Un nouveau rapport du Transnational Institute, organisation internationale de recherche et de plaidoyer, démontre comment l’augmentation des dépenses militaires mondiales accélère la dégradation du climat. Alors que l’urgence environnementale s’intensifie, les actualités géopolitiques poussent les États du monde entier à réinvestir massivement dans l’armement et la défense, impactant irrémédiablement notre capacité collective à lutter contre le dérèglement climatique. En plus de détourner des fonds nécessaires à l’action en faveur du climat, le secteur militaire représente à lui seul 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et semble intrinsèquement difficile à décarboner. Analyse.
« Nous avançons les yeux fermés vers la catastrophe climatique », assurait déjà António Guterres, secrétaire général de l’ONU, en mars dernier. 2022 semble en effet avoir sonné le glas de l’insouciance collective. Aux États-Unis, en Chine, en Europe et en Amérique du Sud, des températures extrêmes ont ébranlé la vie des millions d’individus. Alors que des inondations destructrices ont laissé des pans entiers du Pakistan sous l’eau, 13 millions de personnes sont encore menacées de la famine dans la corne de l’Afrique, touchée par une vague de sécheresse sans précédent.
Quand les drames se succèdent
À cela s’ajoute d’autres drames meurtriers : au Yémen, Myanmar, Afghanistan ou Kivu (Congo), de multiples conflits dévorent les vies de millions de civils. Plus proche de nous, la guerre en Ukraine s’est révélée déterminante dans le bouleversement des équilibres géopolitiques contemporains.
La réponse mondiale face à l’invasion de la Russie témoigne d’une mobilisation sans précédent face à une situation d’urgence : plus de 85,8 milliards de dollars d’aide étrangère ont ainsi été versés, alors que 7,5 millions de déplacés ont trouvé refuge en Europe. À cela s’ajoute évidemment une réorganisation majeure des systèmes énergétiques européens engendrant des coûts économiques importants pour de nombreux pays et leurs citoyens.
Une course à l’armement effrénée
Mais au delà des mécanismes de solidarité et de soutien précités, le conflit russo-ukrainien a également conduit à une augmentation massive des dépenses militaires et des ventes d’armes à travers le monde, même si la tendance était déjà à la hausse depuis la fin du siècle dernier.
« Les dépenses militaires mondiales augmentent depuis la fin des années 1990, en forte hausse depuis 2014 et atteignant un record de 2 000 milliards de dollars en 2021 », explique le Transnational Institute.
En plus d’instaurer une certaine facilitation du recours à la violence, ce phénomène exacerbe malheureusement aussi l’urgence climatique. C’est en tout cas le constat de l’organisation, qui dresse dans son dernier rapport les impacts environnementaux des activités militaires mondiales.
D’après les experts, cette récente poussée du militarisme « augmente les émissions de GES (gaz à effet de serre) militaires alors qu’elles doivent être radicalement réduites, détourne l’argent des investissements dans l’action climatique vers les dépenses militaires et détourne l’attention politique de la nécessité de donner la priorité à la crise climatique et de financer une transition juste ».
Le bilan carbone de la militarisation
Si le secteur de la défense ne s’est en effet jamais vraiment illustré par son emprunte carbone irréprochable, il est clair que les dépenses militaires entraînent irrémédiablement des émissions de GES par le biais des infrastructures militaires, des équipements, des transports et des conflits qui dépendent fortement des combustibles fossiles.
Selon le rapport de Scientists for Global Responsibility (SGR) datant du mois dernier, l’empreinte carbone des armées mondiales et des industries d’armement associées représente ainsi environ 5,5 % des émissions mondiales totales de GES. À titre de comparaison, l’aviation civile représente 2,5 % des émissions mondiales.
« En termes de consommation de carburant, si les forces armées mondiales étaient classées comme un seul pays, elles seraient le 29ème consommateur mondial de pétrole, juste devant la Belgique et l’Afrique du Sud », illustrent les auteurs du rapport.
D’autres estimations du CEOBS et de SGR évaluent l’empreinte carbone militaire annuelle à 205 millions de tonnes pour les États-Unis et à 11 millions de tonnes pour le Royaume-Uni d’équivalent carbone, la France représentant à elle seule environ un tiers des 24,8 millions de tonnes émises par l’Union européenne.
