ce recul aura nécessité l’abattage préventif de plus de deux millions de canards… Outre les volailles, ce sont aussi les bovins qui sont sujets aux zoonoses, comme la tuberculose bovine. De vastes campagnes de prophylaxie sont ainsi régulièrement menées dans certaines régions, afin de détecter des foyers de contamination de cette maladie.

Plusieurs foyers de tuberculose bovine ont récemment été détectés en France.

Fin février, plusieurs cas ont été recensés dans le Calvados et dans la Manche. La Dordogne est également particulièrement touchée, avec 13 foyers détectés dans la région. L’année passée, c’est 25 foyers qui avaient été dépistés dans cette même zone, et plus de 550 bovins avaient été abattus. Si aucune transmission à l’homme n’a été décelée depuis une dizaine d’années et que les bovins eux-mêmes ne succombent que très rarement de la maladie, la tuberculose reste une maladie extrêmement contagieuse. Les autorités sanitaires restent donc vigilantes à une potentielle flambée de l’épidémie, et des centaines de vaches pourraient, cette année encore, être abattues à titre préventif.

La faune sauvage ciblée pour contrer l’épidémie

Sollicitée par un quotidien local, la DDPP (Direction départementale de la protection des populations, ex-Direction des services vétérinaires) précise que « la maladie se transmet le plus souvent par voie respiratoire, même si la voie digestive peut exister également. Enfin, la bactérie peut être résistante plusieurs mois dans l’environnement dans certaines conditions ». La contamination peut ainsi provenir d’animaux achetés dans d’autres élevages mais aussi de la faune sauvage.

Pour cette dernière raison, les épidémies de ce type donnent traditionnellement lieu à l’abattage massif de blaireaux, sangliers et renards par les chasseurs des régions touchées. En novembre, le préfet de Dordogne avait ainsi pris un arrêté pendant le confinement de novembre permettant aux chasseurs de chasser le grand gibier, les renards et les blaireaux. Il justifiant notamment cette dérogation par la présence de la tuberculose dans la région. Cette pratique est aujourd’hui largement répandue en France, et ces animaux sont chassés au motif de l’intérêt général dans de nombreuses régions, même si aucune maladie de ce type n’y a été détectée !

Les blaireaux sont régulièrement abattus pour contre les épidémies de tuberculose bovine. – Vincent Van Zalinge on Unsplash

Des blaireaux et des renards injustement abattus

Plusieurs rapports de l’ANSES (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), saisis par des associations de protection de la nature, viennent pourtant relativiser le rôle de ces animaux sauvages dans la propagation de la maladie. Un rapport de 2019 concluait ainsi : « dans les zones indemnes de tuberculose, l’élimination préventive des blaireaux (et des autres espèces sauvages) ne peut en aucun cas être justifiée au motif de la lutte contre la tuberculose ». Or, aujourd’hui encore, dans certains départements, le motif de la lutte contre la tuberculose est injustement utilisé pour justifier l’intensification de la chasse, du piégeage ou de l’archaïque déterrage des blaireaux.

Les renards sont une autre proie privilégiée des chasseurs, avec plus de 600 000 renards tués chaque année en France, selon les chiffres de l’ASPAS. Dans le cadre des battues administratives, les préfets autorisent en effet des tirs de nuit de renards à n’importe quel moment de l’année. Les risques sanitaires liés aux renards seraient pourtant en réalité amplifiés par la chasse et le piégeage, comme le montre certaines études récentes. En sa qualité de charognard, le renard participe en outre à l’élimination des animaux malades et des cadavres, évitant ainsi la propagation d’épidémies. De plus, il freine l’expansion de la maladie de Lyme en chassant les rongeurs, qui transportent les tiques vectrices de cette maladie.

La sortie de l’élevage intensif, la seule mesure efficace !

Saisi par la Direction générale de l’alimentation (DGAL), l’Anses publie aujourd’hui un rapport concernant le rôle épidémiologique du renard dans la transmission de la tuberculose bovine. L’organisme stipule que « la présence de renards infectés ne constitue donc pas un risque majeur de création d’un réservoir dans la faune sauvage. » L’animal pourrait jouer un rôle d’hôte de liaison dans les zones de circulation active de l’infection chez les bovins, mais l’Anses insiste sur le caractère très local de ce rôle et des mesures de gestion à considérer, après examen au cas par cas. Comme pour le blaireau, le rapport indique clairement que : « dans ce contexte de mesures très localisées, les experts ont souligné que l’élimination préventive des renards n’apparaît en aucun cas justifiée au motif de la lutte contre la tuberculose bovine. »

L’Anses conclut que l’élimination préventive des renards n’apparaît en aucun cas justifiée au motif de la lutte contre la tuberculose bovine.

Le rôle de la faune sauvage dans la propagation des maladies d’élevage se trouve donc largement relativisé par les experts. Le recours trop systématique à l’abattage des animaux sauvages doit dès lors être impérativement remis en cause. Il constitue en effet une menace de plus pour la biodiversité, déjà menacée en France. D’autres mesures peuvent par contre participer à limiter ces épidémies, un appel à projet régional sera d’ailleurs lancé d’ici la fin du mois de mars pour financer les investissements des éleveurs dans des équipements de biosécurité.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Mais le levier principal pour éviter ces maladies demeure la réduction de la consommation de produits animaux et du nombre d’élevages industriels, bien que cette mesure ne figure jamais parmi les recommandations préventives liés aux maladies animales. Le dogme de la croissance fait loi. Au-delà du risque sanitaire, les considérations de bien-être animal et de protection de l’environnement démontrent clairement que la sortie de l’élevage intensif s’impose aujourd’hui comme une priorité. Il faudra s’en souvenir lors de la prochaine épidémie, inévitable tant que nous persistons aveuglément dans ce modèle.

Raphaël D.

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation