Utilisé dans les achats du quotidien par des milliards d’individus, l’argent liquide – appelé aussi monnaie « fiduciaire » – reste un rouage essentiel de l’économie, y compris dans les pays les plus avancés. Gratuit, pratique, sûr et universel, le cash a encore de beaux jours devant lui, malgré le développement des paiements dématérialisés.
Il n’y a même jamais eu autant de monnaie fiduciaire en circulation dans le monde ! Depuis l’introduction de la monnaie européenne en 2002, la valeur des euros en circulation a ainsi été multipliée par six, selon la Banque centrale européenne (BCE), soit une hausse moyenne de plus de 8 % par an. Le dollar américain connaît une croissance similaire : la valeur totale des dollars en circulation a été multipliée par trois en vingt ans.
LE paiement favori en Europe
Même si la carte bancaire et les applications numériques continuent à gagner du terrain, le paiement en espèces reste majoritaire en France. Selon la dernière étude de la Banque de France, publiée en mai 2023, 50 % des achats ont été réalisés en espèces en 2022, 43 % par carte bancaire et 6 % en chèques, virements ou paiements mobiles.
Cette résistance de la monnaie fiduciaire (les pièces et les billets) est loin d’être une exception française : en moyenne, le recours au cash au sein de la zone euro est estimé à 59 % en 2022, selon la dernière étude de la BCE. Les Allemands, les Espagnols ou les Italiens utilisent même à plus de 60 % l’argent liquide dans leurs paiements. À l’échelle mondiale, les chiffres sont encore plus éloquents : les espèces restent le moyen de paiement favori dans près de 85 % des transactions des consommateurs autour du globe.
Un rouage essentiel de l’économie du quotidien
Utilisé dans les achats du quotidien par des milliards d’individus, l’argent liquide reste en effet un rouage essentiel de l’économie. C’est le moyen de paiement le plus utilisé dans pour régler ses dépenses dans les commerces de proximité, pour les paiements de petit montant et pour les transactions de particulier à particulier. Dans les pays en développement, en particulier, le cash constitue un socle indispensable au fonctionnement des échanges.
Une étude de l’Ifop pour la Monnaie de Paris confirme qu’en France, par exemple, 83 % des citoyens sont toujours attachés au paiement en liquide et que 70 % y ont recours au quotidien. C’est aussi le moyen de paiement dans lequel ils ont le plus confiance : 61 % des Français ont ainsi « très confiance » dans les espèces, contre 47 % dans la carte bancaire, 29 % dans le chèque, 18 % dans les services en ligne et 8 % dans le smartphone.
La monnaie fiduciaire est plébiscitée parce qu’elle est à la fois gratuite, pratique, sûre, et qu’elle préserve la vie privée et les données personnelles, contrairement aux technologies de paiement dématérialisées. C’est aussi un moyen de paiement universel, accessible à tous et accepté par tous. Pour de nombreux ménages, utiliser l’argent liquide plutôt qu’une carte bancaire se révèle aussi plus efficace pour contrôler son budget et ses différents postes de dépenses (logement, alimentation, loisirs, etc.) grâce à la technique des « enveloppes budgétaires ».
Un pilier de la confiance dans la monnaie
L’argent liquide constitue un des piliers de la confiance dans la monnaie. Sa production répond à des besoins et des processus strictement encadrés, ce qui assure un haut niveau de confiance dans ce moyen de paiement. On parle d’ailleurs de monnaie « fiduciaire », par référence à cette confiance (fides) des citoyens. Une confiance qui repose également sur les dispositifs de sécurité ultrasophistiqués aujourd’hui intégrés dans les billets de banque, devenus de véritables « forteresses technologiques », quasiment infalsifiables. Lettres minuscules lisibles uniquement à la loupe, nombre émeraude détectable sous infrarouge, fibres incorporées dans le papier visibles uniquement à la lumière ultraviolette…
De nouveaux signes de sécurité sont régulièrement ajoutés par les fabricants de billets de banque qui travaillent en étroite relation avec les banques centrales afin de lutter efficacement contre les tentatives de faux-monnayage. À titre d’exemple. les nouveaux billets que la Banque de réserve sud-africaine a mis en circulation, en mai 2023, sont aussi dotés « de nouveaux dessins et de caractéristiques de sécurité renforcées qui utilisent les dernières avancées technologiques pour protéger l’intégrité de la monnaie et maintenir la confiance du public. »
Un véritable « bien public »
La monnaie fiduciaire est un « bien public », qui favorise l’inclusion financière et l’accès de tous à la monnaie, en particulier des personnes les plus fragiles. L’argent liquide est en effet la seule façon d’accéder à un moyen de paiement pour ceux qui n’ont pas de compte bancaire ou ne maîtrisent pas les outils numériques. Sans cash, des centaines de millions d’individus ne pourraient acheter des biens essentiels.