Toujours les mêmes au dessus de podium
Sans surprise, les États les plus dépensiers en matière militaire sont aussi les plus émetteurs de GES : alors que les États-Unis sont responsables d’environ 33,3 % des émissions entre 1850 et 2025, suivis de la Chine (11,7 %), de la Russie, de l’Allemagne, du Japon, du Royaume-Uni, du Canada, de la France, de l’Australie et du Brésil. Sept d’entre eux figurent également parmi les dix premiers dépensiers militaires mondiaux, auxquels s’ajoutent l’Arabie saoudite, l’Inde et la Corée du Sud.
Si les forces armées des pays les plus riches se vantent de plus en plus de leurs efforts pour lutter contre le changement climatique, « pointant du doigt l’installation de panneaux solaires sur les bases, la préparation de défenses contre le niveau de la mer et le remplacement des combustibles fossiles dans certains équipements militaires, un examen plus approfondi, cependant, suggère qu‘il s’agit plus de battage médiatique que de substance », analysent les auteurs du rapport.
Ainsi, la plupart des objectifs déclarés de « zéro net » sont basés sur de fausses hypothèses, « dépendant de technologies telles que la capture du carbone, qui n’existent pas encore à grande échelle, ou dépendant de carburants alternatifs qui ont de graves coûts sociaux et environnementaux ».
Pendant ce temps, l’armée continue de développer de nouveaux systèmes d’armes qui polluent encore plus. « Par exemple, les chasseurs F-35A consomment environ 5 600 litres d’huile par heure contre 3 500 pour les chasseurs F-16 qu’ils remplacent. Comme les systèmes militaires ont une durée de vie de 30 à 40 ans, cela signifie enfermer des systèmes hautement polluants pendant de nombreuses années à venir », illustre Transnational Institute. De plus, les alliances militaires comme l’OTAN ont clairement indiqué qu’elles ne compromettraient pas la domination militaire pour lutter contre le changement climatique.
Un manque à gagner colossal pour le climat
Des considérations graves qui illustrent de manière générale le manque d’intérêt et d’action portés à la lutte contre le dérèglement climatique. Alors que le budget global de la défense s’envole, le financement destiné au climat ne parvient pas à trouver la dimension nécessaire : « près de la moitié du financement climatique proposé est largement illusoire », affirme l’organisation internationale, citant notamment un rapport d’Oxfam International qui assure qu’une grande partie des financements destinés à la lutte pour le climat prend la forme de prêts plutôt que de subventions, ce qui alourdit le fardeau de la dette des pays les plus pauvres.
En fin des comptes, « les dépenses militaires explosent en même temps que les pays les plus riches continuent de stagner sur le financement climatique et les pays les plus pauvres manquent de ressources pour faire face aux impacts les plus sévères du changement climatique », concluent les chercheurs.
Ils sont au regret de constater que le budget annuel des dix plus grandes puissances militaires couvrirait à lui seul le financement climatique international promis pendant 15 ans (soit 15 fois 100 milliards de dollars/an), les coûts d’intervention de l’ONU en cas de catastrophe pour les 315 prochaines années (soit 5 milliards de dollars par an) ou encore la conservation de la biodiversité mondiale pendant 15 ans (estimée à 100 milliards de dollars/an – actuellement seulement 4 à 10 milliards de dollars dépensés).
Investir dans la défense… de la planète
Au delà de ces considérations, les chercheurs dénoncent encore la vente d’armes des pays occidentaux à de nombreuses gouvernements de pays pauvres et particulièrement vulnérables au changements climatique : « au lieu de fournir des financements aux communautés les plus pauvres pour s’adapter et faire face aux conséquences négatives du changement climatique, les pays les plus riches concluent des accords d’armement qui attisent les divisions, provoquent la violence et permettent la répression par les forces militaires et de sécurité ».
Pour conclure, le Transnational Institue soutient que toutes les ressources et capacités possibles doivent être investies dans la défense : la défense de la planète et de chaque être vivant. Des mots qui sonnent bien loin des derniers discours dernièrement favorables à une véritable course à l’armement.
– L.A.
Photo de couverture : Unsplash – Filip Andrejevic