Les produits issus de l’agriculture biologique séduisent de plus en plus de consommateurs écœurés par les techniques d’une industrie agro-alimentaire chimique, déconnectée des processus naturels de transformation. Si la part du « bio » augmente dans nos paniers, elle reste relativement faible et marginale. Pourtant, l’enjeu d’une alimentation plus saine et plus responsable est aujourd’hui central, et sa réalisation presque vitale pour l’avenir de l’humanité. À l’occasion de la campagne « Manger bio et local, c’est l’idéal » lancée par la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB), nous avons rencontré Stéphanie Pageot, présidente de l’organisme. Cette campagne, qui se déroule actuellement jusqu’au 25 septembre, entend mobiliser les citoyens autour de l’agriculture biologique. 500 événements sont organisés cette semaine dans toute la France, entre visites de fermes, ateliers et dégustations. L’occasion rêvée d’enfiler ses bottes et d’aller voir ça de plus près.

Mr. Mondialisation : Bonjour Stéphanie Pageot. Vous êtes la présidente de la FNAB, ce qui vous place au plus près de ces acteurs qui veulent produire de l’alimentation sainement et sans pesticide. Que pouvez-vous dire de la situation du « bio » en France aujourd’hui?

Stéphanie Pageot : Bonjour Mr Mondialisation. L’agriculture biologique représente 5 % des surfaces agricoles (1,3 millions d’hectares) et 10 % de l’emploi agricole en France. Elle a progressé très fortement en 2015 : +23% de terres en bio en 2015. Le mouvement s’est poursuivi début 2016 et nous espérons que cela va continuer. Les consommateurs sont de plus en plus intéressés par l’agriculture biologique et la plébiscitent !

Mr. M. : Que manque-t-il aujourd’hui en France pour que le bio décolle pour de bon ? C’est un problème politique ? Économique ? Idéologique ?

S.P. : L’agriculture bio est en train de décoller et c’est grâce aux consommateurs citoyens. L’an passé le marché des produits bio a ainsi augmenté de près de 15%. Pour encourager ce développement, il faut davantage d’implication des pouvoirs publics : Stéphane Le Foll, le Ministre de l’agriculture, vient de réaffirmer l’objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective. C’est un signe fort, mais malheureusement, dans le même temps, il n’a pas prévu assez de budget pour accompagner les productrices et producteurs qui veulent passer en agriculture bio et y rester.

De même, nous avons des difficultés avec les politiques des différentes Régions, qui, dans l’application de la Politique Agricole Commune (PAC), ont fait des arbitrages budgétaires qui ne sont pas en faveur de la bio, mais plutôt de l’agriculture industrielle.

Aujourd’hui, pour un vrai décollage de la bio en France, il faut donc d’abord et avant tout des choix politiques très forts sur les budgets alloués.

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Mr. M. : La campagne nationale « Manger Bio et local, c’est l’idéal » a été lancée ce 17 septembre. Quel rôle joue exactement la FNAB dans la promotion du bio auprès de l’opinion publique ?

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S.P. : La FNAB, c’est d’abord et avant tout 10 000 paysannes et paysans bio qui veulent montrer comment ils travaillent en bio et faire goûter leurs produits. Ils ont donc organisé, partout en France, des portes ouvertes, des marchés, des conférences, des animations dans les magasins, notamment avec le réseau coopératif Biocoop qui est notre partenaire sur cette campagne « Manger bio et local, c’est l’idéal ». Au total plus de 500 événements sont prévus du 17 au 25 septembre !

Mr. M. : On voit ces dernières années un intérêt grandissant pour une organisation et un approvisionnement en circuits courts, avec notamment les AMAP, qui séduisent de plus en plus de citadins. Quelles sont les barrières ou les points d’accroche entre le local et le bio ?

S.P. : Les citadins veulent recréer du lien avec les paysannes et paysans et ils ont raison: cela permet de leur assurer une alimentation de qualité, toutes les semaines, tout en rémunérant  équitablement les producteurs et productrices. Tout le monde est gagnant. Par contre la notion de local ne suffit pas. En effet, un producteur peut être local mais utiliser des engrais chimiques fabriqués dans de lointaines usines avec du gaz de Russie ou élever des animaux nourris avec du soja OGM d’Amérique Latine. La notion de « Local » n’est pas suffisante, ce n’est pas un label, ni une preuve de qualité. D’où l’importance d’une certification bio. Les AMAP l’ont bien compris et l’ont inscrit dans leur charte.

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Mr. M. : Que fait actuellement le gouvernement français pour promouvoir le bio ? Si certains acteurs comme la FNAB communiquent et font bouger les choses, les hommes politiques suivent-ils par la mise en place de lois ? On a parfois l’impression que le bio répond d’une initiative individuelle de la part des producteurs davantage que d’incitations émanant du public.