En effet, 1,7 milliard d’individus dans le monde n’ont pas de compte bancaire selon la Banque mondiale, soit un quart de l’humanité. Mais cela concerne aussi les pays riches : 8,2 % des foyers aux États-Unis (soit 17 millions d’adultes) et 7 % des foyers en Europe (soit 30 millions d’adultes) n’ont pas non plus de compte bancaire. L’accès aux services numériques est tout aussi discriminant : 17 % de la population française, par exemple, souffre d’« illectronisme. »
L’exemple de la Suède, qui avait programmé la fin du billet de banque et a dû faire marche arrière, illustre bien le rôle primordial de la monnaie fiduciaire. Face à une vague de protestations, les autorités suédoises n’ont pu que constater que le cashless perturbe le bon fonctionnement de la société et augmente les difficultés d’accès aux biens de première nécessité pour certaines catégories de la population. La banque centrale suédoise a ainsi dû affirmer que « tous les commerces essentiels devraient être obligés d’accepter les espèces » et le gouvernement a fait voter une loi imposant aux banques de continuer à proposer des services liés au cash.
Une valeur résiliente face aux crises
L’argent liquide se distingue aussi par sa résilience : il ne nécessite pas de branchement électrique ni de liaison internet. En cas de catastrophe naturelle, de cyberattaque ou de panne généralisée des infrastructures électroniques bancaires, qui entraînerait une perte d’accès aux comptes en banque et l’incapacité d’effectuer des paiements par carte, seul le cash permettrait d’assurer la continuité de l’activité économique et l’approvisionnement des populations en biens essentiels.
Cela se vérifie lors de catastrophes naturelles d’ampleur comme lors du séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie en février 2023 où des distributions d’argent liquide ont été nécessaires pour aider les personnes les plus touchées. Conserver des réserves d’argent liquide et faciliter l’accès au cash est donc aussi un enjeu de sécurité nationale. La monnaie fiduciaire est également un support d’épargne ou une valeur refuge (le fameux « bas de laine »), vers lequel les ménages, notamment les plus modestes, se tournent en temps de crise. Selon la BCE, entre 28 % et 50 % de la valeur totale des billets est conservée au domicile des particuliers, chez les commerçants et dans les entreprises. La peur de l’avenir ou les faillites bancaires renforcent ce rôle des espèces comme réserve de valeur.
Durant les six mois qui ont suivi la faillite de Lehman Brothers en 2008, la demande de billets de 100 dollars a ainsi bondi de 10 %. Durant la crise grecque de 2015, les ménages se sont précipités vers les banques pour retirer trois milliards d’euros en une semaine. Dans certains pays d’Europe du Nord et de l’Est, comme en République Tchèque, en Finlande ou en Slovaquie, le remplissage des distributeurs a grimpé de 30 % suite à la guerre en Ukraine, sur fond de craintes de cyberattaques.
Pour toutes ces raisons, la monnaie fiduciaire reste donc incontournable, comme le montre bien la hausse du volume d’espèces en circulation. Malgré l’essor des moyens de paiement numériques, le règne du cash est donc loin de s’achever.
– Hugo
Photo de couverture de Tima Miroshnichenko. Pexels