S.P. : Comme je l’évoquais tout à l’heure, nous manquons cruellement de moyens pour développer la bio en France. Dans le cadre du programme «Ambition bio 2017 », Stéphane Le Foll a affirmé son souhait de doubler les surfaces en bio d’ici 2017, ce qui est très positif. De même François Hollande, a déclaré au mois de mai dernier, lors de la Conférence environnementale, qu’il voulait que la France soit le leader de la bio en Europe. Nous attendons maintenant concrètement les moyens à la hauteur de cette ambition… Il ne s’agit pas de dépenser davantage alors que nous sommes en période de réduction des dépenses publiques. Il s’agit de réaffecter des fonds en faveur de la bio, plutôt que de continuer à financer une agriculture intensive qui fait des dégâts colossaux, sur l’environnement comme la santé, et qui coûte très cher aux contribuables ! Ainsi, le coût de la dépollution de l’eau à cause des engrais chimiques et des pesticides est estimé à près de 1,5 milliards d’euros par an. Et le coût sur la santé publique des perturbateurs endocriniens propagés par les pesticides est estimé à 200 millions d’euros par an, à l’échelle européenne.

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Mr. M. : Qu’avez-vous à répondre à certains détracteurs qui sortent encore l’argument « Le Bio est trop cher, et donc inaccessible à toute une partie de la population française » ?

S.P. : On n’inclut pas, dans le prix des produits « conventionnels » le coût de la dépollution de l’eau, la perte de la biodiversité (destruction des pollinisateurs comme les abeilles, la diminution par deux de la population d’oiseaux, etc…) ; si on incluait ces coûts, les produits biologiques seraient bien moins chers que les produits conventionnels !

On n’inclut pas non plus les aides accordées à l’agriculture productiviste, qui sont beaucoup plus importantes que celles accordées à la bio. En particulier toutes ces aides d’urgence qui doivent être accordées en raison des crises à répétition d’un modèle à bout de souffle et qu’au final le contribuable subventionne.

Par ailleurs, selon les statistiques du Ministère de l’agriculture (Agreste), la bio c’est 60 % de main d’œuvre supplémentaire par rapport à l’agriculture conventionnelle. Ainsi, comme je l’évoquais au début, avec 5% de la surface agricole, la bio représente déjà 10% de l’emploi du secteur. Et c’est une chance pour l’économie des territoires ruraux. Mais cette main d’œuvre doit être rémunérée à sa juste valeur. C’est tout cela qu’il y a derrière un prix bio !

Notre objectif est bien entendu que les produits bio soient accessibles à tous et c’est pour cela que nous faisons la promotion d’une agriculture à la fois bio et locale. C’est d’ailleurs tout le sens de notre campagne « Manger bio et local c’est l’idéal ». Elle vise à mieux faire connaître les circuits courts (ventes à la ferme, sur les marchés, AMAP, magasins de producteurs…), car réduire le nombre d’intermédiaires entre la population et les paysans permet de baisser le prix des produits.

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Mr. M. : Et du côté des agriculteurs, est-ce qu’on fait toujours face au scepticisme de certains ? Où en est la transition ?

S.P : Oui, certains restent sceptiques. Mais c’est surtout par peur du changement. Passer en bio veut dire se libérer de sa dépendance aux produits chimiques et engrais de synthèse, repenser son système agricole pour travailler en préventif (éviter les maladies ou les ravageurs) plutôt qu’en curatif (les tuer avec des produits). Ce n’est pas facile, surtout quand l’entourage des agriculteurs (les conseillers agricoles, les vendeurs de produits…) les persuadent que ce n’est pas possible et les incitent en permanence à produire toujours plus.

Malheureusement – ou heureusement – les crises agricoles actuelles montrent que produire toujours plus ne sert à rien et même engendre de grandes difficultés. De nombreux agriculteurs ont donc décidé de passer en bio en 2015 et 2016 et nous espérons que cela va continuer.

06_bio_localExtrait du « petit guide pour vos amis biosceptiques » (Bloutouf)

Mr. M. : Avec tout ce que l’on voit actuellement dans les médias, sur l’industrie agro-alimentaire, mais également sur le traitement des animaux, on peut se demander : qu’y-a-t-il réellement derrière l’étiquette « issu de l’agriculture biologique » ou « AB » ? Quelles normes régissent actuellement l’appellation en terme de production, transformation, distribution ?

S.P. : La certification des produits biologiques est basée sur un règlement européen très strict, qui régit les conditions de production et de transformation de ces produits. Il y a des contrôles tous les ans, chez tous les opérateurs, et parfois des contrôles inopinés. Les garanties sont donc très importantes mais il reste des éléments à améliorer. Ainsi, nous avons pu voir que des abattoirs qui abattaient des animaux bio ne respectaient pas les règles fondamentales du respect de l’animal : nous trouvons cela scandaleux et travaillons à améliorer ces règles. De même, nous considérons que le règlement européen sur la bio doit continuer de s’améliorer, pour toujours plus d’exigences et de cohérence.

Mr. M. : Enfin, comment envisagez-vous l’avenir de la bio en France, à l’aune de votre expérience et des avancées du secteur ?

S. P. : Nous sommes en train de vivre un moment inédit en France : jamais nous n’avons vu autant de conversions vers l’agriculture biologique, ni une demande si forte des citoyens. L’agriculture biologique a vraiment de beaux jours devant elle, à condition que les femmes et les hommes politiques en prennent réellement conscience et s’appuient sur ce dynamisme pour accélérer la transition écologique de l’agriculture. Nous en jugerons dans les programmes des candidats à la Présidentielle. Mais nous sommes inquiets des discours de certains, qui prônent toujours plus de productivisme ou l’autorisation de culture des OGM…

À l’occasion de la campagne « Manger bio et local, c’est l’idéal », de nombreuses animations auront également lieu dans les magasins Biocoop, partenaires de l’événement.

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Toutes images à la discrétion de la FNAB

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